Dominique Touzé: «La subversion, aujourd’hui, c’est le sacré»


Dominique Touzé dans Une Saison en Sibérie – Photo: Dan Parigot

La première fois qu’alors étudiant il assista à une représentation théâtrale, Dominique Touzé s’ennuya mortellement. Aujourd’hui, 28 ans après, il est directeur artistique du Wakan Théâtre (Clermont-Ferrand) et des Pléiades (Le Puy-en-Velay) et comédien, deux métiers qu’il poursuit avec passion. Et avec le soutien d’un public nombreux qui le suit fidèlement dans ses innovations scénographiques : les "Spectacles-promenade". Il conte pour Ouvertures cet étonnant parcours qui l'a conduit des trépidations du punk-rock jusqu’aux abbayes où il aime interroger le Ciel dans une « saisissante proximité » avec les spectateurs. Qui en redemandent.

Ouvertures.- Comment vous est venue votre passion pour le théâtre?

Dominique Touzé.- Issu d’un milieu culturel vouant un culte aux livres, mais jugeant avec mépris et dédain les mondes du spectacle, je ne me destinais pas du tout au théâtre. L’occasion me fut donnée de découvrir mon propre intérêt pour la scène après une audition dont je n’attendais que l'obtention d'une unité de valeur pour certifier une licence de lettres. La directrice du Conservatoire d’art dramatique de Clermont-Ferrand, qui validait l’examen, prétendit que j’avais du talent. Elle me convainquit de faire un stage estival de théâtre. Il était animé par l'équipe de Jerzy Grotowski, qui concevait le théâtre comme une expression mystique, une mission, un don total, corps et âme, de soi. Pour moi qui ne m’éclatais jusqu'alors que dans une punk-rock attitude, ce fut un choc énorme, une volte-face irréversible. C’est à partir de là que prit naissance ma véritable vocation artistique.
Après une formation plus classique au sein d'un conservatoire et d’autres stages, dont certains avec le Centre international de recherche du théâtre (Cirt) dirigé à Paris par Peter Brook, autre figure légendaire du métier, je choisis de m’investir dans, et pour, la région de mon enfance : l’Auvergne. J’eus la chance que « Canossa », ma toute première création (que je viens de reprendre vingt ans plus tard sous le nom de « Une saison en Sibérie ») a tout de suite marché, et m'a propulsé dans le professionnalisme.

Au début des années 90, j’ai créé, avec mon épouse Danielle, également comédienne, et deux amis (décédés depuis), le Wakan Théâtre dont le nom fut un clin d’œil au Sacré vu par les Indiens d’Amérique.

– Les Spectacles-promenades sont devenus un peu votre marque de fabrique. En quoi consiste cette démarche ?

– Elle est devenue de plus en plus importante dans mon parcours professionnel, comme si elle s’y était d’elle-même peu à peu invitée, puis trouvant au fil du temps une place devenue essentielle. C’est une manière d'imaginer, puis de bâtir, du théâtre en partant d’un lieu étonnant, d’un personnage ou d'une anecdote historique ou mythique. C’est un moment festif et joyeux qui réunit artistes et public dans une étroite et rare complicité, dans une saisissante proximité ; où chacun s'instruit en s'émerveillant. Ce qui put être faussement apparenté au début à une sous-catégorie, un art théâtral mineur, parfois snobé par la profession, est finalement devenu une forme en soi – à part – très prisée du public, qui y reconnaît, non pas un "spectacle en costumes", mais une véritable innovation culturelle. Les décideurs, élus, et propriétaires de patrimoine ont suivi, soutenu puis encouragé cet engouement populaire. De nombreuses commandes ont suivi, et l'originalité du style s'est affirmée.

– Face aux nouvelles technologies, notamment au cinéma et à la vidéo, qu’est-ce que le théâtre peut dire aujourd’hui ?

– Ce que l'Homme de théâtre peut apporter d'irremplaçable, tient pour moi en deux choses. Pemièrement, la place essentielle et centrale accordée au texte. Un acteur seul, dans un monologue de quarante minutes (comme ce fut le cas dans ma dernière création), est inenvisageable au cinéma, en vidéo ou à la télé. La forme même de l'audiovisuel l'interdit. Au théâtre, si l’acteur a de la présence, de la sensibilité et de "l'intelligence du texte", il emportera le public et fera entendre au plus intime le texte.

