Comment l’or ruine l’Afrique

Gilles Labarthe, journaliste de l’agence de presse suisse Datas, explique à Ouvertures comment l’or de l’Afrique continue d’être pillé dans une indifférence quasi-générale. Une enquête commencée par François-Xavier Verschave auteur de nombreux dossiers contre la politique française en Afrique et publiée par Gilles Labarthe dans un livre récemment paru (voir encadré).

Ouvertures.- L’Afrique produit beaucoup d’or, mais reste pauvre. Pourquoi?

Gilles Labarthe.- Plus de 80% des sites aurifères ouest et centrafricains de grande envergure sont aujourd’hui aux mains d’une poignée de multinationales, qui prétendent avoir découvert les gisements, alors que la quasi-totalité de ces derniers était déjà connue des orpailleurs locaux depuis bien longtemps. Les réformes des codes miniers mis en place dans la plupart des pays africains producteurs depuis la fin des années 1980, sous la pression des institutions financières internationales (FMI, Banque mondiale), ont conduit à privilégier les grandes compagnies d’extraction étrangères, aux dépens des petites sociétés minières d’État et, surtout, des mineurs artisanaux, qui pouvaient autrefois justifier de permis d’exploitation.Le secteur de l’or reste très opaque et la question de la redistribution des revenus se pose, comme l’indique l’ONG Oxfam.

Un exemple : en dix ans, le Mali est devenu le troisième exportateur d’or en Afrique, après l’Afrique du Sud et le Ghana. Ses exportations d’or ont triplé, dépassant les 56 tonnes en 2006. Dans le même temps, le pays a dégringolé dans l’Indice de développement humain des Nations Unies, tombant dans la catégorie des trois États les plus pauvres du monde. Les richesses sont mal redistribuées. Où vont les profits ? Où s’envole l’or ? Même les fonctionnaires maliens et responsables officiels du secteur des mines ont toutes les peines du monde à obtenir des informations complètes et transparentes de la part des grandes firmes occidentales sur les conditions d’extraction des ressources aurifères nationales. La campagne “ Publiez ce que vous payez ”, soutenue par trois cents ONG dans le monde entier, a pour principal objectif d’aboutir à ce que les compagnies extractives (pétrole, gaz et ressources minières) publient, de façon systématique et transparente, le montant des taxes et redevances de toute nature qu’elles versent aux États.

Enquête sur un scandale

L’Or africain Pillages, trafics et commerce internationalLa réalisation du livre-enquête , coédité en octobre 2007 par l’association Survie et l’ONG Oxfam France-Agir ici, constitue un exemple de ce que le journalisme d’investigation indépendant peut apporter pour étayer le travail d’ONG oeuvrant pour la justice sociale, le développement et une meilleure répartition des ressources mondiales. C’est ce type de journalisme, traitant de dossiers urgents et d’intérêt public, que veut promouvoir l’agence Datas. Créée en novembre 2004 avec Philippe de Rougemont, spécialiste des questions écologiques, Datas est la seule agence de presse indépendante en Suisse romande spécialisée dans les enquêtes et les reportages de terrain.

Sadiola, petite commune au sud-ouest du Mali. C’est dans cette région désolée que des multinationales travaillent aujourd’hui « avec des méthodes dignes de l'apartheid » : cadences épuisantes, normes de sécurité sans commune mesure avec celles des pays occidentaux, déversements d'arsenic et de cyanure, maladies étranges apparaissant dans les villages avoisinants : les cas de pollution et d’intoxication mortelles sont constatés sur place par Sambala Macalou, premier adjoint de la ville de Sadiola, mais aussi par Camille de Vitry, une documentariste marseillaise. Celle-ci enregistre des témoignages accablants.

Scandalisée par le mépris avec lequel les multinationales de l’or Anglogold et Iamgold, opérateurs de la mine de Sadiola, traitent les populations locales, Camille de Vitry décide de tourner un film. De retour à Paris, elle évoque la situation alarmante des mines d’or et de l’appauvrissement du Mali (malgré une production annuelle de 50 tonnes) à François-Xavier Verschave, président de Survie.

Survie est une association qui milite depuis une vingtaine d’années pour un assainissement des relations de coopération entre la France et l’Afrique. François-Xavier Verschave commence à démontrer que le commerce de l’or africain s'inscrit dans un système de prédation complexe, où se côtoient actionnaires, hommes politiques, mercenaires, services secrets et trafiquants de matières premières.

