Analyse

Rapport du Sénat «Mouvements sectaires et santé»: morceaux choisis et commentaires

Peu de personnes prennent la peine de lire les rapports parlementaires dans leur entier. Ouvertures a donc lu pour vous le rapport que le Sénat vient de publier sur la lutte contre les risques de charlatanisme en médecine non conventionnelle. Il livre ses réactions sur ce texte adopté à l’unanimité des présents (sauf le groupe écologiste absent au moment du vote).

Rapport sénat« Les pouvoirs publics ont le devoir de protéger les citoyens contre ceux qui abusent de leur faiblesse ou compromettent leurs chances de guérison, voire de survie. (…) Dans tous les cas, il est impossible d’appréhender la situation des victimes si l’on s’en tient à la logique du « consentement éclairé » : des personnes fragiles et vulnérables comme peuvent l’être les malades peuvent effectivement se laisser persuader d’adopter des comportements irrationnels sous l’influence de promesses de guérison. »

> C’est cette argumentation que met souvent en avant également la Miviludes pour déclarer « victimes » des personnes qui font pourtant un choix conscient et volontaire pour d’autres visions du monde. En passant ainsi outre à la responsabilité de ses choix de conscience, on dénie au citoyen toute sa dignité.

« Votre commission juge très alarmant le fait que l’image de la médecine classique, dont les indéniables progrès ont permis une augmentation considérable de l’espérance de vie, soit altérée par l’inquiétude et le climat anxiogène résultant – de manière compréhensible – de scandales récents. Votre commission regrette que cette image perturbée puisse conduire des personnes atteintes de pathologies lourdes à s’interroger sur les propositions thérapeutiques de leur médecin pour s’en remettre à des pratiques de « soins » sans nécessairement disposer d’une information complète sur les conséquences de leur choix. »

> Les sénateurs s’inquiètent à juste titre de « l’image » de la médecine.

« Cette assimilation des quêtes spirituelles et des recherches thérapeutiques peut être attribuée à l’héritage des théories du New Age. (…) On observera que cette recherche spirituelle n’est aucunement tournée vers le dévouement aux autres, elle ne vise pas une cause qui dépasse l’individu, mais vers un objectif limité au bien-être de la personne. »

> Même si le Nouvel Âge avait comme seul intérêt le bien-être de la personne, on ne voit pas en quoi les sénateurs seraient habilités à un jugement moral, qui plus est d’un autre âge (le « Vieil Âge » ?). D’autant moins que les prémisses de ce jugement porté sur cette philosophie nourrie des rêves californiens sont faux. Si le Nouvel Âge met effectivement l’accent sur le développement personnel, il prône aussi les valeurs d’harmonie avec les autres et avec la nature.

« Le glissement de ce qui est présenté comme une « minorité spirituelle » vers la revendication des droits d’une « minorité thérapeutique » a pour conséquence majeure le rejet de la médecine classique, occidentale, au nom de pratiques thérapeutiques dont le choix devient, dans cette logique, signifiant sur le plan spirituel. »

> Faux : la plupart des mouvements « différents » ne rejettent pas la médecine classique. Ils en savent l’intérêt mais en connaissant aussi les limites. Cette accusation de « rejet » est constamment portée envers eux pour pouvoir les diaboliser et les présenter comme des « sectes » dangereuses.

« De ce fait, toute critique de ces pratiques thérapeutiques, quelles qu’elles soient, reviendrait dans l’esprit de leurs défenseurs à une atteinte aux libertés fondamentales. »

> Ce n’est pas la « critique » de ces pratiques qui est considérée comme « une atteinte aux libertés fondamentales » par les associations visées, mais les rapports calomniateurs sans possibilité de se défendre, les attaques en justice, les descentes de gendarmerie dans des groupes de méditation, etc.

