Affaire Kabile : de graves irrégularités jamais élucidées

Thierry Kabile, un des fils de Mme Kabile dont on ne sait toujours pas vraiment où est la dépouille. Photo : J-L M-L.

Deux dates différentes de décès pour la même personne, entrée à l’hôpital pour une simple douleur au mollet. Deux corps transportés de deux hôpitaux différents pour une seule autopsie, autopsie pourtant déclarée effectuée quelques jours plus tôt. Des résultats d’autopsie incohérents. Une policière et un officier d’état-civil qui signent trois actes de décès pour la même personne dont on ne sait toujours pas vraiment où est le corps.

Cela fait beaucoup de choses pour les quatre enfants d’Eliane Kabile, et particulièrement pour Thierry, 54 ans, qui a donc entrepris plusieurs démarches judiciaires. Deux exhumations ont été ordonnées, mais là encore, des anomalies ont été constatées : des conditions de réalisation suspectes ; un cercueil exhumé différent du cercueil de l’enterrement ; une bouillie de plusieurs cadavres, dont une cage thoracique d’enfant ; un refus de communiquer les analyses d’ADN, le tout accompagné d’une condamnation pour « abus de procédure » ! Alors qu’il s’agissait simplement de vouloir la lumière sur cette douloureuse affaire.

« La pire enquête »

Photo de Mme Kabile publiée lors de l’émission “Sans aucun doute” de 2006.

C’est un dossier complexe, difficile, dont toute la presse a été informée mais qu’elle a très peu relayé. Au contraire de multiples sites et blogs non journalistiques sur internet.

Julien Courbet, animateur de « Sans aucun doute », avait reçu la famille éplorée en décembre 2006 : « C’est la pire enquête que nous n’ayons jamais eue à traiter. Elle glace le sang », explique-t-il en introduisant l’émission. Interrogé au téléphone par le journaliste, le médecin légiste qui a fait l’autopsie qualifie la famille de « pathologique ».

Le président Macron, alors candidat, avait répondu à la famille qu’il avait bien reçu son dossier et qu’il promettait de l’examiner.

Entretemps, une série d’actions en justice a été conduite, dont une citation directe, le 23 mars 2015, à l’encontre de Jean Maïa, agent judiciaire de l’État, devant la 11ème chambre correctionnelle du TGI de Paris, pour voies de fait et déni de justice. La demande a été rejetée. L’audience d’appel a été fixée au 12 septembre 2018.

La première présidente de la Cour d’appel de Paris, Chantal Arens, a fait répondre le 21 juin 2017 qu’elle allait répondre à la famille : elle est toujours silencieuse à ce jour, plus de six mois plus tard, malgré trois relances.

Confrontée aux réponses incomplètes voire à l’hostilité des autorités, la famille soupçonne un trafic d’organes masqué par des faux en écriture. Des conférences et des manifestations publiques devant le ministère de la justice ont été organisées des jours durant au cours de cette année avec l’aide de Politique de vie, le parti de Christian Cotten.

Affaire Eliane Kabile : la chronologie*

2000

– 22 décembre : Eliane Kabile, 64 ans, entre à l’hôpital de Gonesse (Val d’Oise) pour une douleur au mollet droit. Echographies négatives. Elle y reste jusqu’au 30 décembre.

2001

– 27 janvier : 2e hospitalisation : anémie, herpès, fièvre. Conclusions : insuffisance rénale, pneumopathie, péricardite.

– 09 février : entrée dans le service Dr Blin. Intubation, antibio, cathéter, épanchement péricardique, œdème pulmonaire lésionnel majeur (11/02), insuffisance rénale aigüe (12/02), myélogramme (13/02) : dysmyélopïèse.

Ce 9 février, le Dr Nizou écrit au médecin traitant de Mme Kabile (Dr Torjman) et l’informe du décès de sa patiente.

– 10 février : Mme Gaudimont voit sa sœur inerte, froide, intubée, écrans de contrôle muets, sauf celui du respirateur artificiel.

– 13 février : le chef service réanimation évoque une septicémie + décès arrêt cardiaque à 15 h15.

– 16 février : le procureur (TGI Pontoise) mandate le Dr Paraire, médecin légiste, pour une autopsie.

– 19 février : Elisabeth Humblot, capitaine de police, adresse deux requêtes de transport ce même jour :

• l’une au directeur de l’hôpital Gonesse : « Bien vouloir remette remettre le corps de Madame Kabile née le 02.08.36 aux Pompes funèbres générales (PFG) aux fins de transport à l’Institut médicolégal (IML) de Garches pour autopsie » (datée du 16 février !) ;

• l’autre au directeur du funérarium de Villetaneuse : « Bien vouloir faire effectuer le transport du corps de Kabile Eliane, décédée le 13.02.01 aux fins d’autopsie au Centre hospitalier de Garches. Bien vouloir procéder à l’enlèvement du corps de Kabile Eliane à l’hôpital de Garches et le transporter au funérarium de Gonesse ».

– 20 février : Conclusions autopsie : le décès résulte de l’évolution d’une leucémie aigüe entraînant un état de défaillance polyviscérale + lésions centres nerveux végétatifs, suffusions hémorragiques + état de choc. Pas d’infection nosocomiale.

Or, le rapport d’expert (Dr Reverberi) parlera de syndrome infectieux brutal. Le Dr Nizou évoque, lui, un « climat septique ».

Utérus absent. Les ovaires sont le siège d’infiltration tumorale leucémique. Or, après son hystérectomie, « notre mère avait été privée de ses ovaires ».

– 21 février : la mairie Gonesse « dresse » un acte décès n° 90. Or, le 21 mai 2014, une copie intégrale de la même mairie indique que le n° 90 concerne maintenant une certaine Jeanne Bergeron, décédée le 20 février 2001. En outre, le 7 août 2014, une autre copie intégrale indique que l’acte de décès de Mme Kabile a été dressé le 14 février 2001 (et non plus le 21 février). Et il porte maintenant le n° 81 !

Thierry Kabile : « Il faut juste rappeler que personne ne peut modifier un acte d’état-civil, sauf demande d’un procureur sur les très petites erreurs ou d’un juge du siège pour les corrections plus importantes. Or, cet acte, barré à la main de la mention “Annulé”, que j’ai découvert récemment et photographié, cet acte existe depuis 2001 dans le registre d’état-civil de Gonesse, aux pages soigneusement numérotées et tamponnées de rouge et qui ne peuvent formellement contenir qu’un seul et unique acte.

Étrangement, aucun juge, aucun procureur, aucun agent du gouvernement n’est allé voir de près ce registre. Or, il a été modifié par un officier de police judiciaire et par un officier d’état-civil, adjoint au maire de Gonesse. Personne n’a jamais cherché à comprendre. Personne, au sein des services de l’État, n’a ouvert la moindre enquête sérieuse et ce malgré les multiples dénonciations et procédures engagées par notre famille auprès de multiples autorités ».

