Débat public sur les nanotechnologies : mal barré ?

La barre n’a pas toujours été facile à tenir tant les débats ont été houleux, au point d’avoir dû être écourtés, voire annulés pour certains. Mais c’était le premier sujet de société qu’abordait la Commission nationale de débat public (CNDP) plutôt habituée à traiter de projets d’infrastructure…

débat nanotechnologies

Nanorobot, vue d´artiste. Crédit : Ynse

Jet d’ammoniaque à Toulouse, chahut et airs de pipeau à Grenoble, huées et sifflets à Lille, dégradations à Orsay. Depuis son lancement le 15 octobre 2009 à Strasbourg, le Débat public Nanotechnologies a été régulièrement perturbé ou empêché, obligeant les organisateurs, pour redresser la barre, à mettre en place un système de retransmission video sur internet pour les 8 ou 9 débats restants.

La contestation du principe même du débat est menée par l’association Grenobloise Pièces et main d’œuvre (PMO) qui s’est fait connaître par des manifestations lors de l’inauguration en juin 2006 de Minatec, complexe scientifique consacré aux nanotechnologies.

Pièces et main d’œuvre, interviewé par Bastamag  : « La Commission nationale du débat public (CNDP) a été mandatée par le gouvernement pour une série de pseudo-débats sur les nanotechnologies, dix ans après la décision d’investir massivement dans ce domaine, trois ans après l’inauguration de Minatec, le “premier pôle européen de micro et nanotechnologies” à Grenoble, et alors même que le “Plan de relance” et le “grand emprunt” de Sarkozy font des nanos leur priorité. Il ne s’agit pas de permettre à la population des choix politiques, mais de les lui faire avaliser, après coup. Les décideurs (…) usent de procédures d’acceptabilité mises au point par des sociologues selon lesquels “faire participer, c’est faire accepter”. L’opération de communication du gouvernement, via les pseudo-débats de la CNDP, est une tentative pour étouffer cette contestation. Nous avons appelé au boycott et au sabotage de cette manipulation qui vise à faire croire à la population qu’elle à son mot à dire dans les plans étatico-industriels ».

Jean Bergougnoux, président de la Commission particulière du débat, dénonce « les méthodes totalitaires de ceux-là mêmes qui craignent que les nanotechnologies conduisent à une société totalitaire », faisant écho à un slogan entendu à Grenoble : « Les nanos, c’est pas vert, c’est juste totalitaire ! ».

La genèse du débat public sur les nanotechnologies

Présenté comme issu du Grenelle de l’environnement, il avait en fait déjà été promis par Dominique de Villepin en mai 2006. Mais la CNDP n’a finalement été saisie, par huit ministères, que le 23 février 2009, pour “organiser un débat public sur des options générales en matière de développement et de régulation des nanotechnologies”.

Mais selon Sciences et Démocratie, « même des membres de la CNDP reconnaissent “qu´il a été conçu comme une opération d´information“. L´objectif était de tenter d´exorciser la peur du grand public et de rassurer le lobby technologique qui, comme le pointe Jean-Pierre Dupuy dans La marque du sacré (Carnets Nord, 2008, p115), a peur que les nanos ne subissent le même sort que les OGM.

Si les autres associations ou ONG partie prenantes du débat en ont accepté le principe, certaines n’en ont pas moins été très critiques ou ont quitté le débat en cours de route. Ainsi les Amis de la terre qui avaient fait le choix de participer à la consultation publique pour faire entendre leur opposition aux nanotechnologies et demander un moratoire, ont selon Basta, finalement jeté l’éponge. Ils estiment que le débat « s’enlise dans des rencontres d’experts partisans et peine à aborder les enjeux globaux, les risques et les finalités des “nanotechs” avec les citoyens  ».

De leur côté, deux associations en pointe dans les débats science-société, Vivagora et Sciences et démocratie (S&D), relèvent les nombreuses déficiences du débat de la CNDP.

Pourquoi intervient-il alors que des centaines de « nanoproduits » seraient déjà sur le marché et que le gouvernement investit des millions d’euros dans le développement des nanotechnologies ?

