Un prix pour des travaux qui bousculent nos conceptions du monde

Les travaux du physicien Alain Aspect ont confirmé les étranges prédictions de la mécanique quantique. Ils sont récompensés par un prix prestigieux.


Alain Aspect.
CNRS Photothèque/ Jerôme Chatin.

Le prix Wolf 2010 vient de récompenser, début février, le physicien français Alain Aspect pour ses travaux en physique quantique, et particulièrement ses expériences sur le phénomène troublant de « l’intrication ». Einstein lui-même s’était cassé les dents sur cette question qui remet sérieusement en cause nos schémas habituels de pensée.

Le physicien français Alain Aspect a reçu cette distinction conjointement avec ses homologues autrichien Anton Zeilinger et américain John Clauser. Le prix Wolf, « considéré comme l´un des plus prestigieux dans la communauté scientifique », leur a été attribué pour leurs travaux en physique quantique, précise le Centre national de la recherche scientifique (Cnrs).

« Parmi ses nombreuses contributions aux domaines de l´optique quantique et de l´optique atomique, explique le Cnrs, ce sont les expériences fondamentales réalisées par son équipe en 1982 à l´Institut d´optique qui sont récompensées par le prix Wolf. Elles ont confirmé le caractère révolutionnaire de l´intrication quantique, dont Einstein avait eu l´intuition, et dont la mise en évidence expérimentale a été rendue possible par les travaux théoriques de John Bell. »

Derrière ce jargon ésotérique, se pose une question majeure qu’Ouvertures se devait d’explorer. Le Cnrs ne fait que la survoler quand il note dans son communiqué à la presse : « Alain Aspect s´est intéressé tout au long de sa carrière à des situations dans lesquelles les prédictions de la mécanique quantique sont très éloignées de l´intuition ».

Wikipédia n’est guère plus clair quand il détaille : « L´expérience d´Aspect est, historiquement, la première expérience qui a réfuté de manière satisfaisante les inégalités de Bell dans le cadre de la physique quantique, validant ainsi le phénomène d´intrication quantique, et apportant une réponse expérimentale au paradoxe EPR, proposé une cinquantaine d´années plus tôt par Albert Einstein, Boris Podolsky et Nathan Rosen.

Une dualité d´états

« Les expériences d´Aspect ont confirmé sans ambiguïté la violation des inégalités de Bell comme le prévoyait l´interprétation de Copenhague de la mécanique quantique, infirmant par là même la vision réaliste locale d´Einstein de la mécanique quantique et les scénarios à variables cachées locales. Non seulement la violation était confirmée mais de plus, elle était confirmée exactement de la manière prédite par la mécanique quantique. […] On doit donc admettre la non-localité de la physique quantique et la réalité de l´état d´intrication. ».

L’expérience d’Alain Aspect valide tout simplement une affirmation étonnante de la mécanique quantique. Cette théorie physique, élaborée au début du siècle passé, a bousculé les conceptions classiques. Elle dit par exemple qu’il n’y a pas d’un côté les particules, corpuscules de matière, et de l’autre côté les ondes, comme la lumière. Un électron est à la fois les deux ! Nous n’avons toujours pas, encore aujourd’hui, d’image claire pour nous représenter cette dualité d’états.

Einstein lui-même avait pointé un autre paradoxe de cette conception révolutionnaire du monde physique. Si cette théorie est vraie, disait-il, dans certaines situations, deux atomes qui ont été en relation et qui se trouvent désormais éloignés l’un de l’autre, quelle que soit la distance qui les sépare, restent corrélés l’un à l’autre : ils se comportent comme un tout indissociable. Avec des conséquence tout aussi difficiles à admettre l´une que l´autre : soit la remise en cause de la notion de séparation des objets, soit la reconnaissance d´une communication instantanée à distance en contradiction avec la théorie de la relativité qui définit une vitesse maximum indépassable (égale à la vitesse de la lumière).

Des paramètres cachés ?

Pour sauver sa vision « classique » du monde, Einstein (avec ses collaborateurs Podolsky et Rosen, d’où le nom de « paradoxe EPR ») pensait que des « paramètres cachés » pouvaient seuls expliquer cette étrangeté. Pour lui, la mécanique quantique était insuffisante.

L´inégalité formulée par Bell en 1964 devait permettre de trancher entre les deux théories. Que cette inégalité soit violée dans certaines conditions expérimentales et cela remettait en cause la physique classique, selon laquelle elle doit toujours être vérifiée.

Alain Aspect ayant montré que l´inégalité de Bell était violée dans son montage expérimental, il faut donc se résigner : deux photons « intriqués » constituent bel et bien un tout inséparable. Ce qui implique que, sous un certain angle, la nature n’est pas objective ou, ce qui revient pratiquement au même, qu’une interaction instantanée peut s´effectuer entre eux deux, même s´ils sont très éloignés.

Deux conceptions du monde

En fait, ce qui est en jeu derrière ces formulations, c’est ni plus ni moins qu’une lutte homérique entre deux interprétations du monde :

– L’une croit dans le déterminisme et l’objectivité du monde : le monde existe en soi et indépendamment de nous qui l’observons. En l’analysant de façon suffisamment fine, on peut en déduire des lois qui nous permettent de prédire avec certitude les événements futurs (grâce notamment au principe de cause à effet). C’est en gros ce que prônent à la fois la démarche scientifique d’origine occidentale et le sens commun.

– L’autre pense que la réalité est aléatoire, qu’elle nous échappera au fond toujours, que notre observation perturbe forcément l’objet observé et ne peut donc pas être neutre, que tout est lié. Dans ce système de pensée, les notions de cause à effet ou de temps et d’espace valsent allègrement.

Cette démarche, qui découle du formalisme rigoureux de la mécanique quantique, n’est pas évidente et heurte le sens commun. Elle a pourtant supplanté l´autre vision du monde. Il lui reste à proposer des représentations compréhensibles et, surtout, à conquérir le grand public. Ce qui est loin d´être acquis…

>> Vidéo de la conférence « Les tests et effets de la physique quantique » donnée par Alain Aspect en 2000 dans le cadre de l’Université de tous les savoirs. Le texte de ses propos est téléchargeable sur le site.

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2 commentaires pour cet article

  1. Ces “deux interprétations du monde” sont elles vraiment antinomiques ?

    N´est-ce pas plutôt un surcroît de connaissance que de constater l´existence de l´intrication, de même que la théorie de la relativité  a été un élargissement et non une négation des conceptions newtoniennes ?

  2. Oui, si on les met face à face sur un même plan, avec chacune une même revendication de vérité. 

    Non, si, effectivement, chacune est vraie selon certain contexte et certain système de référence.