Lutte-t-on vraiment contre le cancer?

Les scandales les plus terribles sont ceux que nous avons sous les yeux sans les voir. Le cancer s’impose désormais de telle façon que, malgré les progrès dans son traitement, plus personne n’ose regarder la réalité en face : l’épidémie fait 146 000 morts par an sans que des dispositions vraiment efficaces soient prises pour l’enrayer. Non seulement on n’espère plus l’éradiquer, mais même l’objectif d’une réduction de la mortalité de 20 % en cinq ans est abandonné. Tout se passe comme si l’on se résignait à gérer la maladie.

Vidéo en provenance du laboratoire du Pr Zheng Cui, de la Wake Forest University de Caroline du Nord (Etats-Unis). On y voit comment, à chaque instant, les cellules blanches du système immunitaire détectent et détruisent les cellules cancéreuses. Elles constituent la première ligne de défense contre la progression d´un cancer. Il s´agit ici de cellules du cancer du col de l´utérus chez une femme, attaquées par ses globules blancs. Les facteurs de terrain peuvent jouer un rôle majeur dans la progression ou l´élimination du cancer. Une nouvelle voie à investiguer pour lutter différemment contre le cancer…

90 % de la somme globale dépensée contre le cancer est dédiée aux soins, c’est-à-dire au traitement de la maladie une fois qu’elle s’est déclarée. Les 10 % restants reviennent aux politiques de lutte contre cette pathologie. Et encore, de ces 10%, il faut retrancher le dépistage et la recherche, ce qui laisse quelques pourcent seulement pour la prévention primaire, c’est-à-dire celle qui vise à éviter la maladie.

En 2004, le cancer est devenu la première cause de décès en France. En 2005, on estimait à 320 000 le nombre de nouveaux cas (180 000 chez les hommes et 140 000 chez les femmes).

Aujourd’hui, en moyenne, un cancer sur deux est guéri chez les femmes, un peu moins pour les hommes et trois sur quatre chez les enfants.

De plus en plus d’argent est mobilisé contre ce fléau.

14 milliards dépensés chaque année

Le premier Plan cancer 2003-2007 a permis d’estimer enfin le coût de cette maladie en France. Les dépenses globales consacrées au cancer atteindraient annuellement environ 14 milliards d’euros :

– 11 milliards sont consacrés aux soins, à la charge de l’assurance-maladie. Cela représente environ 90 % de l’effort financier consenti par les administrations publiques, par l’assurance-maladie et les collectivités locales afin de lutter contre la maladie, la prévenir, la dépister. Le coût réel des soins pour la société est encore plus important, puisqu’il comprend également certaines dépenses incombant directement aux patients, ou encore tous les soins prodigués par les proches des patients ;

– 350 M€ pour les dépistages ; 

– 120 M€ pour la prévention primaire dont plus de 100 M€ sont consacrés à la lutte contre le tabagisme et la consommation d’alcool ;

– 780 M€ ont été investis dans la recherche sur le cancer, qui est financée à partir de trois sources distinctes : l’État (environ 400 M€/an), l’assurance-maladie et une source privée provenant de l’industrie pharmaceutique et des associations de patients (principalement la Ligue contre le cancer et l’ARC pour 60 M€/an).

Le premier Plan cancer a, certes, permis quelques avancées. La restructuration de la lutte contre la maladie a notamment donné « une cohérence à de nombreuses initiatives antérieures : réseaux, soins à domicile, soins palliatifs, accès aux soins de support, prise en compte de la douleur et soutien psychologique et social, kinésithérapie, nutrition ».

Le plan a aussi permis de mettre en place un dépistage généralisé du cancer du sein, de réduire par deux les délais d’attente pour un examen, de mieux rembourser les soins esthétiques après une chimiothérapie, d’améliorer les vaccins contre le cancer du col de l’utérus.

Mais « un tiers seulement des 70 mesures du [premier] Plan cancer [ont] été pleinement réalisées ».

Augmenter encore les dépenses

De même, l’objectif affiché lors du lancement était la diminution de 20% de la mortalité en cinq ans. Il a fallu déchanter. Cet objectif était finalement « trop ambitieux voire irréaliste. Il n’avait probablement pas fait l’objet d’études préliminaires de faisabilité », dit un rapport de la Cour des comptes paru en juin 2008.

Le nombre des cancers ne diminue pas. La maladie augmente même de 1 % par an chez les enfants.

Face à cela, on sait augmenter, encore et toujours, nos dépenses.

Durant le Plan, un effort important a été réalisé pour la mise à niveau du  parc d’appareils de diagnostic et de suivi des cancers – IRM, scanner, TEP  (tomographe à émission de positons) – et d’appareils de radiothérapie : en moins de cinq ans, la France a acquis plus de 70 Pet-scan, plus de 180 IRM et plus de  180 scanners.

Les industriels de la santé, eux, se frottent les mains. Ils trouvent « positif » le bilan du premier Plan cancer. Le 30 septembre 2008, Christian Lajoux, président du Leem (les Entrepises du médicament) et du Leem Recherche, affirme notamment que « l’ambition a littéralement boosté l’innovation dans ce domaine : plus de 200 projets de recherche ont été financés et 700 équipes de chercheurs travaillent sur des programmes qui vont de la découverte des gènes de prédisposition à la mise au point de tests diagnostiques. A côté des quelques très grandes associations comme la Ligue contre le Cancer ou l’ARC, il en existe un grand nombre – plus de 450 – dont le rôle est souvent fondamental dans la lutte contre le cancer. Enfin, il nous faut investir dans les approches récentes les plus prometteuses : génétique et génomique, thérapie cellulaire, thérapie génique, nanotechnologies, biologie des systèmes… et concentrer nos efforts sur le développement des biobanques et sur quelques plates-formes de haute technologie ».

