L’arche de Noé végétale contestée

Des ONG de cultivateurs craignent que cette arche de Noé végétale soit un prétexte des industriels de la semence et des biotechnologies pour rassurer le grand public et rendre les paysans définitivement captifs, au grand détriment de la biodiversité naturelle. L’association Kokopelli vient de faire les frais de cette politique de captation de la biodiversité.

Semences - L’arche de Noé végétale contestée

La Global Seed Vault (chambre forte mondiale des graines) a été inaugurée le 26 février dernier, dans l’océan Arctique, sur l’île norvégienne de Spitzberg située à plus de 1 000 kilomètres du pôle Nord. C’est une immense caverne-réfrigérateur enfouie à 130 mètres de profondeur. Elle est capable, en théorie pendant des siècles, de conserver les semences de toutes les espèces vivrières de la planète (riz et blé, entre autres). Cet entrepôt glacé conservera, dans des conditions optimales à -18º C, des doubles des graines entreposées dans les 1 400 banques de gènes déjà existantes dans le monde. Plus de 4,5 millions de semences peuvent y être stockées, ce qui équivaut à environ deux milliards de graines, soit deux fois plus que le nombre de variétés cultivées dans le monde.

Ce projet est le fruit d’un accord tripartite entre le gouvernement norvégien, le Global Crop Diversity Trust et la Nordic Gene Bank. Le trust, financé et soutenu notamment par la Fondation Bill et Milinda Gates, la Fondation Rockefeller, Dupont/Pioneer, Syngenta AG, la Fondation Syngenta et la Fédération internationale des semences, les plus importants lobbies de l’industrie des semences, financera les opérations de cet arche de Noé végétale.

Empreintes génétiques

Le Réseau semence paysanne s’en inquiète fortement: «Nous sommes particulièrement préoccupés par cette initiative qui concentre en un seul lieu de la planète le futur de notre alimentation, commente Guy Kastler, le délégué général du collectif. En fait, bon nombre d’institutions et d’entreprises industrielles multinationales qui financent ce projet de cave de la fin du monde, mettent tout en oeuvre pour diminuer l’accès aux ressources génétiques vivantes actuelles et contribuent à leur anéantissement. Elles imposent partout des lois qui remettent en cause les droits des paysans de conserver, utiliser, échanger et vendre les semences reproduites à la ferme. Après avoir pris gratuitement dans les champs les semences sélectionnées par les paysans, l’industrie semencière y a imprimé ses empreintes génétiques destinées à marquer sa « propriété intellectuelle » protégée par des Certificats d’Obtentions Végétales ou des brevets. De plus, au nom du « libre marché », les lois interdisent peu à peu aux paysans d’échanger leurs propres semences. Elles les obligent ainsi à acheter celles de l’industrie, seules à pouvoir être inscrites dans les catalogues officiels requis pour toute vente. Dans de nombreux pays, les paysans n’ont même plus le droit de ressemer leur récolte».

Les demandes des paysans

Le Réseau semence paysanne demande, conformément aux accords internationaux sur la biodiversité(1):

  • que chaque pays de la planète reconnaisse et protège activement dans ses lois nationales et dans ses politiques agricoles les droits des paysans de conserver, utiliser, échanger et vendre les semences reproduites à la ferme ;
  • que toutes les semences enfermées dans les collections soient mises à la disposition des pays et des paysans à qui elles ont été prises, et que la priorité soit accordée à la conservation et au développement de la biodiversité dans les champs ;
  • que les sommes aujourd’hui consacrées aux recherches en biotechnologies végétales soient reconverties pour financer les programmes de sélection participative destinés à permettre aux paysans de continuer à contribuer à la conservation dynamique des variétés végétales et au renouvellement de la biodiversité en plein air.

 

Kokopelli condamnée pour vouloir défendre la biodiversitéL’association Kokopelli, la seule association en Europe de conservation des semences de la biodiversité, vient de faire les frais de cette politique que dénonce le Réseau semence paysanne. Elle vient d’être condamnée à 2.000 € pour le grainetier Baumaux et à 23.000€ pour l’Etat et la Fédération des industriels de la semence (FNPSPF).
«Il faut être réaliste, reconnaît Raoul Jacquin, paysan dans le Minervois et responsable des relations publiques de l’association Kokopelli, les semences que défend notre association, étant maintenues dans l’illégalité par une volonté politique, nous ne pouvions pas gagner ces procès. Malgré les directives européennes, les avis de l’ONU, du Sénat, de scientifiques et d’agronomes affirmant l’urgence de sauvegarder la biodiversité végétale alimentaire, l’Etat français refuse de libérer l’accès aux semences anciennes pour tout un chacun. C’est ce qui permet aujourd’hui aux magistrats d’infliger ces lourdes peines. Au Grenelle de l’environnement, on a dit : il faut sauver la biodiversité ! Alors pourquoi condamner une association qui sauvegarde avec ses adhérents et ses sympathisants, plus de 2500 variétés en risque de disparition ? Pourquoi condamner ces semences dont la FAO reconnaît qu’elles sont une des solutions pour assurer la souveraineté alimentaire, face aux dérèglements climatiques et à l’augmentation de la population mondiale ? Pourquoi les mêmes variétés, selon qu’elles sont vendues par Kokopelli ou d’autres opérateurs entraînent condamnation ou mansuétude ? Pourquoi les grandes surfaces vendent des fruits et légumes issus des variétés interdites à Kokopelli, en toute impunité ? ».
Semences - L’arche de Noé végétale contestée

Photos : http://seed.for.free.fr

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