Frappé par un cancer, il disparaît en juin 2005, laissant un livre à l'état de projet. L’année suivante, Survie demande à Gilles Labarthe de poursuivre l’enquête…

Quels sont les principaux pays producteurs d’or en Afrique?

GL.- Il s’agit principalement de l’Afrique du Sud (une moyenne annuelle de 300 tonnes ces dernières années), du Ghana (plus de 75 tonnes), du Mali (50 tonnes en moyenne), de la Tanzanie (idem), de la Guinée et du Zimbabwe (de 10 à 20 tonnes selon les années), de la République démocratique du Congo… au total, plus de 34 pays africains produisent de l’or, réalisant un total de plus de 600 tonnes d’or par an – soit environ le quart de la production annuelle mondiale.

En quoi l’Afrique est-elle un continent stratégique dans le secteur minier?

GL.- Le Continent noir détient la moitié des réserves d’or mondiales identifiées. Après le pétrole, l’or représente un des cinq premiers marchés mondiaux dans le secteur des minéraux : il “pèse” environ 65 milliards de dollars par an. L’Afrique est de plus en plus convoitée par les multinationales d’extraction : outre les réserves d’or importantes, la part des recettes d’exploitation qui revient à l’État a été minorée à l’extrême (20%, voire même 0% comme c’est le cas d’une mine d’or au Botswana). La main d’œuvre africaine est très bon marché, les mouvements syndicaux vite réprimés et les normes environnementales, pas appliquées ou peu contraignantes. Résultat : la marge de bénéfice réalisée par les grandes compagnies minières occidentales est plus importante que dans n’importe quel autre endroit de la planète. Depuis une dizaine d’années, avec la hausse spectaculaire du cours de l’or, les investissements étrangers montent en flèche dans le secteur aurifère, surtout en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale.

La BEI interpellée sur ses investissements en Afrique

La Banque européenne d’investissement (BEI) a annoncé dernièrement qu’elle soutiendrait l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE). L’ITIE vise à assurer la transparence des revenus générés par les industries extractives, en établissant l’obligation pour les entreprises de publier les sommes qu’elles paient, et aux gouvernements de révéler ce qu’ils reçoivent.

Les ONG saluent le soutien de la BEI à l’ITIE mais soulignent le « contraste majeur entre les objectifs de développement et de transparence dont cette initiative est porteuse, et les pratiques récentes de la BEI ». En particulier, elles dénoncent le prêt de la BEI au projet minier de Tenke Fungurume en République Démocratique du Congo (RDC). Ce projet, qui couvre l’un des plus riches gisements de cobalt et de cuivre vierge au monde, est « connu pour son manque de transparence et les soupçons de corruption qui l’entourent », selon le collectif Counter Balance – Réformer la BEI.

Les Amis de la Terre, qui font partie de cette coalition, ont publié l’an dernier un nouveau rapport «Banque européenne d’investissement : six ans (2000-2006) de financement du pillage minier en Afrique». Selon l’association, la BEI « a choisi de s’impliquer massivement dans le secteur minier en Afrique. Pourtant, les effets positifs de l’industrie minière sur le développement sont très contestés, alors que ses impacts environnementaux et sociaux sont souvent désastreux. En outre, la BEI choisit de s’engager dans ce domaine extrêmement controversé alors qu’elle ne possède aucun standard lui permettant d’en gérer les conséquences. La BEI montre en effet un retard considérable en matière de transparence, de normes environnementales et sociales, de procédure et d’expertise, y compris par rapport aux autres bailleurs publics internationaux (Banque mondiale, banques régionales de développement), pourtant eux-mêmes critiqués pour leurs pratiques ! ».

J-L M-L

Quelles sont les trois plus grandes multinationales de l’or opérant en Afrique?

GL.- Notre livre d’enquête décrit entre autres les activités polluantes des trois plus grandes multinationales d’extraction (“majors”) qui se disputent la première place sur ce marché, et qui sont omniprésentes en Afrique : AngloGold (Afrique du Sud), Barrick Gold (Canada) et Newmont Mining (USA). Ces trois compagnies, soutenues par le gratin de la haute finance internationale, produisent elles seules chaque année plus de 500 tonnes de tout l’or extrait sur la planète. Elles sont régulièrement dénoncées pour pollution à large échelle et violation des droits de l’homme. Le dossier noir présente aussi les méthodes d’autres compagnies de dimension plus modeste (“juniors”), associées à ces géants de l’or, qui mènent sur place une politique de prospection et d’acquisition très agressive, souvent aux limites de la légalité.

Qui sont les principaux acheteurs sur le marché mondial?