Le système de recherche français comporte près de 1 000 unités estampillées « cancer » qui sont intégrées dans diverses instances officielles (Inserm, CNRS, Commissariat à l’énergie atomique, etc.) et environ 4 000 scientifiques qui travaillent dans ce domaine.

Pour le traitement, en 2007, 1 468 établissements de santé prenaient en charge des malades atteints de cancer.

Pour quelle efficacité?

On accroît sans cesse les sommes consacrées à lutter contre ce mal, mais sans se soucier vraiment de l’efficacité de ces dépenses. L’important est de montrer que l’on dépense. L’évaluation, en effet, n’a pas été le point fort du premier Plan. La création d’un dispositif ad hoc était pourtant prévue à l’origine mais n’a pas été concrétisée. « L’état actuel des connaissances médico-économiques ne permet pas de mesurer l’impact en termes d’incidence, de taux de survie ou de mortalité que nous pouvons attendre d’une augmentation des ressources financières allouées », regrette la Cour des comptes dans son rapport. La quasi-absence d’indicateurs de suivi (d’activité, financiers…) et de résultats a rendu  l’évaluation du Plan cancer plus qu’incertaine.

De même, la France ne dispose toujours pas, à l’inverse de ce qui se passe dans d’autres pays, de registre national du cancer. Outre la description des cancers, ce type de documents permet de mener des recherches étiologiques, d’évaluer la qualité des soins et l’efficacité des campagnes de dépistage. Le pays dispose seulement de 21 registres qualifiés : 10 registres généraux couvrant 11 départements ; 11 registres spécialisés dont 9 « registres d’organes » et 2 registres nationaux de l’enfant couvrant l’ensemble des cancers survenant avant l’âge de 15 ans. « La totalité du territoire français est encore loin d’être couverte et les registres, malgré leur intérêt, n’ont jamais bénéficié d’un fort soutien en moyens et en personnel spécialisé ». En 2006, l’objectif était d’atteindre une couverture de 15 % de la population française par les registres généraux…

A quand une vraie prévention ?

Les satisfécits sont pourtant nombreux autour de la mobilisation. Et très peu osent dire clairement que ces plans ont en fait échoué. Il ne faut surtout pas désespérer les citoyens. Alors, on continue à se gargariser de mots : « plan novateur et exemplaire, nouvel élan, nouvelle ambition, progrès de la recherche, meilleure prise en compte des inégalités, etc. » Mais la réalité impose ses faits bruts, toujours près de 150 000 morts annuels et 800 000 personnes vivant avec un cancer. Un scandale pour notre société, puisque la plupart de ces cas sont évitables.

À quand une vraie mobilisation donnant la priorité à une prévention digne de ce nom ? Selon un rapport des deux agences fédérales américaines en charge du dossier, « on peut estimer que jusqu’à 2/3 des cancers sont liés à des causes environnementales ». Environnemental est à prendre ici au sens large : mode de vie, alimentation, travail, pollution intérieure, pollution extérieure, produits cosmétiques ou d’entretien… Jusque là, les autorités  se sont concentrées sur le tabac et l’alcool. Mais de nombreuses voix s’élèvent pour qu’on aille au-delà de la lutte contre ces deux poids lourds : éducation alimentaire, amélioration de l’hygiène au travail, précaution accrue vis-à-vis des nombreux produits chimiques de notre environnement, des rayonnements électromagnétiques… D’autres, comme le Dr David Servan-Schreiber, vont plus loin et appellent chacun à prendre soin de son terrain, pour stimuler ses défenses naturelles.

plan cancer prevention anticancer

« Nous avons tous un cancer qui dort en nous »

David Servan-Schreiber est médecin psychiatre. Atteint d’un cancer du cerveau, il part à la recherche de tout ce qui pourrait l’aider à lutter. Et contrairement à ce que lui disaient ses confrères cancérologues, il découvre qu’il peut par lui même contribuer à la guérison et que ces méthodes sont également efficaces pour la prévention. Car le cancer est souvent là, latent mais indétectable. En soignant le terrain, on l’empêche de se développer.  Il relate son expérience et partage ses découvertes dans Anticancer (Robert Laffont, 2007), qui deviendra vite un best-seller, et sur son site guerir.fr.

 Tout ce qu’il propose est simple : adapter son alimentation, faire de l’exercice physique, méditer. Les deux premiers piliers sont maintenant bien reconnus et font partie intégrante des recommandations de l’Institut national du cancer. Par contre, bien que l’importance du mental dans le processus de guérison ait été démontrée, les méthodes qu’il évoque ne font pas encore partie de l’arsenal officiel de la prévention : guérir les blessures du passé par l’EMDR (intégration neuro-émotionelle par les mouvements oculaires), se défaire du stress par la méditation et la respiration en cohérence cardiaque…

E. L.

>> Plusieurs bilans du Plan cancer 2003-2007 ont été dressés :
Haut Conseil de la santé
Cour des comptes
Inspection générale des affaires sociales (IGAS)

>> La situation du cancer en France en 2009 (16/10/09)

>> Le Plan cancer 2009-2013, doté de 732 659 000 €

Pour aller plus loin :

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