N’est pas rationnel qui veut

Deux livres récemment parus relativisent notre croyance en la maîtrise rationnelle de nos comportements et de nos choix.

Le Pouvoir magique
les techniques du chamanisme managérial

Jean-Michel Théron
Pearson Éducation France, Paris, 2008.

Directeur général d’Inéo, filiale du groupe Suez, Jean-Michel Théron a constaté que la magie n’était pas absente du management, loin de là, même. Le dirigeant d’aujourd’hui agit un peu comme un sorcier, ayant recours à différentes pratiques que ne renieraient pas le plus mystique des chamans ! Bien loin des « froides logiques de la finance ou du métier d’ingénieur » et du «discours rationnel», le manager moderne n’hésite pas à recourir aux modes «psalmodié, évocatoire, invocatoire et conjuratoire» en différents rituels. Pour s’en convaincre, par exemple, il suffit d’analyser, note J.-M. Théron, le « rituel » de la communication financière et économique des entreprises.

Dans un chapitre intitulé « Le chamanisme de Microsoft », l’auteur démontre de façon convaincante que le succès du logiciel Powerpoint réside dans sa faculté de donner une apparence rationnelle (sous forme de sections organisées, de chiffres, fromages, courbes, etc.) aux incantations les plus farfelues.

Avec Excel, c’est la divination qui devient possible. Tout est démontrable, chiffres à l’appui : « Dès lors qu’un système d’équations comprend suffisamment de variables, il peut donner n’importe quelle série de résultats. En d’autres termes, plus les prévisions sont fondées sur des modèles sophistiqués, plus il est possible d’obtenir les résultats souhaités ».

Mais alors, « comment se fait-il que salariés et actionnaires n’aient pas reconduit ces illusionnistes à la sortie des entreprises, couverts de goudron et de plumes ? », s’interroge Jean-Michel Théron. Tout simplement parce que l’homme croit ce qu’il a envie de croire. Et tous ont besoin de croire aux discours « magiques » du leader.

C’est (vraiment ?) moi qui décide
Dan Ariely
Flammarion, Paris, 2008.

Dan Ariely, économiste au MIT de Cambridge (Massachusetts) développe dans ce livre l’idée que nous faisons preuve de bien moins de rationalité que nous ne le croyons, y compris au moment de prendre des décisions importantes. Y compris quand nous sommes experts en la chose. Et cela, non seulement en raison des facteurs émotionnels ou normatifs, mais essentiellement en fonction d’une «psychologie naïve » qui nous fait croire que nous restons maîtres de la décision alors que nous sommes la plupart du temps influencés par le contexte ou par nos désirs et nos craintes.

L’un des biais les plus déroutants, dans tous les sens du terme,  est le fait que nous nous effectuons rarement un choix « dans l’absolu » : « Nous ne possédons pas de système de mesure interne nous permettant d’estimer la valeur des choses. Nous nous concentrons plutôt sur les avantages relatifs d’un objet par rapport à un autre, afin d’estimer sa valeur ».

Les bons vendeurs connaissent bien ce travers du fonctionnement de l’esprit humain.

Exemple. Un journal invite ses lecteurs à s’abonner pendant un an.

La publicité comprend trois choix possibles :

1) Journal seul sur internet : 59 $
2) Journal en version papier : 125 $
3) Journal internet + papier : 125 $.

Le professeur soumet ces offres  à100 étudiants. Voici leurs choix :
1) 16 étudiants
2) 0 étudiant
3) 84 étudiants.

Dan Ariely explique que les étudiants ont été influencés par un « leurre » (l’offre 2).

Il refait l’expérience sans le leurre, c’est-à-dire en ne proposant plus que deux choix :

1) Journal seul sur internet : 59 $
2) Journal internet + papier : 125 $.

Résultats, toujours sur 100 étudiants :
1) 68 étudiants
2) 32 étudiants…

 Edifiant.

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