« L’héritage du New Age, très imprégné de remise en cause de la médecine traditionnelle occidentale, explique cette remise en cause de la médecine classique qui caractérise le message thérapeutique des organisations susceptibles de dérives sectaires, au point de prendre la forme de critiques parfois violentes des vaccins et des médicaments allopathiques. »

> Ils sont aujourd’hui rejoints dans leurs critiques par une foule d’acteurs, médecins, institutions, journalistes, etc. La mort de l’Afssaps et sa renaissance en ANSM (Agence du médicament) en est une illustration frappante.

« Le même étonnement vaut pour les représentants de CAPLC et du CICNS, principales associations reflétant les opinions des mouvements très opposés à la lutte contre les dérives sectaires, qui ont martelé l’hostilité que leur inspire la médecine officielle tout en convenant que, confrontés à la grave maladie d’un de leurs proches, ils n’écarteraient pas d’emblée le recours à la médecine classique… »

> C’est bien la preuve qu’ils ne rejettent pas la médecine « officielle ». D’ailleurs, ajoute le rapport, « le recours aux thérapies non conventionnelles ne semble pas être en soi une remise en cause de la médecine classique dans l’esprit des patients ». C’est bien comme cela que la plupart l’entendent.

« Votre commission souhaite donc insister sur le fait que cette propagande n’est rien d’autre qu’une tentative de déstabilisation de notre société par la fragilisation de l’autorité que représente dans notre pays la médecine traditionnelle. »

> « Une tentative de déstabilisation de notre société » ! Diantre ! L’autorité se fragilise bien elle-même toute seule. Ce ne sont pas deux toutes petites associations (une poignée de membres chacune) qui pourraient faire vaciller l’autorité si elle était solide, transparente et éthique…

« Votre commission tient à relever d’emblée un paradoxe qu’elle a rencontré fréquemment au cours de cette enquête : celui de l’aspiration à la « liberté thérapeutique » clamée – de manière parfois violente – par les représentants des mouvements susceptibles de dérives sectaires. Ce mot d’ordre d’opposition radicale à une médecine présentée comme officielle – comme si ce seul fait la rendait suspecte – est partagé par nombre de praticiens de techniques thérapeutiques non validées qui paraissent souvent échapper à la moindre rationalité. »

> Ils clament leur désir de liberté parce qu’ils sont officiellement stigmatisés et mis au pilori sans avoir fait l’objet de procès ou de débat précis et circonstanciés.

« La propagande antivaccinale n’est qu’un aspect de ce discours aux accents souvent haineux. »

> On ne le dit jamais, mais la plupart des associations qui critiquent le recours aux vaccins ne sont pas contre toute vaccination mais contre l’obligation et pour la transparence en ce domaine. Elles sont d’ailleurs souvent créées ou composées de médecins…

« Votre commission s’étonne de cette violence et de l’omniprésence de cette revendication dans notre pays où la liberté thérapeutique est de fait respectée, qu’il s’agisse des choix vaccinaux ou du libre recours à toutes les thérapies présentes sur le marché, fussent-elles ésotériques et douteuses. »

> La liberté est limitée dans le sens où une action croissante des « antisectes » aboutit à la radiation de médecins « différents » du conseil de l’ordre alors qu’ils n’ont causé aucun dommage, seulement sur la foi de leur choix thérapeutique, et à des dénigrements systématiques dans les instances officielles, les “bons” et les “mauvais” étant confondus…

« La médecine, en droit français, n’existe pas en soi, mais, depuis la loi de 1803, uniquement au travers de la pratique des médecins. (…) La médecine est la science appliquée par les médecins. »

> La médecine certes, est basée sur des savoirs validés. Mais elle n’est pas une science exacte (comme tout ce qui touche le vivant d’ailleurs) ! Et elle est aussi un art. Et elle ne peut être appliquée uniformément à tous les patients qui, chacun, sont des cas uniques et devraient être l’objet de protocoles personnalisés.

