Cicns : « Le rapport de la Miviludes : une apparence d’action mais un résultat nul »

La Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) vient de publier son rapport 2009. Alors que l’ensemble des médias en reproduisent sans aucun recul les conclusions, Ouvertures a demandé son analyse au Centre d’information et de conseil des nouvelles spiritualités (Cicns). Pour lui, la Miviludes est une mauvaise réponse au phénomène des groupes alternatifs émergents, phénomène qu’il vaudrait mieux étudier méthodologiquement et avec impartialité plutôt que de le réprimer à l’aveuglette.

– Quelle analyse faites-vous du dernier rapport de la Miviludes ?

Marie-Christine Koenig, porte-parole du Cicns.

– Sous couvert d’efficacité, il n’affiche que des pages vides de faits. Il se contente de décrire l’important dispositif mis en place pour lutter contre un prétendu fléau social qui n’est jamais démontré ni étayé par des chiffres résultant d’une étude sérieuse. L’accroissement constant de l’arsenal de mesures et de services mis en œuvre contre les « sectes » donne une apparence d’action de grande ampleur, mais pour un résultat nul. Et à l’incompétence s’ajoute l’hypocrisie. Georges Fenech [président de la Miviludes], alors qu’il est lui-même l’artisan de la formation des magistrats dans ce domaine, reproche aux juges, dans ce dernier rapport, de se référer à la fameuse liste parlementaire  des sectes  de 1995 pour fonder leurs jugements, alors que cette liste n’a  pas de valeur normative. Or après l’annonce de la circulaire Raffarin  en mai 2005, Monsieur Fenech appuyé par deux autres députés antisectes publiait un communiqué stipulant que cette liste devait rester une référence pour le travail de prévention et de lutte contre les dérives sectaires, ce qui s’est bien confirmé depuis. Quand, en plus, on sait que la Miviludes est en train d’élaborer  un référentiel des mouvements susceptibles de dérives sectaires qui concernerait 600 groupes et pratiques, on atteint le comble de l’hypocrisie. Il s’agira bien d’une nouvelle liste noire, même si elle n’en aura pas le nom…

– Il paraît normal, cependant, qu’une vigilance soit exercée sur les risques que peuvent présenter des démarches nouvelles ou différentes de celles qui sont habituelles ou connues…

– Bien sûr ! Ce que nous critiquons, c’est l’amalgame systématique de quelques dérives qui sont des faits circonscrits à un ou quelques individus avec un courant de pensée en général. Toute personne qui commet des délits  doit être effectivement condamnée,  mais dans le cadre du droit commun, puisqu’il existe déjà toute une panoplie de lois pour cela. Pas besoin de créer un organe ni une législation spécifiques pour les minorités spirituelles et thérapeutiques ! Les mots « secte » ou « sectaire » ne doivent pas être réservés à une catégorie d’individus particulière. Il n’en existe d’ailleurs pas de définition juridique ni sociologique. Les dérives existent partout dans la société ! On a voulu  centrer l’idée de dérives sectaires sur quelques domaines particuliers, d’abord sur les minorités spirituelles et aujourd’hui sur les alternatives thérapeutiques. Mais pourquoi le rapport ne parle pas, par exemple, des dérives constatées au sein de l’église catholique ou des suicides à répétition dans certaines entreprises ?

– Quels sont ces quelques domaines ?

– L’action de la Miviludes s’est focalisée sur des groupes émergents et qui développent  des pratiques, des recherches, des démarches innovantes, en réponse aux problèmes non résolus par la société contemporaine. La Mission interministérielle dénonce ces approches qui sont particulièrement  actives précisément dans les domaines les plus en crise : éducation, médecine, spiritualité, violence chez les jeunes, etc. Elle rejette à priori leurs propositions. Par exemple, les parents qui veulent élever leurs enfants à la maison, dans un contexte mieux maîtrisé et plus sécurisé que dans bien des écoles, sont d’emblée suspectés de dérives sectaires. Or, quand on observe toutes ces démarches alternatives on voit qu’elles essaient en fait, pour la plupart, des voies humanistes et solidaires qui prennent en compte la personne dans sa totalité et qui pourraient sans doute contribuer au débat en cours sur « la violence à l’école ».  Parfois elles le font maladroitement peut-être, mais ce climat permanent de haine et de répression ne leur facilite pas la tâche. Au lieu d’entendre leurs propositions, on les stigmatise comme des criminels, on leur envoie les gendarmes, ou les membres de la Miviludes, qui deviennent les agents d’une police de la pensée.

Pourquoi n’intervenez-vous pas dans les médias pour alerter l’opinion ?

– Nous diffusons chaque année des dizaines de communiqués à toutes les rédactions,  mais celles-ci se limitent au son de cloche de la Miviludes  et des associations antisectes, qui est uniquement à charge : il n’y a aucune déontologie, aucun recul critique, c’est de la reproduction passive des rumeurs et des soupçons, la partialité est systématique, etc. Le sujet, pourtant, est d’importance et mériterait  des investigations sérieuses et contradictoires. Un exemple : Georges Fenech avance régulièrement  devant les caméras et les micros le chiffre de  80 000 enfants qui seraient en danger dans les sectes en France, alors que ces chiffres n’existent ni dans le dernier rapport parlementaire sur les sectes et l’enfance, ni dans les rapports de la  Miviludes. Monsieur Fenech a besoin d’annoncer des chiffres alarmistes pour susciter de la peur et de la suspicion dans l’opinion publique, car ce sont les ingrédients de son fond de commerce. Les médias reprennent ces assertions mensongères les yeux grands fermés contribuant à alimenter une psychose dans le grand public, psychose qui fait de l’audimat.

Et la télévision ?

– On nous sollicite parfois mais tant que nous n’avons pas la garantie du direct et d’un plateau équilibré avec un temps de parole équitable et sans être coupés, nous refusons de parler sur les antennes. Tous ceux qui ont tenté l’expérience ont été échaudés et ont vu leurs propos coupés ou déformés. Alors que le président de la Miviludes est invité partout avec quelques autres acteurs antisectes sans aucun contradicteur. En France, il est impossible d’avoir une vraie réflexion sur le sujet tant que la plupart des medias sont les haut-parleurs de la pensée dominante.

Que proposez-vous pour faire avancer ce dossier ?

– La Miviludes malgré son déploiement de moyens croissant et son vœu d’efficacité n’est manifestement pas la réponse adéquate pour observer et étudier ce phénomène social d’émergence des minorités spirituelles et des démarches thérapeutiques non conventionnelles. On peut regarder ce qui se passe à l’étranger, en Grande-Bretagne, notamment, avec Inform, un observatoire indépendant qui étudie ces manifestations nouvelles avec méthodologie, expertise et impartialité. En France, on ne cherche pas à observer les choses et encore moins à les comprendre. On combat à l’aveuglette, on liste, on dénonce, on stigmatise. Georges Fenech tente même de convaincre  nos voisins de créer une Super-Miviludes européenne qui serait un organe de répression avec à son bord uniquement des personnalités « antisectes » comme son nom le laisse prévoir : « Programme européen d’études sur les dérives sectaires et leurs dangers pour les Droits fondamentaux ». Le Cicns travaille depuis 7 ans à démontrer la nécessité d’un observatoire indépendant fondé sur une démarche de connaissance dont un projet est proposé sur notre site Internet.

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