GL.- Les principaux acheteurs de la production d’or africain extrait par ces trois compagnies anglo-saxonnes sont des grandes banques commerciales comme la Royal Bank of Canada, J. P. Morgan, Union de Banques Suisses (UBS) ou la française Société Générale. Ces banques occidentales avancent aux multinationales précitées d’importants crédits finançant l’exploitation industrielle de l’or sur les plus importants gisements en Afrique. Ces crédits sont gagés sur la production d’or.

Pour les actionnaires comme pour les grands établissements bancaires, l’industrie de l’or représente un des placements les plus rentables. Valeur-refuge par excellence, l’or conserve un bel avenir. Son cours actuel a dépassé son plus haut niveau depuis 1980, avoisinant 20 000 € le kilo. La demande est importante, comme toujours en temps de crise. La bijouterie et l’horlogerie de luxe absorbent environ 80% de la production.

Quels problèmes pose l’extraction de l’or?

GL.- Nous partons, dans notre livre, de l’exemple des communautés de Sadiola, au sud-ouest du Mali, qui dénoncent depuis dix ans la pollution effroyable causée par l’extraction industrielle de l’or par les multinationales. Déversement des eaux polluées, intoxications au cyanure, normes de sécurité mal appliquées, déplacement massif des populations locales : les mêmes ravages sociaux et environnementaux sont aussi dénoncés depuis longtemps au Ghana, comme en Tanzanie, notamment par l’Organisation de la société civile africaine, une coalition de vingt-neuf ONG représentant quinze pays, travaillant dans le secteur de l’extraction minière ou concernées par ses répercussions. Qui va payer la facture sociale et environnementale liée à l’exploitation industrielle de l’or ? Certainement pas les multinationales d’extraction, qui cherchent à se décharger du coût lié à la réhabilitation des sites. La somme des dégradations écologiques et des atteintes à la santé provoquée par l’exploitation des mines d’or à ciel ouvert – qui sont les plus polluantes – va ruiner les régions productrices pour des générations à venir. Un rapport américain avance déjà le chiffre de 55 milliards de dollars pour réparer les dégâts. On peut estimer qu’il faudra quelque 16 milliards pour dépolluer les sites en Afrique.

Que peuvent faire la société civile africaine et les ONG internationales?

GL.- Outre les ravages causés à l’environnement, il s’agit de lutter contre les injustices sociales. La mobilisation est très large. Le secteur de l’or concerne autant la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH), qui s’insurge contre les conditions inhumaines d’exploitation – comme au Mali – qu’Amnesty In
ernational, qui a documenté de crimes commis en 1996 sur le site minier de Bulyanhulu en Tanzanie. L’exploitation de l’or, souvent associée à des activités de mercenariat, peut se révéler encore plus meurtrière dans des régions en conflit, comme dans les provinces de l’est en République démocratique du Congo. L’or risque de financer des mouvements armés, comme l’avertit l’ONG de défense des droits de l’homme Human Rights Watch (HRW). Il représente aussi l’un des principaux vecteurs du blanchiment d’argent, au niveau international.

On a parlé du “processus Kimberley” pour lutter contre les “diamants du sang”. Peut-on imaginer un processus de certification similaire pour l’or ?

GL.- Les experts du Conseil de sécurité des Nations unies le recommandent. Ils y travaillent même depuis plusieurs années. Rien n’a encore abouti de manière officielle. En plus des phénomènes de contrebande, laquelle sert parfois à financer l’effort de guerre, l’origine de l’or est particulièrement difficile à contrôler : il peut être fondu et refondu, à l’infini…

Vu la porosité des frontières, le manque de moyens de contrôle dont disposent les Etats africains, la corruption ambiante, le caractère instable ou kleptocrate de certains régimes (République démocratique du Congo, République centrafricaine, Guinée, pour ne citer que ces pays-là), on peut raisonnablement estimer qu’un quart, voire un tiers de la production totale issue de l’orpaillage africain – estimée à 50 tonnes – est exfiltrée par des réseaux de contrebande. Ces réseaux, qui alimentent les marchés asiatiques, européens et américains de l’or, parviennent aussi à détourner parfois une part significative de la production issue de l’extraction industrielle, comme en Afrique du Sud.

En 1996, le gouvernement de Pretoria recherchait ainsi en Suisse plus de 7 tonnes d’or (soit une valeur actuelle avoisinant une centaine de millions de dollars) qui avaient été acheminés clandestinement vers l’entreprise suisse de raffinage Metalor. Le manque à gagner pour les Etats africains est considérable.

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