Journalistes ou citoyens, qui défendra la liberté d’informer ?

Plusieurs analystes américains spécialistes des médias tirent la sonnette d’alarme : les médias seraient de moins en moins enclins à porter devant la justice les atteintes à la liberté d’informer et à la transparence, laissant ce rôle contentieux et coûteux à la société civile.


Diane Saint-Réquier est journaliste multimédias et blogueuse.

Alors que Wikileaks et le désir omniprésent d’Open Data ont profondément changé le rapport du public aux autorités qui le gouvernent, il semblerait que les citoyens et les associations prennent de plus en plus en charge un rôle qui incombait traditionnellement aux journalistes et aux groupes médias : la défense de la liberté d’informer et de la transparence des organisations gouvernementales. Devant les plus hautes instances judiciaires s’il le faut.

Freedom of Information, une liberté durement gagnée

Pour RonNell Andersen Jones, professeure à l’université de Brigham Young et auteure d’une étude publiée en 2010 sous le titre de « Contentieux, Législation et Démocratie », il ne fait aucun doute que ce sont pourtant les journalistes, qui, par le passé, ont contribué à faire adopter des lois en ce sens. Les qualifiant même d’ « instigateurs et responsables de l’application des lois », elle estime que sans les fonds et la volonté d’une poignée de journalistes, le Freedom of Information Act ( FOIA) n’aurait jamais vu le jour. Ce texte, signé en juillet 1966 par Lyndon Johnson après avoir été botté en touche par 3 présidents successifs et 27 agences fédérales, constitue aujourd’hui le fondement de la liberté d’informer outre Atlantique puisqu’il oblige les agences fédérales à transmettre leurs documents à quiconque en fait la demande, et ce quelle que soit la nationalité du demandeur.

Moins de moyens, moins de procès

Historiquement, donc, les médias ont eu un rôle primordial dans la marche vers une plus grande transparence du gouvernement. Mais les finances des journaux, télévisions et radios sont en berne depuis quelques années, ce n’est pas un secret. Conséquences : des suppressions de postes de journalistes d’investigation (les plus susceptibles de mettre en marche une bataille légale pour accéder à des informations) et une rigueur budgétaire où les dispendieuses actions en justice sont mal vues. Les effets sur l’engagement judiciaire des médias n’ont pas tardé à se faire sentir, puisqu’une association américaine, la National Freedom of Information Coalition (NFOIC), a révélé dans une étude publiée en août 2011 que « 60% des avocats des médias interrogés ont noté une diminution du nombre de procès touchant à la transparence gouvernementale par des organisations médiatiques au cours des cinq dernières années ».

Quelques exceptions

Quelques grands groupes continuent à dépenser temps et argent, et font figure d’exceptions qui confirment la règle. Ainsi, en ce moment, la Cour Suprême des Etats-Unis examine une affaire opposant la Commission Fédérale des Communications et le groupe Fox Television autour d’une éventuelle législation à paraître, qui empêcherait la diffusion de programmes contenant des obscénités, même « fugaces » sous de peines de très lourdes sanctions ou amendes. Par obscénités, entendez l’usage de mots crus, ou la nudité partielle. Problème soulevé par Fox, qui est d’ailleurs soutenu dans ce combat par d’autres grands groupes médias : cela rendrait implicitement impossible la diffusion de tous les Live, où l’on ne sait par définition jamais vraiment ce qui va arriver. Ce qui pourrait sembler n’être qu’une bataille anecdotique est en réalité une guerre juridique qui a d’ores et déjà été très coûteuse pour Fox.

Les citoyens prennent le relais

Mais pour ce qui est des questions d’accessibilité de l’information et de transparence gouvernementale, c’est la société civile qui, de plus en plus, mène les actions juridiques… aux côtés des groupes médias plus modestes ! Ainsi, 41% des avocats des médias et 46% des membres de la NFOIC questionnés pour l’étude de la NFOIC (voir lien ci-dessus) ont constaté une augmentation du nombre d’affaires portées par des associations et/ou des particuliers en renfort de groupes de presse, de radio ou de télévision. Aux Etats-Unis il existe aussi plusieurs organisations dont la mission est d’épauler les reporters en quête de clarté, en leur offrant un soutien logistique, financier et judiciaire.

Omerta sur l’hexagone

Quid de la France ? On ne peut qu’imaginer une tendance similaire d’un transfèrement du rôle juridiquement militant des organisations médiatiques vers les associations citoyennes, voire vers les particuliers, puisque l’affaiblissement monétaire touche aussi les groupes français. On ne peut que l’imaginer car il est impossible de trouver des chiffres précis, couverts par une omerta qu’on a du mal à comprendre. Pour ce qui est des saisines à la Commission d’accès aux documents administratifs (la CADA, autorité administrative indépendante née en 1978, et que l’on peut considérer comme l’équivalent français du Freedom of Information Act), c’est à peine si l’on découvre, en lisant le rapport d’activité 2010, que celles déposées par des journalistes sont minoritaires, mais on ne connait ni leur nombre, ni leur évolution sur les dernières années. Quant aux dépôts de plaintes par des journalistes ou groupes médias dans le cadre de la défense de la liberté d’informer, ni Reporter Sans Frontières ni Légipresse n’a de statistiques à ce sujet, et pas question pour les avocats attachés aux groupes en question de communiquer là-dessus, un tabou bien français mais surtout tenace.

S’il est intéressant de voir que ce sont de plus en plus les citoyens qui se battent pour une transparence dont ils espèrent qu’elle force l’honnêteté chez leurs dirigeants, et si l’on peut évidemment saluer ce mouvement, qui à l’image des divers Occupy montre une responsabilisation des particuliers, on ne peut que déplorer l’apparent renoncement des médias à défendre leur liberté d’informer.