– 26 février : suite à la plainte déposée par la famille, première inhumation au cimetière de Sarcelles-Village.

– 4 juillet : remise du rapport d’expertise (Dr Reverberi).

2002

– 12 février : plainte pour homicide involontaire et non assistance à personne en danger près le doyen des juges d’instruction.

– 30 juin : exhumation à 6h au lieu de 8h30.

A cette occasion, la famille constate la disparition de la dépouille du frère (suicidé à 20 ans) dans la sépulture où reposait également leur mère.

– 1er juillet : 2e autopsie, par Pr Durigon.

– 3 octobre : ouverture d’une instruction judiciaire.

– 13 novembre : expertise génétique ordonnée.

2003

– Prélèvements ADN : extraits du 8 juillet au 6 octobre sur les membres de la famille.

2004

– 12 janvier : conclusions de l’expert de Mazencourt : « Les prélèvements des 2 autopsies proviennent bien du même corps ».

Un dentier de Mme Kabile, qui aurait pu constituer une pièce à conviction génétique, a été lavé puis écarté par le médecin légiste Durigon.

– 27 janvier : ordonnance de refus d’acte : la date erronée du 30 juin 2003 du rapport d’autopsie serait une « pure erreur matérielle ».

2005

– 25 mars : plainte avec constitution parte civile pour homicide involontaire et non assistance à personne en danger ; pour atteinte au respect dû aux morts.

– mai : reportage France 3 (JT 19/20h) : « Le corps réinhumé suite à l’autopsie de 2003 n’est pas celui de notre mère ».

– 14 mai : dépôt du rapport Dr Urbajtel, expert judiciaire.

2006

– 16 février : information ouverte pour atteinte à l’intégrité physique d’un cadavre.

– 15/12 : nouvelle demande d’exhumation.

2007

– 20 juin : 2e exhumation.

Découverte cette fois-ci du corps de frère. Contestation des parties civiles sur l’identité du cadavre (cercueil et vêtements différents, médaillon, restes humains « frais »…).

Trois n° différents hospitalisation.

– 21/06 : l’expertise génétique (Nantes) confirme l’identité de la morte.

La famille exprime ses doutes sur l’identité du corps examiné par le légiste. Pas d’ADN dans le rapport.

– 26 juillet : ordonnance non lieu ; appel le 1er août.

– 11 septembre : demande de contre expertise ADN.

– 26 septembre : Refus de la juge d’instruction TGI de Pontoise, Émilie Burguière, pour vice de forme et absence de motivation.

2008

– 28 mars : condamnation de la famille à 15 000 € d’amende par Sylvaine Reis, vice-présidente du TGI Pontoise, pour constitution de partie civile abusive.

2014

– 12 août : plaintes contres hôpital, mairies Gonesse et Sarcelles, IML de Garches et trois professeurs.

2015

– 23 mars : citation directe effectuée à l’encontre de Jean Maïa, agent judiciaire de l’État, devant la 11ème Chambre correctionnelle du TGI de Paris.

– 21 mai : prescription + clôture 22 septembre.

– 03 novembre : action des parties civiles.

– 16 décembre : jugement TGI Paris : rejet des demandes.

2016

– 14 janvier : déclaration d’appel.

– 16 mai + 17 juin : conclusions de Thierry Kabile.

– La date de la prochaine audience d’appel civil est au 9 mai avec une audience formelle de clôture au 10 avril 2018. L’appel au pénal contre M. Maïa, agent judiciaire de l’État, est fixée au 12 septembre 2018.

* L’établissement de cette chronologie uniquement factuelle nous paru nécessaire pour deux raisons :

  • Parce que l’affaire, telle qu’elle est présentée sur le Net, est extrêmement embrouillée, mêlant événements, accusations et suppositions. Ici, nous nous sommes contentés de citer les faits tels qu’ils apparaissent dans les documents officiels ;
  • Parce que les citoyens ont le droit de connaître les tenants et aboutissants de cette affaire que les “grands médias” passent sous silence.

> Enquête de France-Culture sur l’affaire Kabile (2007).

> L’affaire Kabile sur France Inter (2007).

L’épistémologie retrouve la métaphysique mais pas… le sujet

Ce livre est la 3e édition, entièrement revue, d’une introduction à la philosophie des sciences (Philosophie des sciences. Une introduction, Michael Esfeld, Presses polytechniques et universitaires romandes Lausanne, Suisse). Il résume l’état actuel de la connaissance, présente les différents concepts et propose une évaluation de leur pertinence.

Michael Esfeld, professeur d’épistémologie et philosophie des sciences à l’Université de Lausanne, veut contribuer au développement d’une « nouvelle philosophie de la nature ». Il s’agit de s’appuyer sur les théories scientifiques pour élaborer, à l’aide des outils conceptuels de la philosophie analytique, une vision de l’ensemble de la nature.

Chaque chapitre contient un appareil pédagogique avec résumé, questions d’évaluations et propositions de travail. L’ouvrage est donc particulièrement adapté aux étudiants.

La deuxième partie, la partie principale, présente les principaux sujets de la métaphysique contemporaine de la nature en se focalisant sur la philosophie de la physique.

Lier physique et métaphysique

C’est l’intérêt principal, à nos yeux, de cet ouvrage : lier physique et métaphysique à l’instar des grands philosophes, qui étaient également de grands scientifiques (Aristote, Descartes, Leibniz…) ou, plus près de nous, Newton ou Einstein.

Une séparation s’est effectuée, à partir des 19e et 20e siècles, entre sciences et philosophie, « et ceci au détriment des deux », note l’auteur. « En effet, cette séparation eut pour conséquence que des physiciens, même éminents, mais manquant de la rigueur conceptuelle offerte par la philosophie, proposèrent des interprétations confuses de théories scientifiques (…) Du côté des penseurs qui ignorent le sciences, nombre d’entre eux annoncèrent la mort de la métaphysique sans en avoir compris les enjeux ». Heureusement, « depuis les années 1970, on assiste à une renaissance de la métaphysique (…) La philosophie des sciences a dépassé l’empirisme doctrinaire qui limite la tâche de la philosophie à l’analyse logique des théories scientifiques. Néanmoins, les efforts pour mettre en avant une philosophie de la nature sont toujours rares ».

C’est ce vide relatif que tente de combler la deuxième partie de cet ouvrage. L’auteur a certes réussi son pari si l’on se limite aux théories les plus en cour.

Et le sujet ?

On peut cependant regretter l’absence d’une problématique fondamentale, bien caractéristique, malheureusement, de notre époque qui a tendance à confondre représentation et réel, apparences et ontologie.

En effet, si les grandeurs physiques et les données sensorielles peuvent, aujourd’hui, être rapprochées par le biais de leur définition fonctionnelle, nulle part dans l’ouvrage ne sont questionnés la raison elle-même, ni la conscience ni le sujet observateur et calculateur, concepts qui sont pourtant au fondement de TOUTE construction et énonciation de connaissance, que celle-ci soit commune ou scientifique.

