Un bilan peu critique de la gestion de la pandémie

En France, un rapport parlementaire tire les leçons de la gestion de la crise en évitant soigneusement les questions qui fâchent et en continuant de diaboliser les contestataires. Les conditions pour rétablir la confiance des Français dans la politique vaccinale ne sont donc toujours pas réunies aujourd’hui.

Dans son rapport sur la gestion de la campagne de vaccination contre la grippe A rendu public cette semaine, la commission d´enquête parlementaire présidée par Jean-Christophe Lagarde révèle que la couverture vaccinale s’est élevée à 5,36 millions de personnes au 1er juin 2010, soit moins de 8,5 % de la population totale. Par ailleurs, la campagne de vaccination « a occasionné une perte de plus de trois millions de doses de vaccins, une quantité qui représente plus de la moitié du nombre de personnes vaccinées ».

Globalement, le rapport fait le bilan de l’organisation de la campagne de vaccination, en la qualifiant de « trop rigide » et en regrettant qu’elle ait reposé « essentiellement sur des centres de vaccination dont le principe même était contesté ».

Pour le reste, « l’appareil d’État s’est globalement remarquablement mobilisé » et les pouvoirs publics ont fait « une application responsable du principe de précaution qui les a conduits à décider d’une vaccination massive de la population et à négocier des contrats de commande de vaccins dans des conditions délicates ».

Bref, un satisfecit sans vergogne qui permet de prédire bien des difficultés aux pouvoirs publics pour rétablir la confiance des Français dans leur gestion de la prochaine pandémie.

Un seul bémol à ces compliments, la communication institutionnelle a été trop classique, inadaptée aux mentalités d’aujourd’hui. Trop confiante, elle n´a pas su prendre la mesure des réactions du public, et tout particulièrement des expressions sur Internet : « Les folles rumeurs sur internet, les attaques violentes du lobby anti-vaccin ou encore les annonces spectaculaires de pseudo-experts en quête de gloire médiatique auront sans doute laissé des traces. Le sensationnalisme a prévalu sur les faits documentés ; la parole officielle a été décrédibilisée par des acteurs sur les motivations desquels on s’interroge encore ».

Lobbys anti-vaccinaux

Le web est une nouvelle fois présenté comme un vilain petit canard, un repaire pour de dangereux contestataires : « La question se pose de la motivation des divers intervenants sur internet. Certains avaient pour objet de contester le recours à une campagne de vaccination collective – ce qui était légitime car il s’agissait de discuter d’orientations stratégiques ; en revanche, d’autres se sont appuyés sur ce nouvel outil de communication, très efficace, pour faire valoir des opinions tout à fait contestables. On doit ainsi citer les lobbys anti-vaccinaux qui contestent le principe même du recours à la vaccination et qui ont pris une certaine ampleur depuis la campagne de vaccination contre l’hépatite B. Leur stratégie consiste généralement à nier l’efficacité et la sûreté des vaccins dont les risques d’effets secondaires seraient sous-évalués. Ils se fondent en général non sur de la documentation scientifique mais sur des témoignages, ce qui frappe bien évidemment les esprits ; ou bien ils procèdent par extrapolations hasardeuses, raccourcis et citations tronquées de travaux et d’études pour parer leurs arguments d’une aura scientifique. Ils ont, avant même la disponibilité des vaccins, puis lors de la campagne de vaccination, fait amplement valoir leurs positions qui constituent une régression scientifique et médicale non seulement scandaleuse mais dangereuse. »

Or, en parlant de “lobby anti-vaccinal”, le rapport déforme les faits. La plupart des associations visées ne sont pas forcément CONTRE les vaccins mais POUR la liberté vaccinale. Elles sont amplement constituées de membres de la profession médicale. Leurs arguments sont étayés par de nombreuses références scientifiques incontestées, etc. Certes, ces associations choisissent sans doute de mettre en avant les données qui vont dans le sens de leur vision. Mais ni plus ni moins que ne le fait la communication/propagande officielle…

En présentant tous les contestataires comme de mauvaise foi, en les amalgamant avec les partisans de la théorie du complot, en refusant un débat public avec eux, les rapporteurs perdent donc de la crédibilité aux yeux des citoyens.

Vers des états-généraux de la vaccination ?

A ce « brouillard médiatique » qu´ils dénoncent, les parlementaires auraient préféré un « débat d’experts dans une instance exclusivement composée de scientifiques – par exemple autour de l’Académie nationale de médecine, référence « parlante » pour beaucoup de Français –, au cours d’une grande conférence médiatisée qui aurait permis de délivrer un message traduisant le consensus scientifique sur les incertitudes, le risque lié à la pandémie et la vaccination ».

Or, aujourd’hui, réserver le débat sur les questions sanitaires aux seuls scientifiques serait le meilleur moyen de démobiliser les populations et d’augmenter encore leur méfiance envers les politiques institutionnelles.

Mais peut-être arriverons-nous un jour à de meilleures constructions collectives ? Les rapporteurs écrivent qu’il serait « sans doute opportun d’organiser, comme cela a été le cas pour la bioéthique, des états généraux sur les enjeux de la vaccination en général qui permettraient à un panel de citoyens représentatifs de la population, préalablement formés à la question, de mener un débat éclairé par les scientifiques sur la politique vaccinale en France. »

Le rôle des firmes pharmaceutiques

Autre faiblesse de ce rapport, toute la lumière n’a pas été faite sur la campagne de vaccination : « On ne trouvera pas dans le présent rapport, préviennent les députés, d’analyses approfondies sur le rôle de l’Organisation mondiale de la santé et notamment de ses experts, la façon d’être ou de trouver plus expert que les experts, la question des liens d’intérêts susceptibles d’exister entre experts et laboratoires, les plans de continuité d’activité, l’efficacité et les modalités d’utilisation des antiviraux ou la pertinence des procédures d’autorisation de mise sur le marché retenues pour les vaccins pandémiques. Ces questions sont importantes mais il n’appartenait pas à votre rapporteur de les traiter, le seul sujet de l’organisation de la campagne de vaccination étant au demeurant suffisamment complexe pour éviter toute dispersion ».

Peut-être en saura-t-on quand même un peu plus avec les conclusions que la commission d’enquête du Sénat sur le rôle des firmes pharmaceutiques dans la gestion par le gouvernement de la grippe A devrait rendre le 28 juillet ?

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