Lois de bioéthique : nos cerveaux les intéressent

Les politiques commencent à saisir leurs responsabilités face aux nouveaux outils de manipulation du cerveau. Placer des implants embarqués dans la boîte crânienne, généraliser les traitements de l’humeur, utiliser l’expertise des neurobiologistes pour dépister les « troubles de conduite » ou pour optimiser les campagnes publicitaires… Ces perspectives sont incontestablement des choix de société qu’il faut baliser et encadrer par la loi.

Coupe de profil d'un encéphale grâce à l’IRM (imagerie par résonance magnétique) : on voit le cerveau, essentiellement les hémisphères cérébraux (en haut, en vert, jaune et rouge), le cervelet (en bas et à gauche, en jaune et rouge) et le tronc cérébral (au milieu, en rouge). CNRI/Science Source/Photo Researchers, Inc.

Deux députés Alain Claeys (PS, Vienne), connu pour ses travaux sur l’appropriation du vivant, et le biologiste Jean-Sébastien Vialatte (UMP, Var) préparent des propositions dans ce domaine dans le cadre de la révision des lois de bioéthique. Pour les préparer, ils ont organisé, le 26 mars dernier au Palais Bourbon (Assemblée nationale, Paris), l’audition de quinze experts en neurosciences, philosophes et sociologues, ou porteurs de débats dans ce champ. Un parcours qui a permis de cerner les avancées des neurosciences, la compréhension actuelle des maladies mentales, les représentations et répercussions affectant la société. L’objectif étant d’envisager par des échanges, les régulations et adaptations législatives à prévoir.

La séance a montré des capacités croissantes en matière d’observation et d’intervention sur le cerveau. François Berger, spécialiste des implants cérébraux (Grenoble) a témoigné de la banalisation des recours à la stimulation profonde par électrodes, puisque 40 000 parkinsoniens ont été implantés dans le monde depuis 1995 avec des stimulateurs cérébraux (« brain pacemakers »). Des indications nouvelles se profilent (enfants dystoniques, dépressions sévères, TOC (troubles obsessionnels compulsifs), paraplégie, processus dégénératifs…), notamment avec le recours à des nanodispositifs prochainement expérimentés au sein de la clinique – interne au CEA – appelée Clinatec (Voir l’article de la VivAgoVeille n°5 de janvier 2008, Le projet Clinatec est-il démocratiquement soutenable ?).

« Doper la nature humaine »

Les usages des neurosciences pour le neuromarketing (le publiciste Omnicom, vient d’investir dans les neurosciences), pour le recrutement ou les assurances sont en plein essor mais les neurobiologistes considèrent que ces enjeux sociétaux n’appartiennent pas à leur champ disciplinaire. De même, la mouvance transhumaniste qui entend « doper la nature humaine » (en intervenant notamment sur le cerveau) ne semble pas soucier la communauté, interpellée pourtant par le philosophe Jean-Michel Besnier (Paris IV – Sorbonne) : « Le flou fait partie de vos responsabilités ». Ce dernier estime que les neurosciences, dans une vision mécaniste de l’esprit, accréditent l’idée d’une dépossession de l’initiative, posant la volonté comme une illusion.
Si la logique de la recherche scientifique est légitime, il n’est pas sûr qu’elle serve dans le court terme à inventer des solutions face aux souffrances et aux maladies psychiques alors même qu’elle présente cet objectif comme prioritaire. « Les chercheurs abusent de la justification de soins pour drainer de l’argent », reconnaît Hervé Chneiweiss (Inserm, Collège de France).

Quel sera le statut de l’âme ou de la conscience ?

Au cours des auditions menées dans le cadre de cette loi bioéthique, certaines questions ont abordé un terrain à la frontière entre la science et la philosophie.

Ainsi, face aux avancées des connaissances physico-chimiques, neurologiques et biologiques du cerveau, nous nous trouverons devant la nécessité de définir par exemple que sera « le statut de la conscience, de la pensée, de l'âme ou de la volonté ». Un effort supplémentaire devient nécessaire, de la part des philosophes, des religieux et des humanistes en général pour approfondir et affiner leurs positions. Il va leur falloir mieux connaître et comprendre les découvertes actuelles pour asseoir leurs théories et leurs convictions.

En effet, il ne faudrait pas que les sciences élaborent seules les bases des futures décisions politiques. Le citoyen doit également être tenu très informé des énormes enjeux qui se cachent derrière ces projets. On peut, à cet égard, féliciter le très important travail de vulgarisation et de débat que conduit Vivagora, avec beaucoup de rigueur, depuis des années.

JL ML

Les préconisations issues du cycle 2007 de l’association VivAgora – seule association à être invitée à s’exprimer – ont été rappelées : notamment le besoin d’informer, de faire participer le grand public sur les priorités (outils de recherche versus efforts de soin), la nécessité d’évaluer les programmes au regard des besoins des malades), l’importance qu’il y aurait à limiter la pression de l’industrie sur les prescripteurs, soulignée notamment par le Rapport sur le bon usage des médicaments psychotropes.

Cerveau mis sous cloche

Pour développer des orientations politiques dans le champ neuroéthique, il sera essentiel d’être en prise avec la clinique et ses immenses inconnues concernant les pathologies mentales. Le sujet est bien le malade dans son environnement et non le cerveau mis sous cloche. C’est pourquoi un des arbitrages fort à mener concerne la clarification des légitimités et rôles. L’approche scientifique n’est qu’une dimension dans le champ de l’expertise psychiatrique et le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) a déjà pris position à ce sujet (voir son avis sur l’expertise sur les troubles de conduite).

Enfin, un des défis les plus redoutables pour le législateur sera la question du dopage cérébral : qui va décider de la frontière entre réparation et amélioration ? Qui arbitrera entre politiques de soin et projets de performance ?

Dorothée Benoit Browaeys
Déléguée générale de VivAgora

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