C’est un « oubli », certes présenté comme « volontaire » par les empiristes, mais extrêmement dommageable, car il sape les racines de toute construction intellectuelle, et particulièrement celle qui prétend s’efforcer à l’objectivité.

Dommage que la culture philosophique de l’auteur se soit limitée essentiellement aux philosophes analytiques et n’ait pas exploré l’approche d’un Husserl, par exemple.

Pour ce dernier, les sciences européennes sont en crise précisément pour avoir négligé d’investiguer scientifiquement le ou les « sens » du monde au moyen de ce qu’il a appelé la « réduction  phénoménologique », une version plus poussée du « cogito » cartésien. La subjectivité, première pierre solide de tout édifice conceptuel, doit selon lui impérativement être prise en compte au risque de s’engluer dans des approximations toujours dépassées, repoussant à jamais la perspective d’unité de l’univers théorique.

 

Les djihadistes sont bien plus rationnels qu’on ne veut le croire

Bien que le meurtre aveugle et aléatoire de civils semble ne pouvoir être expliqué par nul discours, répondre « Je ne veux rien entendre ! » à ce propos serait une grave erreur. Car ce serait se priver des moyens de mettre en place une réelle prévention idéologique, seule attitude susceptible de désamorcer les justifications avancées par les auteurs de ces crimes.

Le cadre de la recherche

Le livre « Soldats de Dieu ». Paroles de djihadistes incarcérés est rédigé par Xavier Crettiez et Bilel Ainine, tous deux membres du CNRS et de l’Observatoire des radicalités politiques (Fondation Jean-Jaurès) qui analyse depuis 2013 les dynamiques radicales, politiques et/ou religieuses.

Cet essai a pour objectif de comprendre et expliquer ce qui pousse des hommes à basculer dans une lutte armée contre des ennemis désignés et à soutenir des actes terroristes. Les deux chercheurs ont pour ce faire mené des entretiens avec treize individus incarcérés (essentiellement des personnes issues de communautés maghrébines entre 23 et 30 ans) pour avoir commis des actes terroristes ou entretenu des liens avec des groupes terroristes.

> Soldats de Dieu : paroles de djihadistes incarcérés
Par Bilel Ainine , Xavier Crettiez
Ed. de l’aube, fondation Jean-Jaurès

En effet, la lecture des témoignages recueillis par les deux scientifiques du CNRS le fait apparaître de façon flagrante : les djihadistes emprisonnés disposent d’un capital culturel non nul. « Nombre d’entre eux ont le baccalauréat, certains ont suivi des études supérieures », souvent dans des cursus scientifiques. Ils aiment et savent argumenter : « Le terrorisme se distingue de la violence criminelle ordinaire par sa dimension idéologique tout autant que par le choix de cibles civiles. Dans les deux cas, il faut pouvoir justifier le passage à l’acte violent et donc penser un tant soit peu les discours de légitimation de ses actes. Il faut savoir dire la violence autant que la pratiquer », écrivent les universitaires.

Approche « scientifique » du Coran

Le Coran, première source du droit musulman, est considéré par ces djihadistes comme un absolu qu’il faut lire dans son intégralité, sans écarter aucun passage. Il est plus « éclairant et rationnel que des religions comme le catholicisme », dit l’un d’eux. Il propose une lecture globale du réel et des réponses pratiques et concrètes aux questions que se pose le croyant. D’où une « critique féroce » à l’encontre des tenants officiels de leur religion, en France et dans les pays arabes accusés de pervertir le message de Dieu et d’en écarter l’aspect politique.

Les auteurs du livre ont été frappés par l’approche « presque scientifique » des textes sacrés que font la plupart des djihadistes : « Ils insistent sur l’idée qu’il ne faut pas suivre aveuglément un texte que l’on ne comprend pas. Ils en appellent à la raison individuelle pour aborder la religion et promeuvent le dialogue contradictoire et le débat pour approcher la vérité ».

Les seules choses qui ne se discutent pas sont la réalité de Dieu et les injonctions du Coran (y compris les commandements de meurtre).

Or, sur ces points, la rhétorique que notre société démocratique et laïque oppose peut apparaître comme faible et, parfois, injuste.

Faible car une personne portée par une ferme conviction s’affirme plus facilement qu’une personne qui doute, n’a pas de fondement solide, ou a seulement celui de la liberté. Injuste parce que la laïcité à la française – les djihadistes le lui reprochent tous – est parfois brandie pour exclure le religieux de la sphère publique.

Un vécu, soit dit en passant, aussi éprouvé par nombre de minorités spirituelles dans notre pays…

« Nul n’est innocent »

La rationalité des djihadistes est aussi philosophique : si Dieu existe et est partout, le hasard n’existe pas et l’intérêt de l’homme est de faire la volonté de son Créateur. C’est ce que disent aussi bien d’autres religions, comme la chrétienne qui enjoint à ses adeptes d’aimer Dieu « par dessous tout » !

La question de l’existence divine (et quel Dieu s’il existe ?) n’a pas été tranchée définitivement. La laïcité est une réponse a minima qui s’avère aujourd’hui incomplète, insuffisante, face à la vitalité de la religion musulmane (« la loi révélée est supérieure à la loi des hommes ») qui nous oblige, en quelque sorte, à reprendre la controverse à nouveaux frais.

Autre justification avancée par les djihadistes : la différence entre les discours droitdel’hommistes et les comportements impérialistes, cupides et violents de beaucoup de pays occidentaux, vus comme des « mécréants ». Voir, selon eux, ce qui s’est passé en Algérie, en Irak, en Syrie, en Libye, en Afghanistan, au Mali : « Tuer, ce n’est pas que mal, dans l’islam, ça peut être légitimé de même que, dans le Code pénal, on peut tuer par légitime défense. Les démocraties aussi tuent, bombardent, font des guerres ».

Abdel, par exemple, justifie les attentats de Paris au motif que nul n’est innocent dès lors que le gouvernement à été normalement élu : « Ils [les Français] sont tellement à l’ouest que, quand ils se font tuer, ils se posent la question : pourquoi ? On n’a rien fait, on est innocents ! On a un dirigeant pour lequel on a voté et qui démarre une guerre ! […] Mais là, si on est là, on boit et on s’amuse quand l’armée de son pays combat, eh bien, on doit subir ! »

Enrichir notre modèle de laïcité

Discours horrible d’insensibilité, certes, mais non dénué de logique. « Nous sommes en guerre », nous a-t-on souvent répété. Au nom de quoi cette guerre épargnerait-elle l’un des belligérants ?

« La puissance de la cause qui anime ces combattants, concluent les chercheurs, est une réalité. » Les entretiens qu’ils ont eu avec les djihadistes démontrent une « volonté forte et continue de vivre dans un système islamique, un califat ou Etat islamique, seul à même de permettre, selon eux, la pleine réalisation de leur foi, inévitablement bridée en Occident, et singulièrement en France. »

L’élimination physique annoncée de Daech ne signe en aucune façon la fin de son idéologie.

