Infotainment : quelle frontière entre information et divertissement ?

Interviewé par @rrêt sur images, le président de la Commission de la carte des journalistes dit s’interroger sur l’opportunité de renouveler la fameuse carte aux animateurs du Petit Journal (Canal+). Est-ce du divertissement ou de l´information ? Ouvertures a des idées sur le sujet…

Les frontières du journalisme se trouvent de plus en plus bousculées par l’explosion des nouveaux médias et des émissions d´infotainment (mélange de divertissement et d’information). Interviewé par Laure Daussy sur le site arretsurimages.net, Eric Marquis, le président de la Commission de la carte des journalistes, dit s’interroger sur l’opportunité de renouveler leur carte aux animateurs du Petit Journal (Canal+), qui doivent justifier tous les ans leur qualité de journaliste.

Auparavant, dit-il, « le Petit journal faisait parti du Grand journal, que nous avons considéré comme de l´information. Cette année, le fait que l´on parle du Petit journal et le fait que cela soit devenu une émission autonome nous incite à davantage faire attention. Il se peut que cela fasse débat au sein de la plénière de la commission, dont le rôle est de statuer sur le sujet. (…) A titre personnel, je pense que la question de ce renouvellement peut se poser.  (…) Je note que le Petit journal se trouve dans la rubrique “divertissement” sur le site de Canal+, comme le Grand journal d´ailleurs. En tant que membre du SNJ (Syndicat National des journalistes, NDR) je suis assez réservé sur le mélange des genres, assez réticent au concept “d´infotainment”. (…) Ce n´est pas parce que l´on utilise les mêmes outils – reportage, interview … – qu´il y a une démarche d´information derrière ».

Le problème, c’est qu’il n’existe pas de « définition officielle de ce que sont les tâches du journaliste. On peut le définir comme une recherche d´info, avec vérification, mise en perspective ».

“Qu´une partie de la réalité”

Mais en quoi, précisément, le Petit journal ne rentrerait-il pas dans cette définition ? Eric Marquis évoque alors une séquence où un ministre est auditionné par une commission de l´Assemblée : « Le Petit journal n´a montré qu´une partie de la réalité ».

L’argument du président de la Commission de la carte semble bien faible sur ce point. En effet, on pourrait adresser ce reproche à d’innombrables montages publiés dans les journaux télévisés par des journalistes. Des vues unilatérales, limitées, partiales ou tronquées sont le quotidien des chaînes !


Le philosophe des sciences
Karl Popper.

Ce n’est pas là qu’il faut chercher une différenciation nette entre information et divertissement, car, à ce compte-là, il faudrait retirer la carte à presque tous les journalistes.

Au-delà de la question précise du renouvellement de la carte, cette affaire peut nous inciter à réfléchir au démarquage à opérer entre une émission d´information et une émission de divertissement. Ce démarquage pourrait résider dans le fait d´accorder ou non un statut de “connaissance” aux informations diffusées ou débattues. On pourrait ainsi distinguer entre ce qui fait l’information journalistique et ce qui n’en est pas (qu’on parle de divertissement, de communication ou de propagande).

Pour comprendre, prenons l’exemple de la science. Selon l’épistémologue Karl Popper, ce qui sépare une connaissance scientifique des pseudo-sciences, ou de la métaphysique, c’est sa réfutabilité, c’est-à-dire la possibilité qu’elle maintient toujours ouverte d’être réfutée, remise en question par une connaissance nouvelle. Par exemple, la mécanique Newtonnienne a été réfutée par Einstein à cause de faits expérimentaux qu´elle ne pouvait expliquer. Elle peut être qualifiée de “science” parce que nous avons eu la possibilité de la mettre en question concrètement.

Inversement, l’existence des anges ne peut pas être prouvée par des mesures techniques : on y croit ou non. Cela ne veut pas dire qu’ils n’existent pas mais seulement que nous n’avons pas les moyens de les observer. On ne peut donc réfuter leur existence sur le plan des connaissances. L´existence des anges est donc une croyance (vraie ou non, là n´est pas la question).

Droits de réponse et correctifs

Si l’on veut dessiner une ligne de démarcation entre information journalistique et le reste, on pourrait la trouver dans une transposition de cette démarche. Serait une information journalistique une donnée qui, même ayant été vérifiée, accepte d’être mise en question par d’autres données. Les moyens sont simples à concevoir, ils existent en théorie mais sont rarement adoptés par les professionnels : ce sont les droits de réponse et les correctifs. Ces droits sont régulièrement bafoués, tout particulièrement dans le secteur de l’information audiovisuelle où les correctifs sont quasiment absents. Il faudrait que les médias engagent des politiques très volontaristes pour garantir l´exercice de ces droits.

S´ils souhaitent pouvoir se distinguer clairement de tous les autres modes d’expression qui émergent, ils ne pourront faire l’économie de cette exigence fondamentale : donner la priorité à la qualité de l’information en mettant tout en œuvre pour atteindre à chaque fois le plus haut degré de vérité de chaque information.

Ce qui implique, nécessairement, la possibilité pour le public de la contredire, l´amender ou la compléter. Les commentaires, s’ils représentent un progrès arraché par le Net, ne répondent que très imparfaitement à cette exigence.

Donner un statut de “connaissance” à l´information journalistique, cela impliquerait aussi que les journalistes et leurs employeurs s´engagent à respecter des procédures de fabrication de l´information bien plus rigoureuses que ce qui se fait actuellement. Il n´est pas certain qu´ils soient prêts à cette mutation qui tire vers le haut…

> Ouvertures a mis en oeuvre une application de cette idée en proposant à ses lecteurs un espace qui leur appartient en propre et ce, dans le corps même de l´article : un droit de réponse modéré à postériori.

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