Deuxièmement, la proximité charnelle, sensuelle et émotionnelle des acteurs avec les spectateurs plaît énormément et parfois même bouleverse aux tréfonds. Mes "Spectacles-promenade", dans lesquels les artistes sont à moins de deux mètres de chaque spectateur, favorisent, et jouent de, cette rencontre irremplaçable.

– Comment voyez-vous votre avenir ?

– Il y a de moins en moins d’argent pour le théâtre "absolument théâtral" et les coûts de production des spectacles sont de plus en plus élevés. Avec l’abandon progressif des aides de l’État, beaucoup de compagnies indépendantes sont en situation de survie. Même si les collectivités territoriales ont pris un peu le relais, elles sont très sollicitées et ne peuvent aider suffisamment tout le monde. Alors les crédits s'éparpillent et s'émiettent, remettant gravement en question le professionnalisme. Il ne faut jamais oublier que le théâtre c'est bien sûr d'abord un art, mais c'est aussi des métiers.
La question se pose pour moi de décider si je dois suspendre – ou m'amputer de – mes créations théâtrales pour des lieux scéniques conventionnels et me concentrer seulement sur les Spectacles-promenade?…

Dominique Touzé dans
Une Maison dangereuse
Photo: Dan Parigot

Un autre point difficile et attristant est la difficulté qu’il y a, en France, à travailler des textes ou des thèmes interrogeant les dimensions spirituelles ou sacrées. J’ai créé ces dernières semaines un spectacle-déambulatoire dans une église clermontoise, avec des artistes professionnels, mais bénévoles, autour de la figure très controversée et plurielle de Marie-Madeleine, notamment en utilisant des textes apocryphes. Ce ne fut pas un spectacle "religieux" ; même s’il a reçu le soutien d’une association culturelle catholique, il n’était pas « dans les clous » en terme de dogme. Eh bien, malgré la pleine adhésion des spectateurs, je ne suis pas sûr de pouvoir prochainement concrétiser cet essai par une création totalement professionnelle et aboutie. L’argent sera très difficile à trouver. Le soutien du public ne suffit pas : s’il permet de combler 30 % du budget d’une création, c’est déjà la preuve d'un succès populaire exceptionnel ! Un spectacle nihiliste – voire glauque ou obscène – faisant vainement de la provocation un but, trouvera son financement plus facilement. Ce qui touche au religieux est perçu comme tabou, risquant toujours d’attenter au principe de laïcité. Cela devient absurde : au nom du pluralisme laïc et humaniste, on finit par censurer, ou plutôt empêcher la réalisation (mais cela revient finalement au même…) d'expressions culturelles du Spirituel. Etre subversif aujourd’hui, c’est questionner le sacré !…

Fiche d’identité

Depuis 1990, date de création de la Cie, Dominique Touzé a conçu ou mis en scène l’ensemble des créations du Wakan Théâtre, 34 créations, dont 18 « Spectacles-promenade » qui sont devenus une sorte de spécialité-maison.

Il est également directeur artistique des Pléiades du Puy-en-Velay (Haute-Loire), saison artistique théâtrale, musicale et chorégraphique, pour interroger explicitement ou implicitement le sacré, en faisant référence aux traditions culturelles des trois religions monothéistes.

Dominique est par ailleurs régulièrement comédien avec d'autres Cies ou structures culturelles en Auvergne, notamment, le Centre Lyrique d’Auvergne, Le Festin (CDN de Montluçon), la Comédie de Clermont-Ferrand (scène nationale), Magma Performing Théatre, etc.

Il a été formé, entre autres, par le Théâtre Laboratoire du Polonais Jerzy Grotowski, et le Centre International de Recherche Théâtrale, du britannique Peter Brook, qui tous deux furent parmi les plus grands réformateurs du théâtre du XXe siècle.

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1 commentaire pour cet article

  1. J’ajouterai être subversif et moderne c’est questionner le sacré, on en peut nier que la foi est de plus en plus questionner par les jeunes générations qui sont à la recherche de nouveaux idéaux.
    Bravo pour votre travail.
    Un jeune comédien, metteur en scène.