D’où l’urgence qu’il y a, selon nous, à revisiter, pour l’enrichir et le renforcer, notre modèle de laïcité.

 

La lutte antisecte en France vue comme une lutte de l’État pour conserver son « pouvoir symbolique »

Étienne Ollion.

Il est très rare qu’un scientifique ose s’aventurer sur le terrain hypersensible de l’analyse de la politique antisecte française. Comme le dit Étienne Ollion dans son dernier ouvrage, « l’identité de sociologue [n’est] pas la plus valorisée parmi les opposants aux sectes. J’avais noté que les différents chercheurs en sciences sociales des religions étaient, dans les médias, relativement critiques à leur égard. Je n’avais par contre pas saisi l’ampleur des rancœurs de chaque côté. Pour de nombreuses personnes dans les associations [antisectes], il y a en effet deux ennemis : les sectes, et leurs défenseurs. Et, parmi ces derniers, les sociologues étaient bien représentés ».

A tel point que « membres d’associations ou responsables des pouvoirs publics, tous considéraient les sociologues comme des compagnons de route des sectes, dont il fallait se défier. (…) C’est là une des propriétés des terrains clivés : on y trouve deux camps bien distincts, entre lesquels il n’existe pas de position médiane. Toute tentative de prise de distance par rapport à l’un des pôles est alors immédiatement interprétée comme une prise de position en faveur de l’autre ».

Historien

Si Étienne Ollion a pu mener à bien, malgré cela, son enquête auprès des parties en lice, c’est parce qu’il a pris soin de se présenter au début comme « historien » : sans cela, « il est probable que je n’aurais pas pu commencer tout simplement ». Il ne précise pas dans son livre s’il a dévoilé par la suite sa véritable identité.

Le fait est que le résultat de son travail est instructif. Il permet de prendre un peu de hauteur par rapport aux polémiques habituelles sur la question.

Précision importante donnée par le chercheur, précision que nous partageons : « Afin d’éviter d’alourdir le texte, le terme de secte est utilisé tout au long de ce texte sans guillemets, quand bien même la réalité est justement l’objet de débats, qui traversent tout l’ouvrage ».

L’attention d’Étienne Ollion s’est portée non seulement sur le « fonctionnement concret » de l’État, mais sur son « pouvoir symbolique » (Bourdieu), sur « sa capacité d’imposition sur les manières de voir des individus qu’il gouverne. Le caractère structurant des l’action des pouvoirs publics sur les subjectivités individuelles est ici un élément central ». Il agit « de manière durable [sur] les normes de bonne conduite » dans la société.

Éducation, santé, vie en société

« Éducation, santé, vie en société : tous ces aspects font en France l’objet d’une prise en charge particulièrement active de la part des pouvoirs publics. Ainsi, « plutôt que des frontières religieuses, c’est parce que ces groupes [ces sectes] avaient en commun de transgresser des normes d’État, établies de longue date et régulièrement répétées par des pouvoirs publics aux importantes capacités de diffusion, qu’ils se sont vus accusés de sectarisme en France – et moins dans d’autres pays. (…) Plutôt que comme une controverse sur les bonnes formes de religion, la “lutte contre les sectes” gagne donc à être pensée comme une controverse autour des bonnes pratiques de soi, ces normes relatives au comportement individuel et à la vie en société. Or ces normes sont, en France, largement façonnées par l’État, qui dessine les contours de ce qui est souhaitable et de ce qui ne l’est pas. Lutte pour la raison selon ses partisans, la lutte contre les sectes est en fait un combat pour une raison cautionnée par l’État ».

D’où le titre, à double sens, de l’ouvrage.

Le chercheur prend pour exemple la notion d’« emprise », « si souvent mobilisée quand on parle de secte. Depuis les années 1970, ce terme s’est imposé pour parler des groupes accusés de sectarisme. Le concept a été tellement utilisé qu’il est devenu quasi-synonyme de terme de secte lui-même. (…) Sans même entrer dans les débats relatifs à la réalité de l’emprise, il apparaît clairement que ce qui se joue dans l’accusation sectarisme, c’est la possibilité que certains comportements puissent être désirés (nous soulignons). Considérés comme insensés et fruits d’une nécessaire manipulation pour certains, ils sont certes atypiques mais compréhensibles pour d’autres. En creux, ce que dessinent les controverses autour de l’emprise (et des sectes), ce ne sont donc rien d’autre que les frontières entre ce qui est acceptable et ce qu’il ne l’est pas – pour une personne ou dans une société donné ».

Obsession

L’ouvrage d’Étienne Ollion montre effectivement comment le problème sectaire, longtemps porté dans l’indifférence générale par l’Église et des associations familiales, n’est devenu prégnant dans la société française qu’à partir du moment où l’État a pris les choses en mains, jusqu’à ce que la question soit devenue pour lui une « obsession ». Il a mis en place un puissant dispositif législatif, administratif, répressif et de communication que seule la réprobation internationale a réussi à freiner.

L’État a alors modifié ses modalités d’intervention, les rendant plus discrètes, en donnant aux associations les moyens financiers et législatifs nécessaires pour faire le travail qu’il ne pouvait plus politiquement assumer : « Tout se passe comme si les pouvoirs publics avaient cherché à organiser une diversité des oppositions [aux sectes] qui leur permettait de se dégager d’une activité à la légitimité de plus en plus contestée. Cette diversité organisée a en retour eu une fonction de validation de l’action publique, puisqu’elle permettait de cautionner [cette] action publique par une « demande sociale » elle-même largement organisée par l’intérêt qui est suscité par le sujet, comme par la présence d’associations demandeuses qui ne pourraient être si audibles sans les nombreuses subventions publiques ».
La boucle ainsi bouclée rend « relativement improbable une remise en cause frontale du dispositif français. [Et] la méfiance vis-à-vis des personnes ou des groupes qui promeuvent des normes alternatives dans les domaines de l’éducation, de la santé ou de la vie en société risque de se poursuivre ».

> Étienne Ollion, spécialiste de sociologie politique, est chercheur au laboratoire Sage, CNRS, université de Strasbourg.

> Raison d’État. Histoire de la lutte contre les sectes en France, La Découverte, Paris, 2017, 272 p.

Reconnaissance des médecines douces par la Suisse: un compromis original

Impensable en France ! Dès le 1er août 2017, les dépenses en médecine anthroposophique, homéopathie classique, médecine traditionnelle chinoise et phytothérapie pourront être remboursées par le régime d’assurance maladie de base sans plus aucune limitation dans le temps. Et surtout, à cette date, ces disciplines auront, dans le système de santé suisse, exactement le même statut que celui de la médecine conventionnelle.

C’est ce que vient d’énoncer la nouvelle règlementation de « l’obligation de prise en charge des prestations de médecine complémentaire (MC) par l’assurance obligatoire des soins (AOS) ». Lors de sa séance du 16 juin 2017, en effet, le Conseil fédéral helvète a approuvé les nouvelles dispositions d’ordonnances mettant sur pied d’égalité les MC, administrées par des médecins, avec les disciplines conventionnelles.