« Malgré 17 réunions, ce débat ne permet que d´esquisser les problèmes, non d´élaborer des solutions. Pouvait-on de façon réaliste espérer débattre de la question centrale de la protection des consommateurs en une heure par exemple ? C´est pourtant le temps qui lui a été accordé dans la séance d´Orléans. Les choix des organisateurs du débat sont évidemment en cause. En multipliant les thèmes et en donnant la possibilité à tout intervenant de prendre la parole sur le sujet de son choix, la CNDP réduisait fortement les chances de pouvoir discuter sérieusement du moindre sujet ». (S&D)

« Il y a un problème de méthodologie, estime Dorothée Benoit-Browaeys, de l´association Vivagora pour l´engagement des citoyens dans la gouvernance des technologies. Sur un sujet aussi vaste, le débat ne peut pas se réduire à quelques mois, l´information ne peut venir d´en haut et la séparation des rôles doit être claire ».

D’autres soulignent l’absence d’enjeu clair (A quoi vont servir ces débats ?) ou dénoncent la  restriction du débat aux options générales en matière de développement et de régulation des nanotechnologies, et demandent que soit débattue l’utilité sociale des nanotechnologies de manière globale.

Nano : un sésame qui a perdu de sa magie !

Une des difficultés du débat sur les nanotechnologies est que son objet, les nanos, est difficile à cerner. Nanotechnologies, nanoparticules, nanomatériaux, une certaine confusion entoure l’utilisation des différents termes. Plébiscité au départ par chercheurs et industriels parce qu´il leur permettait d´accéder à des subventions, ce sésame a fini par devenir encombrant après avoir regroupé sous son label des projets ou des réalisations contestés.

Pour en savoir plus :

Quelles leçons peut-on déjà tirer ?

S´il est difficile d´approuver les tentatives répétées de sabotage visant à entraver une des rares institutions faisant de la démocratie participative au niveau national, on peut tout de même se réjouir que, sous la pression des évènements, la CNDP ait mis en place des moyens – vidéoconférence et internet – permettant d´étendre l´audience des débats. Pourquoi en effet organiser des débats locaux alors que les thèmes abordés étaient d’intérêt national ?

Il faudra aussi que les organisateurs de « grands débats » adaptent leurs pratiques à la complexité des nouveaux enjeux. De ce débat exemplaire, on peut déjà tirer au moins deux types d´enseignements.  

D´abord, le débat n’est possible que s’il y a volonté commune de débattre. Dans le cas des nanotechnologies, il n’y avait pas d’entente possible sur un « monde commun » entre le gouvernement qui demandait un « débat sur les options générales en matière de développement et de régulation des nanotechnologies » et PMO qui rejette en bloc « un monde entièrement piloté par la machine ».

Ensuite, l’éthique d´un débat ne peut reposer uniquement sur les participants. Les organisateurs, par leurs choix en amont et les moyens qu’ils allouent, conditionnent de manière prépondérante le bon déroulement d’un débat et l’atteinte des objectifs fixés. Ce que la Commission européenne appelle « le cadrage du débat ». Cela passe en particulier par :

  • La transparence sur les objectifs et l´absence de biais
  • La présence d’un enjeu. A quoi va servir la discussion ?
  • Le choix des acteurs et la répartition du pouvoir
  • Un bon phasage dans le temps (le débat ne doit intervenir ni trop tôt, ni trop tard)
  • Suffisamment de temps pour l´information, l´expression de tous les points de vue, l’échange, la maturation, la recherche de consensus…
  • Des moyens en adéquation avec les objectifs.

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1 commentaire pour cet article

  1.  

    Bonjour ,

    Y.B. Si les affirmations de PMO sont vraies, il est grotesque de faire un débats public sur une technologie quand tout est en place depuis 10 ans et en tous cas 3.

    C’est de la provocation.. ! de faire croire aux participants que ce qu’ils disent pourrait servir a QQ chose.

