Affaire Kokopelli

Le Gnis, une interprofession qui fait sa loi ?

Les procès contre l´association Kokopelli, spécialisée dans les semences de variétés anciennes, de la part du Gnis, de Graines Baumaux et de l´Etat, révèlent tous les enjeux qui gravitent autour d´une petite  graine : liberté de commerce, autonomie des paysans, biodiversité. Mais bien que défendant ces louables causes, Kokopelli pouvait difficilement s´en sortir face à une législation taillée sur mesure pour et par les gros semenciers.


Le site du groupement interprofessionnel des semences.

Le Groupement national interprofessionnel des semences (Gnis) défend les intérêts des semenciers. « Le secteur des semences est soumis à une pression réglementaire qui dépasse souvent le contexte professionnel. L´une des missions du Gnis est que les législateurs européen et français prennent en compte les préoccupations de la filière sur ces sujets », écrit le Gnis sur son site. Mais entre les professions représentées par le Gnis et les activités de Kokopelli, il y a un fossé.

Le cadre légal de l´interprofession agricole date de 1975. On le doit à Jacques Chirac, premier ministre, très sensible à la défense du monde paysan (version FNSEA…). Le statut d´interprofession agricole accorde un privilège de taille : la possibilité de faire appliquer ses propres lois au plan national. « Un accord conclu dans le cadre d’une organisation interprofessionnelle reconnue peut, à la demande de l’interprofession, être rendu obligatoire, par arrêté interministériel, à l’ensemble des membres des professions couvertes par le champ de l’interprofession : il s’agit, dans ce cas, d’un accord étendu ».

Ceci explique pourquoi la réglementation des semences est plus favorable (comme le montrent les déboires de Kokopelli) aux fabricants de semences industrielles.


Photo : Pr.D.

Ces derniers visent à élaborer des semences à haut rendement, dans des conditions « biotechnologiques ». Elles sont souvent dépendantes des intrants chimiques et de plus en plus manipulées, avec des capacités de reproduction moindres dans le champ (souvent des hybrides F1). L´intérêt des membres actifs du Gnis est que leurs clients rachètent chaque année des graines, afin d´amortir les coûts des certificats d´obtention végétale (COV) et de l´inscription au catalogue officiel. Cela restreint de fait le droit des paysans d´utiliser les semences issues de leur récolte.

Mais dans la même profession, d´autres semenciers, plus petits donc non représentés, travaillent « à l´ancienne » autour d´intérêts non moins louables : la biodiversité, l´autonomie des agriculteurs, la perpétuation du savoir-faire ancestral d´adaptation des semences (par la sélection massale), la satisfaction des consommateurs exigeants en termes de qualité gustatives ou nutritionnelles. Ils déplorent l´élimination de la concurrence des semences paysannes à cause de l´obligation de l´inscription au catalogue officiel.

Où sont les juristes ?

La loi est-elle bien faite dès lors qu´elle a été rédigée en amont par les juristes du Gnis ? Pas forcément, sous-entendait Nathalie Kosciusko-Morizet, devant une opinion publique sensible aux déboires de Kokopelli (en plein Grenelle de l´environnement).

« L´Etat ne dispose pas de juristes spécialisés dans le droit de la semence. D´ailleurs aucune chaire d´enseignement n´y est consacrée, déplore Guy Kastler, chargé des questions juridiques du Réseau Semences paysannes. C´est pourquoi l´État a tendance à renvoyer ses interlocuteurs, comme les rédacteurs de la loi ou les magistrats, vers la meilleure source à sa disposition, la compétence des juristes du Gnis… »

Le Gnis est le partenaire privilégié de l´État dans les négociations en cours à Bruxelles sur la nouvelle réglementation semences. Est-ce bien normal ? En février 2011, la confédération paysanne soulevait que « le gouvernement a désigné le représentant du Gnis pour défendre la position française sur les droits des agriculteurs lors de la prochaine réunion du Traité international sur les semences ».

Dernièrement, dénonce Kokopelli, « le ministère de l´agriculture a dépêché l´une des collaboratrices du GNIS, Isabelle Clément-Nissou, auprès de la Commission Européenne (DG SANCO), afin de rédiger le projet de loi sur les semences ! ». Cette personne connaît bien les préoccupations et le fonctionnement du ministère puisqu´elle y travaillait auparavant. «Les conflits d´intérêts qui consistent à permettre à l´industrie d´embaucher d´anciens hauts fonctionnaires afin d´utiliser à son profit leur parfaite maîtrise des rouages règlementaires, à confier la représentation de l’État ou la rédaction des textes règlementaires à des représentants de l´industrie privée, ou encore à nommer ces représentants du privé à des postes publics, ne sont pas réservés aux secteurs des médicaments ou des OGM », fait remarquer Guy Kastler.