Cette reconnaissance des quatre MC concerne uniquement les prestations fournies par les médecins ayant un titre de spécialiste et disposant d’une formation postgrade dans l’une de ces disciplines complémentaire.

Durant leur formation universitaire, les futurs médecins, pharmaciens, dentistes, vétérinaires et chiropraticiens doivent maintenant acquérir des « connaissances adéquates » sur les MC.

Évaluation

L’acupuncture, actuellement remboursée par l’AOS sans limite de durée, sera elle aussi mise au même niveau que les quatre nouvelles disciplines reconnues.

L’Office fédéral de la santé publique, le ministère suisse de la santé, est le maître d’œuvre de la nouvelle politique en matière de médecines complémentaires.

Le 17 mai 2009, le peuple et les cantons avaient largement (par 67% des voix) accepté un nouvel article constitutionnel (art. 118) sur la prise en compte, par le système de santé public, des médecines complémentaires. Cet article contraint la Confédération et les cantons à pourvoir à la prise en compte des MC. Il avait été proposé par le Parlement en contre-projet à l’initiative populaire « Oui aux médecines complémentaires » qui exigeait la prise en compte complète des MC dans le système de santé suisse et qui avait été retirée.

Depuis 2012, l’AOS remboursait les prestations de la médecine anthroposophique, de la médecine traditionnelle chinoise, de l’homéopathie et de la phytothérapie. Cette prise en charge était cependant limitée à fin 2017.

Pour mettre en œuvre le mandat populaire, le Département fédéral de l’intérieur (DFI) a suspendu, en 2013, l’évaluation, qui était en cours, de ces quatre disciplines. Il a ensuite demandé à l’Office fédéral de la santé publique (OFSP, ministère suisse de la santé) d’élaborer, en collaboration avec les milieux concernés (administrations, médecins conventionnels et complémentaires, hôpitaux, assureurs, etc.), une solution alternative pour une prise en charge obligatoire des prestations de la médecine complémentaire en respectant les « principes d’efficacité, d’adéquation et d’économicité » (principes EAE).

Pour concrétiser ce processus, l’ordonnance sur l’assurance-maladie (OAMal) et celle sur les prestations de l’assurance des soins (OPAS) furent adaptées.

Principe de confiance

La procédure de consultation prit fin le 30 juin 2016. Après bien des débats, rendus particulièrement ardus par la difficulté d’évaluer globalement l’efficacité des MC en question, un consensus fut trouvé. Les quatre MC seront placées sur un pied d’égalité avec les disciplines médicales classiques.

À certaines conditions (tradition de recherche et d’application, preuve scientifique et expérience médicale, formation postgrade), les prestations de la médecine anthroposophique, de la médecine traditionnelle chinoise, de l’homéopathie et de la phytothérapie, administrées par des médecins, seront soumises au « principe de confiance » et prises en charge par l’AOS. Le principe de confiance suppose que « les médecins ne fournissent que des prestations qui remplissent les obligations d’efficacité, d’adéquation et d’économicité ».

Les autorités politiques et médicales ont donc choisi de faire confiance aux hommes de l’art ainsi qu’à leur système de formation pour mettre en œuvre les traitements en MC que les citoyens suisses ont réclamé à une forte majorité.

Une commission pour les prestations controversées

Seules « certaines prestations controversées » seront examinées, tout comme pour les autres disciplines médicales conventionnelles. En cas de problème, en effet, si par exemple une méthode est expressément critiquée par certains, un dispositif particulier est prévu. Les prestations controversées, tout comme les nouvelles d’ailleurs, sont évaluées sur demande par une Commission fédérale des prestations générales et des principes (CFPP).

En principe, toute personne ou organisation intéressée peut déposer une « demande de prise en charge des coûts d’une prestation nouvelle » ou « remettre en question le remboursement d’une prestation ».

La demande est déposée en règle générale par un professionnel (fabricant, hôpital ou groupe hospitalier, société médicale) ou, occasionnellement, par une organisation de patients, par un assureur ou par l’OFSP lui-même.

Et c’est le DFI qui tranche en définitive, décidant si la thérapie ou la prestation mérite ou non son remboursement par le régime général.

Pour que le principe de confiance puisse s’appliquer, les prestations doivent se fonder sur les éléments suivant :

(Source : OFSP)

200 techniques de médecine complémentaire

Par ailleurs, d’autres médecines douces (médecine ayurvédique…) peuvent faire l’objet de prestations fournies par des thérapeutes non médecins. Elles ne relèvent pas de l’AOS et sont couvertes par des assurances complémentaires privées. Celles-ci ont établi des listes de disciplines qu’elles acceptent de couvrir.

A noter que dans ce domaine, le secrétariat d’Etat à la formation, à la recherche et à l’innovation (Sefri) avait validé très officiellement le 28 mai 2015, le diplôme de « naturopathe ». Une première en Europe ! Un examen similaire pour les thérapeutes complémentaires est en cours d’évaluation. A l’avenir, ces diplômes fédéraux seront une condition d’obtention des autorisations cantonales d’exercer.

Aujourd’hui en Suisse, quelque 3000 médecins et 20 000 thérapeutes non médecins utilisent près de 200 techniques de médecines complémentaires (source : OFSP).

Ainsi, grâce à un système politique ouvert à l’initiative populaire et à leur art du compromis, les Suisses sont parvenus à intégrer cinq médecines complémentaires dans leur système de santé, médecines douces qui sont désormais considérées, du point de vue professionnel, politique et social, au même titre que les disciplines classiques.

Suisse : les dépenses en quatre médecines douces remboursées dès le 1er août 2017

En Suisse, par décision du Conseil fédéral du 16 juin 2017, les prestations médicales de la médecine complémentaire (médecines douces) seront définitivement remboursées par l’assurance maladie de base. Les nouvelles dispositions mettent sur un pied d’égalité les médecines complémentaires, administrées par des médecins, avec les autres disciplines médicales remboursées par l’assurance obligatoire.

Par cette décision, le gouvernement reconnaît que la médecine complémentaire remplit les exigences légales, notamment celles de l’article 32 de la loi sur l’assurance-maladie qui « permet de rembourser uniquement des prestations efficaces, appropriées et économiques ».

Dès le 1er août 2017, les dépenses en médecine anthroposophique, homéopathie classique, médecine traditionnelle chinoise et phytothérapie pourront être remboursées par le régime général. La condition est que ces méthodes soient appliquées par des médecins académiques ayant une formation complémentaire reconnue par la Fédération des médecins suisses (FMH).

L’acupuncture (une des méthodes de la médecine traditionnelle chinoise), actuellement remboursée sans limite de durée, est mise au même niveau que les quatre disciplines prises en charge.