    Si on ne peut soutenir les «  violences » elles répondent  à une provocation indiscutable et sont excusables..PMO n’a perturbé qu’un débat sans aucun intérêt pour les citoyens. Il n’y a donc pas de préjudice.. J

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    Mais selon Sciences et Démocratie, « même des membres de la CNDP reconnaissent “qu´il a été conçu comme une opération d´information“. L´objectif était de tenter d´exorciser la peur du grand public et de rassurer le lobby technologique qui, comme le pointe Jean-Pierre Dupuy dans La marque du sacré (Carnets Nord, 2008, p115), a peur que les nanos ne subissent le même sort que les OGM.
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    Y.B. Il est tout a fait naturel que les industriels qui investissent aient besoin de SECURITE de VISIBILITE .

    Il aurait fallu que le débat public ait eu lieu il y a 10 ans avant de lancer des investissements importants ! 

    Le débat public doit avoir pour effet de tout mettre sur la table et de se faire une idée de ce que souhaitent les citoyens. Et faire une large information sur le bilan.

    Si on veut affiner les choses  une « convention de citoyens » 15 ( ?) tirés au sort donnera une idée de ce que veulent les citoyens mais avec une marge d’erreur importante.
    La majorité pourra alors prendre les décisions qu’elle estime bonne en tenant compte ou pas de l’avis exprimé par la CdC.

    Mais dans une démocratie DIGNE DE CE NOM le peuple souverain doit pouvoir REPRENDRE LA PAROLE pendant les 5 ou 6 ans qui séparent deux scrutins de même niveaux ! et avoir le dernier mot sur la question en lançant une procédure de RIC abrogatif.

    Le Rassemblement pour l’initiative citoyenne propose des modalités très raisonnables par une sélection super sévères des questions et  au plus UN seul RIC par an . http://www.ric-fance.fr

    Les Français sont pour le principe du RIC à  82 et 88%.

    Ainsi – par cette voie – en SUISSE le 07 MARS 2010 le peuple a voté à 73% oui à l’abrogation d’une loi de décembre 2009 qui auRAIT entrainé une baisse des retraites. Le gouvernement devra revoir sa copie.

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    Si les autres associations ou ONG partie prenantes du débat en ont accepté le principe, certaines n’en ont pas moins été très critiques ou ont quitté le débat en cours de route. Ainsi les Amis de la terre qui avaient fait le choix de participer à la consultation publique pour faire entendre leur opposition aux nanotechnologies et demander un moratoire, ont selon Basta, finalement jeté l’éponge. Ils estiment que le débat « s’enlise dans des rencontres d’experts partisans et peine à aborder les enjeux globaux, les risques et les finalités des “nanotechs” avec les citoyens  ».

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    Y.B. Les amis de la terre ont demandé un moratoire au Pouvoir qui bien sûr ne les a pas entendus.  Il est regrettable qu’ils ne demandent pas plutôt l’instauration du RIC qui leur permettrait de tenter  de faire abroger les lois par les citoyens.
    En Suisse en 2005 un référendum d’initiative citoyenne a été lancé pour demander un moratoire de 5 ans sur les OGM en agriculture et il a été adopté. Il se termine d’ailleurs cette année le temps passe vite !

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    De leur côté, deux associations en pointe dans les débats science-société, Vivagora et Sciences et démocratie (S&D), relèvent les nombreuses déficiences du débat de la CNDP.

    Pourquoi intervient-il alors que des centaines de « nanoproduits » seraient déjà sur le marché et que le gouvernement investit des millions d’euros dans le développement des nanotechnologies ?

    « Malgré 17 réunions, ce débat ne permet que d´esquisser les problèmes, non d´élaborer des solutions. Pouvait-on de façon réaliste espérer débattre de la question centrale de la protection des consommateurs en une heure par exemple ?
    (…)
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    Y.B. Il est évident que pour avoir un minimum d’intérêt, la réunion « physique » du débat public doit être précédée  de plusieurs mois de débat sur un forum avec de nombreux fils de discussion approprié.

    A+

    Yvan Bachaud

     

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