La Belgique, première de la classe… hors de ses frontières?


Michel Wery.
Photo: JL ML.

Ce 19 mars 2008, le Parlement Européen a fêté le cinquantième anniversaire de sa première session, constituante. Depuis son installation, Bruxelles est devenue la véritable capitale de l’Europe, là où opèrent la Commission, certaines sessions du Parlement et les administrations d’une organisation interétatique dont le nombre de membres augmente au rythme des nouvelles adhésions.

Dans le même temps, Bruxelles assiste impuissante et attristée, à l’apparente agonie de l’Etat belge dont les députés semblent peu inspirés pour imaginer un avenir national commun après 175 ans d’existence.

Aujourd’hui, d’aucuns osent même parler de la fin possible de l’Etat belge et plus personne ne se risquerait à un diagnostic sur les chances de survie de la Belgique à long terme.
Les formules célèbres de l’humaniste Jules Destrée en 1912 : « Sire, il n’y a plus de Belges » ou de l’ancien premier ministre, Gaston Eyskens: « La Belgique de Papa a vécu » (1970) ont fait long feu. Actuellement, on en est à la formule du chef des séparatistes flamands, Bart Dewever : « la Belgique, c’est fini ». Chronique d’une mort annoncée ?

N’est-il pas étonnant d’observer en ce petit pays de cocagne le double mouvement, apparemment contraire, entre d’une part l’Etat Belgique à bout de souffle dont un nombre croissant de représentants de la nation osent suggérer que dans le fond les deux communautés du pays n’ont peut-être plus vraiment envie de vivre ensemble et, d’autre part, l’Europe qui au sein de la même capitale suscite une adhésion sans faille sinon même un engagement exemplaire de ce même personnel politique belge au service de l’idéal continental et international. « L’Union fait la force », devise de la Belgique depuis 1830, anime les esprits de ses élus dès lorsqu’il s’agit de l’Europe…
Pour la Belgique, par contre…


Des trams ainsi habillés circulent actuellement dans Bruxelles. La Ligue des Optimistes est une association belge selon laquelle "la réalité du monde est plus belle que ce que nous en montrent les médias ; la Belgique est encore un des pays les plus prospères et les mieux organisés du monde; les Belges sont formidables par leur diversité culturelle et linguistique".

« Petit pays, petit esprit » (selon le mot du Roi Léopold II) contorsionné de l’intérieur dans son impossible équation institutionnelle, étriqué dans sa névrose communautaire, la Belgique se montre par contre rayonnante, épanouie et toujours aux avant-postes de la pensée politique dès qu’elle s’ouvre au monde et inspire les nations en tirant de son chapeau des « modèles institutionnels inédits » auxquels personne n’avait pensé avant elle, et qui forcent l’admiration de tous.

Serions-nous devenus « un pays merveilleux mais surréaliste suspendu au seul fil de sa couronne » comme aimait à le dire Amélie Nothomb? Un pays qui ne tirerait justement pas de son ontogenèse contrariée les ingrédients du « génie belge », source de sa valeur ajoutée unique sur la scène internationale?

Qu’inspire chez nos jeunes compatriotes cette expérience de dévalorisation quasi-systématique, dans la bouche de leurs représentants, de l’image de leur pays ? Ne pourrait-elle pas, contre toute attente, susciter au cœur des Belges une envie profonde d’union, de synthèse et de rassemblement? Oui… mais plutôt ailleurs… nul n’étant prophète en son pays.

A un journaliste qui l’interrogeait sur les raisons de la violence verbale au sein de son assemblée parlementaire, l’ancien premier ministre belge Pierre Harmel répondit qu’il était somme toute préférable que l’on s’étripât au Parlement plutôt que dans la rue.
Là voilà, la tradition belge : des crises institutionnelles récurrentes et profondes, des compromis alambiqués, d’où l’expression « à la belge », et un peuple bonhomme qui de son histoire a retenu qu’il vaut mieux se démarquer des querelles partisanes de ses représentants… et vaquer à ses occupations créatrices de richesses.

Quant à ces représentants, ils ont toujours rêvé d’horizons plus larges… Leur éducation au compromis, dès leur entrée en politique, l’initiation à la « créativité institutionnelle à la belge » sans laquelle notre Etat ne serait plus, fait notre réputation, leur expertise, et s’exporte bien.
Ainsi, c’est un diplomate belge, le Baron Noterdame, qui suggéra la bonne formule pour mettre fin à la guerre des Malouines. Ce sont ces mêmes Belges qui amenèrent les belligérants à la table de discussion en Afrique Centrale après les terribles évènements du Ruanda.

La Belgique poussa même le concept de « droit d’ingérence », cher à Bernard Kouchner, l’actuel ministre français des affaires étrangères, jusqu’à introduire dans son code judiciaire sa loi, quasi unique dans le monde, de « compétence universelle » par laquelle le juge belge est habilité à poursuivre partout dans le monde, toute personne coupable de génocide, de crime de guerre ou de crime contre l’humanité, quelque soit la nationalité de la personne incriminée et quelque soit le lieu du crime. Citons parmi les personnes poursuivies Augusto Pinochet, Ariel Sharon, Fidèle Castro etc.
Ces différents exemples illustrent la position audacieuse et respectée de la Belgique dans le concert des nations. Aurait-elle donc elle aussi un idéal spécifique à promouvoir au-delà de ses propres frontières?

« Petit pays, petit esprit » ? ou tout simplement des hommes dans lesquels se reconnaissent en fin de compte les responsables venus de tous les horizons de la planète Terre. Car contrairement à son image d’Etat qui se délite de l’intérieur et qui ne respecte pas ses propres minorités pour de sombres questions de rapports entre communautés, la Belgique se réveille et se montre première de classe dès qu’il s’agit de mettre en application les grands principes de bonne gouvernance, de techniques pointues pour rapprocher, où que ce soit dans le monde, des points de vue apparemment inconciliables, d’imaginer des modèles institutionnels mariant l’eau et le feu.
Cette Belgique là serait-elle « prophétique » du grand village universel qui s’annonce, de la Tour de Babel que sera le monde de nos enfants, qui devra imaginer de nouvelles façons de vivre ensemble et d’organiser les relations entre les peuples et les cultures au sein même de territoires de plus en plus mélangés?

Petit pays au peuple attachant à qui les grandes puissances ne craignent pas trop de confier des missions emblématiques, la Belgique a sans doute une belle carte à jouer sur la scène internationale.

Né artificiellement de la volonté des grands du IXXe siècle qui voulaient se neutraliser par la création d’un état tampon composé de brics et de brocs postféodaux, cette Belgique là saura-t-elle préfigurer… le monde de demain ?

Michel Wery
Citoyen belge

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