Enseignement et recherche

Cette décision, qui intervient après une longue controverse, est particulièrement intéressante pour celles et ceux qui ne peuvent pas payer une mutuelle et pour les personnes pour lesquelles la médecine conventionnelle présente des risques importants.

Les représentants de la médecine complémentaire, la Fédération de la médecine complémentaire (Fedmedcom), l’intergroupe parlementaire Médecine complémentaire et l’Union des sociétés suisses de médecine complémentaire (Union), saluent cette décision du Conseil fédéral, qui met en œuvre une des revendications de la votation du 17 mai 2009 par laquelle le peuple suisse avait accepté une prise en compte de la médecine complémentaire dans la santé publique.

Reste encore à encourager, selon les professionnels des méthodes complémentaires, l’enseignement et la recherche dans les universités. La révision de la loi sur les professions médicales devrait prévoir une intégration des branches médicales de la médecine complémentaire dans les catalogues de formations et d’examens pour les médecines humaine, dentaire et vétérinaire.

Cela pourra aussi passer par la création d’instituts et de chaires dans les universités.

 

 

L’affaire Christophe Delaval, agriculteur passible de quatre ans de prison : un inquiétant procès à double fond

Christophe Delaval. Photo : JL ML

Il faudrait un livre entier pour détailler cette histoire inquiétante par les interrogations qu’elle soulève ! Comme nous l’avons écrit dans un article précédent, le 5 avril 2017, devant le tribunal correctionnel, la procureure de Châlons-en-Champagne (Marne) a requis quatre ans de prison contre Christophe Delaval. Ni le juge ni la presse et encore moins la procureure n’ayant exposé l’affaire dans son entièreté, Ouvertures, qui s’emploie à défendre des citoyens « inécoutés » et injustement traités par les pouvoirs, s’est plongé dans le dossier. Nous n’en abordons ici que les éléments les plus marquants.

Ce que nous avons découvert est effarant. En fait, selon nos observations, M. Delaval est surtout victime de partis pris d’administrations et d’instances qui ont eu pour résultat la spoliation des biens de sa famille. Lui-même ne possède aucun bien, étant dessaisi en raison de sa liquidation judiciaire non close depuis 2004.

Le tribunal de grande instance de Châlons-en-Champagne (Marne) a rendu son verdict (jugement du 7 juin 2017). Christophe Delaval est  condamné à trois ans de prison (dont deux fermes), à une amende de 50 000 € et à une interdiction définitive d’exercer une activité industrielle ou commerciale. Sa mère Ghislaine Delaval, née Raussin, est elle punie d’une peine de deux ans de prison (dont un an ferme) et à une amende de 20 000 €.
Christophe et sa mère, après avoir été dépouillés de plusieurs de leurs terres et sociétés, doivent en outre verser autour de 1,6 millions d’euros € de dommages-intérêts, dont 255 000 € à la Mutualité sociale agricole (MSA) !

S’il a pu commettre des maladresses, voire des erreurs, sa volonté de nuire et de frauder n’est nullement prouvée. En effet, M. Delaval a toujours agi dans l’intérêt de sa famille, n’a jamais tiré aucun profit personnel des actes reprochés dans la procédure et, last but not least, n’a causé aucun préjudice aux sociétés prétendument spoliées, qui appartiennent toutes exclusivement aux membres de sa famille (parents, épouse, sœurs, enfant) ! Toutes sont immatriculées et domiciliées en France et elles effectuent les opérations liées à leurs activités dans les banques de l’Hexagone.

Incarcéré huit mois en “préventive”

Alors comment se fait-il qu’il ait été condamné à la faillite personnelle (10 mars 2008) à 3 ans d’interdiction de gérer (31 mars 2010), qu’il ait été « préventivement » incarcéré durant 8 mois en 2012 puis définitivement interdit de gérer (5 février 2014) ? Et qu’il risque dans quelques jours d’écoper d’une peine de quatre ans de prison ?

Comment se fait-il que, le 20 juin 2012 :

– une cinquantaine de gendarmes ait investi différents lieux appartenant à des membres de sa famille, procédé à cinq perquisitions ainsi qu’à une cinquantaine d’interpellations et gardes à vue ?

– Christophe Delaval ait été appréhendé, que les gendarmes lui aient fait part de leur satisfaction d’avoir arrêté le « cerveau de l’affaire », ajoutant : « Au cas où vous n’auriez pas été présent à 6 heures du matin, nous avions prévu l’assistance d’un hélicoptère pour vous intercepter ! »

Comment se fait-il :

– que toutes les sociétés appartenant à des membres de sa famille seront rapidement mises en liquidation (six sociétés dès fin 2012) suite à l’arrêt de leurs activités, arrêt décidé par l’administrateur judiciaire ?

– que ses parents soient mis dans l’obligation, en tant que cautions des sociétés, de régler les créances des banques ?

– que Christophe Delaval soit formellement interdit de contacter sa femme, une de ses filles, ses parents, ses sœurs, au total dix personnes jusqu’au procès ?

Pourquoi ce déploiement impressionnant de procédures et de contraintes ?

Un « escroc » d’envergure

Parce que le système institutionnel et médiatique a considéré que M. Christophe Delaval était un « escroc » d’envergure, ayant élaboré tout un montage financier, au travers de multiples sociétés, pour tromper son monde !

Le village des Delaval, près de Châlons-en-Champagne (Marne).

La présence des Delaval et des Raussin-Dommange (côté maternel) dans la région de Châlons-en-Champagne (Marne) date d’avant la Révolution. Au cours des générations, cette famille d’agriculteurs-éleveurs a constitué un patrimoine voué à l’agriculture. Les parents Delaval, Henri et Ghislaine (née Raussin), demeurant à Saint-Germain-la-Ville, ont trois enfants, Christophe, Marielle et Blandine. Les deux sœurs participent aux différentes sociétés constituant le patrimoine global, estimé à plusieurs millions d’euros, Christophe agissant en tant que « chef de famille ».

Pour diversifier leurs activités, les Delaval ont mené une politique d’acquisition et de création de sociétés (agricoles, immobilières, énergétiques), toutes immatriculées officiellement en France et, pour la plupart d’entre elles, à Châlons, dans la région natale et résidentielle de la famille.

Saint-Germain-la-Ville signalée par une épingle rouge sur la carte de France (document Google).

En toute transparence, les membres de la famille détiennent seuls les parts sociales de chacune d’entre elles, avec les responsabilités inhérentes (sociétés civiles indéfiniment responsables) et cautions vis-à-vis des banques. Conséquence de cet accroissement de patrimoine, les parents Delaval paient régulièrement l’impôt sur la fortune (ISF).

Ce patrimoine englobait, au moment des événements (2012) que nous allons décrire, une douzaine de sociétés propriété des parents et trois sociétés, propriété des sœurs, Christophe n’en possédant plus aucune. Ce dernier consacrait tout son temps et son énergie à faire fructifier ces biens pour le compte de sa famille. Il ne s’est jamais enrichi personnellement, ce qui rend incompréhensible les accusations d’escroquerie et de blanchiment d’argent ainsi que la sévérité des condamnations dont il a été l’objet.