Le droit de contrôle par délégation d´État

La Répression des fraudes elle-même n´a pas les ressources humaines nécessaires pour effectuer les contrôles du commerce et de la qualité des semences. Outre le fait de s´appuyer sur les conseils du Soc (le service officiel de contrôle et certification du… Gnis), les fraudes confient directement le contrôle des professionnels des semences à des salariés du… Gnis, qui contrôlent ainsi leurs propres employeurs.

« Premier pays producteur de l´Union européenne et troisième exportateur mondial de semences, la France est également l´un des premiers pays a avoir organisé un contrôle de qualité et une certification officielle obligatoire des semences et plants agricoles, rappelle l´interprofession sur son site. En 1962, la certification a été confiée par le ministère de l´agriculture au Gnis. Cette mission est assurée par le Service officiel de contrôle et de certification, le Soc.

« Le Soc est chargé de faire appliquer les règlements arrêtés par le ministère de l´agriculture pour la production, le contrôle et la certification des semences et plants. Il s´agit d´une certification officielle de conformité de produit qui, s´appliquant aux semences agricoles, garantit leur identité et leur pureté variétales, leur pureté physique, leur faculté germinative et, pour certaines espèces, leur qualité sanitaire ». Quant à leur goût, leur qualité nutritionnelle, leur impact environnemental, ces aspects ne figurent pas dans les informations données aux consommateurs.

La jurisprudence en faveur du Gnis

Objet de 6 000 infractions relevées par la Répression des fraudes en 2004, le catalogue aux 2 000 références de Kokopelli n´a pas franchement reçu l´aval des contrôleurs ! Ces procès-verbaux ont permis de condamner l´association à 20 000 euros, dans la première action intentée par l´État.

Après l´arrêt rendu par la Cour de justice européenne, Kokopelli, toujours en appel à Nancy pour se défendre contre la plainte des Graines Baumaux, s´apprête à essuyer un nouveau revers. Petit à petit, une jurisprudence favorable au Gnis se met en place, tout au moins face à Kokopelli (le plus vindicatif des petits semenciers traditionnels).

Ce n´est pas pour rien que le président de l´ESA (Association européenne des semences, à laquelle appartient la plupart des adhérents du Gnis via l´Union française des semenciers) se réjouit en ces termes après l´arrêt de la cour européenne : « La décision intervient à un moment très important. La Commission avait besoin de cette confirmation juridique de la Cour au moment où elle finalise sa proposition législative de révision de la législation européenne sur le commerce des semences ».

Pouvoir législatif, pouvoir exécutif (avec le Soc), quasi pouvoir de conseiller juridique de l´Etat enfin, le Gnis a visiblement carte blanche pour veiller sur tout ce qui pousse.

> Bien que l´Etat siège aussi au Gnis comme le rappelle l´organigramme, on est en droit de se demander si la loi sur l´interprofession est encore légitime. N´encourage-t-elle pas au contraire les conflits d´intérêts? En effet, la vocation du Gnis est très claire : « l´une des missions du Gnis est que les législateurs européen et français prennent en compte les préoccupations de la filière sur ces sujets ». Mais les préoccupations de la filière ne riment pas forcément avec les préoccupations environnementales (réduction des pesticides, biodiversité, etc). On voit mal comment l´État, avec une telle organisation du secteur, peut assurer correctement l´arbitrage de tous ces enjeux. Ouvertures a contacté le Gnis, le ministère de l´agriculture et madame Isabelle Clément-Nissou qui n´ont pas pour l´instant répondu à nos sollicitations.

> Voir aussi : Les variétés anciennes sèment la discorde.

Pour aller plus loin :

>> Envoyer un droit de réponse

2 commentaires pour cet article

  1. Ne voit-on pas revenir au niveau végtal le rêve/cauchemard de la pureté…”variétale” ? Celui de remplacer les fondements de la diversité naturelle et des équilibres millénaires par une réalité toute neuve, imaginée par l´homme, qui saura mieux faire que cette nature imparfaite, et projetée par lui sur la nature ?

  2. Encore et encore des lois et des décisions de justice faites pour favoriser les grands groupes de semencier. Les lois européennes la PAC, et les groupes semencier et phytosanitaire ont déjà tué notre agriculture, nos agriculteurs, et la terre qu’ils cultivent. La nature de la graine s’inscrit dans un cercle vertueux, pousser, donner une plante qui produit fruits ou légumes et ensuite des graines qui permettent de continuer son cycle. Les graines des grands groupes ont pour seul but d’obtenir des rendements élevés, sans que le cycle naturel de la plante puisse se poursuivre.
    Faites l’expérience et vous comprendrez.
    A quand la graine unique sans maladie qui permet de produire à la fois fruit ou légume, en baissant vos couts de production et en augmentant vos profits, alors vite à vos éprouvettes et tubes à essai.
    Juste une chose, faites ce que vous voulez mais laissez nous la liberté de choisir !!!!!!