Cet agriculteur, qui s’engageait progressivement dans le bio, risque de retourner en prison après une longue série de procédures, parfois très violentes, qui l’ont meurtri ainsi que tous les membres de sa famille.

Le contentieux avec la MSA

Pour tenter de comprendre les dessous de cette affaire, il faut remonter au début des années 1990, époque à laquelle Christophe Delaval et son compagne à Marie-Odile Remy (qui plus tard deviendra son épouse) choisissent de souscrire auprès d’une compagnie privée, Amariz, un contrat d’assurance-maladie. Ils sont tous deux agriculteurs et contestent le monopole de la Mutualité sociale agricole (MSA). Ils sont membres de la Confédération de défense des commerçants, artisans, agriculteurs (CDCA, syndicat aujourd’hui disparu), dont le leader, Christian Poucet, fut assassiné en 2001, une affaire à ce jour non élucidée.

Les Delaval militent pour le droit de cotiser à la prévoyance de leur choix, selon une interprétation de deux directives européennes datant, respectivement, de 1989 et 1992 supprimant le monopole de la Sécurité sociale (et de la MSA par conséquent).

L’Etat français conteste cette interprétation des textes européens. Néanmoins, la France sera condamnée pour non-respect des directives européennes à une astreinte journalière de 241 000 €.

Le débat est toujours d’actualité. Certaines associations militent toujours pour faire reconnaître le droit de s’affilier à une autre instance. Le 11 mars 2017, une nouvelle étape vers la fin du monopole a été franchie, même si l’arrêt de la Cour de cassation ne dénonce pas l’existence du monopole mais ses conditions d’attribution.

Le site de la MSA.

En 2004, la MSA, suite à des arriérés de cotisations (15 000 €), obtient les redressements judiciaires de Christophe Delaval et de Marie-Odile Remy.

La brutalité et la rapidité de la sanction semblent sans commune mesure avec les faits reprochés. Pourtant, ce coup de tonnerre n’est que le signe annonciateur de la tempête qui va s’abattre sur la famille Delaval.

De guerre lasse, le couple d’agriculteurs contestataire finit par rentrer dans le rang et, à partir de 2007, règle « normalement » ses charges sociales à la MSA.

En 2007, différents contrôles fiscaux sur deux ans (TVA, SFP, ISF, IRPP) concernant tant Christophe Delaval que ses parents et ses sociétés ne donnent lieu qu’à des redressements dérisoires (total 4000 €).

Mis sur écoute

En 2008, M. Delaval est mis en faillite personnelle pour une durée de dix ans, au motif d’une absence de comptabilité à laquelle pourtant, en tant qu’agriculteur individuel, il n’est normalement pas soumis ! Il se défend jusqu’en Cassation, obtient gain de cause avec renvoi devant une autre Cour d’Appel. Malheureusement, en raison d’une faute de l’avocat (non saisine de la cour d’appel de renvoi), la faillite est définitivement actée. Sa femme, Madame Remy, elle-même condamnée à quinze ans d’interdiction de gérer, n’a pas la force de se pourvoir contre cette décision.

En 2009, la confusion est grande. Les relations se tendent entre M. Delaval et certaines administrations et instances, et particulièrement la MSA. D’autant que cette dernière constate des retards de paiement des charges de l’agriculteur — qui se débat dans de grandes difficultés.

Cette même année, la MSA obtient le redressement judiciaire de deux structures de la famille, deux décisions qui sont annulées, l’une en 2009, l’autre en 2011 pour absence de fondement.

Nous voici en 2010. La MSA, refusant une conciliation obligatoire, assigne le couple Delaval-Remy devant le tribunal de commerce et celui de grande instance pour « retenue de précompte salarial » de près de 40 000 € pour une de leurs sociétés de l’époque. La veille de l’audience, la MSA modifie ses conclusions indiquant qu’après réactualisation de la dette, il n’était plus dû que 1 001 € ! Néanmoins, des condamnations sont prononcées : respectivement 6 mois et 3 mois de prison avec sursis avec interdiction de gérer pendant 3 ans.

De surcroît, saisi par le parquet, suite à une information de la MSA, le juge d’instruction Delpierre ouvre alors une enquête. Christophe Delaval est mis sur écoute.

Perquisitions, interpellations, gardes à vue, emprisonnement

Le 20 juin 2012, une cinquantaine de gendarmes perquisitionnent cinq adresses de la famille Delaval. De nombreux documents sont saisis sans que les Delaval puissent y avoir accès ultérieurement, ce qui aura des suites désastreuses, la défense ne pouvant pas, dès lors, être correctement assurée. Trois contrats d’assurance-vie des parents de Christophe sont saisis, représentant 500 000 €, au motif qu’ils n’ont pu être souscrits qu’avec de « l’argent frauduleux ». Ceci a permis au juge Delpierre de placer la mère de Christophe Delaval sous contrôle judiciaire avec interdiction de gérer.

Parmi les motifs de l’incarcération de M. Delaval, on peut lire que “les écoutes téléphoniques révèlent qu’il a de très nombreux contacts à l’étranger et notamment dans les pays de l’Est qu’il convient donc d’éviter qu’il soit tenté de se soustraire à la justice”. C’est vrai que Christophe était en lien avec des Roumains et des Polonais, comme beaucoup d’agriculteurs qui vendent du matériel d’occasion. De là à le soupçonner de vouloir fuir à l’étranger…

Une cinquantaine d’interpellations et de gardes à vue est réalisée. Le lendemain, Christophe Delaval est incarcéré « préventivement » à l’issue de sa garde à vue. Pour lui, cet emprisonnement, qui durera huit mois, était en fait une mise à l’écart pour éviter qu’il guide sa famille vers des choix de défense adéquats.

Le 10 juillet 2012 paraît un article dans le journal local l’Union, lequel constitue la seule source d’« information » pour l’opinion publique. Sur trois colonnes, le quotidien régional présente les soupçons des enquêteurs comme des faits avérés et titre : « Écroué pour une série de malversations, l’agriculteur cultive la fraude et récolte la prison ».

Sur un ton ironique, le journaliste parle de la mise au jour d’une « nébuleuse » de sociétés « pompes à fric », maniées « en sous main » par « l’incorrigible » Christophe Delaval malgré son interdiction de gérer, coupable par ailleurs de « fraude fiscale », ce que l’enquête n’a jamais démontré. Ses proches sont tétanisés par la violence de la charge. Surtout que pas un mot n’est accordé dans cet article à la défense. L’étiquette d’escroc va désormais coller à la personne de l’agriculteur poursuivi.

Des membres de sa famille accordent même du crédit aux accusations portées par la gendarmerie à l’encontre de Christophe, croyant avoir été trompés. Le doute s’installe dans leur esprit. Beaucoup se détournent alors de lui.

Grève de la faim

Sûr de son bon droit, l’agriculteur fait la grève de la faim, ce qui lui vaudra, après sa libération, une obligation de soins sous le motif de « difficultés psychiatriques apparues en détention »…

C’est la stupéfaction, bien sûr chez les premiers intéressés, mais aussi dans le voisinage et toute la région.

Ghislaine Delaval, la mère de Christophe, également poursuivie, connaîtra son sort ce 7 juin 2017. Photo : JL ML.

Pour expliquer les mouvements financiers qualifiés de litigieux, il suffisait, selon Christophe Delaval, de vérifier leur objet en regardant dans les grands livres comptables la façon dont ces sommes avaient été enregistrées. Selon sa mère, Ghislaine Delaval, il ne s’agissait nullement d’abus de biens sociaux ni de blanchiment d’argent, mais de remboursements à un associé de sommes qu’il avait mises en « compte courant », pratique très courante, mais que les enquêteurs présentent comme une manipulation frauduleuse.

Ghislaine Delaval a demandé officiellement au juge d’instruction copie des grands livres comptables des sociétés pour justifier des mouvements financiers considérés comme frauduleux par le juge Delpierre. Ce dernier refuse par ordonnance d’en communiquer copie en invoquant que Mme Delaval n’était plus gérante et que ces documents appartenaient aux sociétés concernées.

En février 2014, les beaux-parents et un ami agriculteur de Christophe sont expulsés manu militari de leurs terres par un commandant de gendarmerie qui les menace de « mettre le feu à la ferme s’ils ne se laissent pas faire ». Une enquête de la police des polices est diligentée sur ces faits.

« Les gendarmes ont fait leur travail »

La même année, la cour d’appel de Nancy le condamne à une « interdiction définitive d’exercer une profession commerciale ou industrielle, de diriger, administrer, gérer ou contrôler une entreprise ou une société ». La procureure, en avril 2017, basera l’essentiel de son accusation sur la prétendue violation par Christophe de cette interdiction et justifiera par ce motif son souhait de le voir en prison.

En juillet 2014, Christophe présente une requête aux fins de désignation d’un expert comptable judiciaire pour « mieux apprécier la nature et les responsabilités encourues » par les inculpés. Le juge Delpierre lui répond par ordonnance son refus en expliquant : « Les gendarmes ont fait leur travail ».

Comment, dans ces conditions, assurer équitablement la défense ?

En 2015, Ghislaine Delaval est sanctionnée d’une faillite personnelle (pour la gestion d’une société qui n’avait pourtant aucune dette).

Le conflit avec la Direction départementale de l’agriculture (DDA)

En 2007, les Delaval font face à de grandes difficultés. Ils sont éligibles à des primes européennes, versées sous certaines conditions aux agriculteurs, et destinées à compenser les pertes d’exploitation imputables à la politique des prix imposée par l’Europe. Mais, en raison d’atermoiements administratifs, certaines de leurs fermes ne les perçoivent pas.

En effet, pour en bénéficier, les exploitations doivent justifier auprès de la Direction départementale de l’agriculture et de la forêt (DDAF) d’un « relevé parcellaire ». Or, la délivrance du document est de la compétence exclusive de… la MSA. Celle-ci traîne des pieds puis finit par le leur transmettre deux ans plus tard, deux ans pendant lesquels les fermes font face à des difficultés de trésorerie.

En décembre 2010, deux recours sont introduits devant le tribunal administratif par les Delaval pour faire valoir un préjudice de 120 000 €/an.

Alors qu’ils peuvent prétendre à bénéficier d’une mesure agroenvironnementale (MAE) visant à la conversion à l’agriculture biologique, ils en sont privés, abusivement selon eux. Dans ce cadre, deux autres fermes familiales des Delaval dont s’occupe Christophe, ont le même type de souci, avec un préjudice global s’élevant à 320 000 €.

Les Delaval doivent introduire un recours hiérarchique en mars 2012 auprès du ministère de l’agriculture et saisir le tribunal administratif qui les déboutera. Sur appel de cette dernière décision, la Cour administrative de Nancy rendra en avril 2012 deux arrêts opposés, l’un acceptant, l’autre rejetant le recours alors que les deux fermes invoquaient exactement les mêmes arguments.

Les terres liquidées sont désormais dans le giron de la Safer.

Interdiction de contacter sa femme, une de ses filles, ses parents, ses sœurs, dix personnes en tout

Pour résumer la suite de l’histoire, une fois l’interdiction de gestion prononcée à l’encontre de Ghislaine Delaval, sa première avocate lui conseille en juillet 2012 de demander la nomination d’un administrateur provisoire. Elle obtempère. Mais, en novembre de la même année, l’administrateur (dont la famille pense qu’il a pour mission de protéger son patrimoine) ordonne la mise en redressement puis la liquidation judiciaire de la quasi totalité des sociétés ! Ghislaine Delaval est écartée de la vente de ses biens, des contestations de créances des banques… mais pas de sa qualité de caution.

A ce jour, la situation des parents Delaval, avant tout jugement sur le fond, est la suivante : la totalité de leur patrimoine est hypothéquée jusqu’à trois fois et tous les placements ont été saisis ou nantis. Leur retraite mensuelle – pour deux – est de 1531 €. Mais, après saisie sur rémunération, ils ne perçoivent que 1201 € pour vivre… et payer leurs avocats. Ils ont dû emprunter de l’argent à quelques amis. Toutes les demandes d’aide juridictionnelle leur ont été refusées.

Malgré les 250 000 € dépensés en honoraires d’avocats, la famille Delaval n’a pas pu jusqu’à ce jour faire vraiment entendre son point de vue face au rouleau compresseur médiatique, administratif et judiciaire.

Jusqu’au procès du 5 avril 2017 dont Ouvertures s’est fait l’écho, M. Delaval avait interdiction formelle de contacter sa famille. Y compris dans le cadre de la préparation de son divorce (décidé en 2012), le refus de conciliation ayant été ordonné par le juge d’instruction Delpierre !

Pour conclure, Christophe Delaval assure avoir seulement fait tout ce qu’il lui était possible pour conseiller et accompagner les sociétés de la famille, sans commettre d’« actes de gestion » proprement dits et sans que personne ne soit lésé. L’agriculteur de Saint-Germain-la-Ville s’élève contre la violence et le grand nombre d’« irrégularités » ayant émaillé, selon lui, les différentes procédures engagées contre lui et sa famille. Par exemple, le tribunal de grand instance a requis 373 000 € d’amende pour un prétendu préjudice envers la MSA, alors que ni celle-ci ni le fisc n’ont demandé le moindre euro au liquidateur judiciaire des sociétés.

Au cours du procès, la procureure a cherché à démontrer que la violation de l’interdiction de gérer, son principal grief, était caractérisée de multiples façons. Cette violation méritait bien, selon ce qui ressortait du ton moralisateur employé par la procureure lors de son réquisitoire, quatre ans de prison !

Verdict le 7 juin 2017.