« Incontestablement, les crises sanitaires et les différentes affaires liées aux médicaments et aux sur-irradiations ainsi, il faut le souligner, que les rumeurs propagées sur les vaccins, ont nui à la crédibilité de la médecine et de l’allopathie en particulier, dans des proportions qui demeurent toutefois à mesurer. Les querelles publiques sur l’efficacité des médicaments, le risque des pratiques et l’opportunité des dépistages et des traitements peuvent également renforcer l’attrait des médecines parallèles. »

> Certes !

« C’est donc en premier lieu le dialogue avec les professionnels de santé, et principalement les médecins, qui semble faire défaut. Ce point a été souligné à de maintes reprises par les personnes auditionnées. Plusieurs témoignages font état du manque de temps des médecins et des effets déstabilisateurs d’un conflit avec le personnel hospitalier. Le ressenti d’une standardisation des soins déshumanisante ou de l’absence de toute prise en compte des besoins spécifiques de l’individu est également une cause de recours aux thérapies non conventionnelles. Dans tous ces cas, c’est l’organisation des soins qui est remise en cause, et non pas nécessairement la médecine conventionnelle elle-même. »

> Depuis le temps, cela est parfaitement su, car exprimé dans de nombreux rapports et études !

« La commission d’enquête considère que la prise en compte du bien-être du patient doit être intégrée aux protocoles de soins et aux objectifs des personnels administratifs, ainsi qu’à l’enseignement universitaire. »

> Secret de Polichinelle ! Les sénateurs s’aperçoivent enfin qu’il faudrait peut-être songer à se préoccuper du « bien-être » du patient. Mais mieux vaut tard…

Le cas particulier du cancer

« Limiter les effets secondaires des traitements, traiter les angoisses et anxiétés liées à la maladie, être actif dans son processus thérapeutique sont des points saillants de la motivation des patients qui choisissent d’avoir recours à une thérapie non conventionnelle.

Plusieurs autres facteurs de motivation apparaissent également, tels que trouver un praticien à l’écoute et « donner un sens à sa maladie ».

Il existe également pour certains patients une dimension spirituelle de ces pratiques qui n’est pas satisfaite par la médecine traditionnelle.

En fait, c’est sans doute là un point essentiel, le recours aux thérapeutiques non conventionnelles est justifié par les défaillances de la médecine classique.

La question fondamentale est celle du type de pathologies susceptibles d’être prises en charge par les pratiques non conventionnelles : s’agissant de situations dans lesquelles le bien-être du patient est l’élément déterminant, la forme de prise en charge importe peu. Mais pour les pathologies mettant en cause le pronostic vital, seuls les traitements à l’efficacité prouvée peuvent être admis par les autorités sanitaires : le recours exclusif aux thérapies non conventionnelles s’apparente dans ce cas au moins à une perte de chance, sinon à un refus de soins. »

> Oui à tout cet extrait. Et oui le recours « exclusif » aux thérapies non conventionnelles serait une perte de chance. Non, s’il accompagne les soins classiques, ou le précède en certains cas convenus.

« En France, chacun se souvient de la triste hypothèse de la « mémoire de l’eau » qui, destinée à justifier l’efficacité des hautes dilutions homéopathiques, affecta fortement la réputation et la carrière de Jacques Benveniste, parce qu’elle était fondée sur des expériences non reproductibles à ce jour. »

> Cette « triste hypothèse » fait encore débat. On ne peut la rejeter ainsi en un tournemain.

« En réalité, les pratiques non conventionnelles sont difficiles, sinon impossibles, à évaluer car, comme l’indiquait le Pr Capron, elles relèvent du « croire » et non du « savoir » qui constitue le fondement de la médecine. »

> Le « croire » est souvent une intuition qui se révèle « savoir » plus tard. En outre, de plus en plus de résultats d’essais cliniques contrôlés et d’articles de synthèse sont publiés dans la presse spécialisée (lire à ce sujet l’excellent ouvrage de Bertrand Graz : Les Médecines complémentaires ; dépasser les clivages, Presses polytechniques et universitaires romandes). Enfin, le « croire » a aussi une part importante en médecine « scientifique ».

« Un combat à armes inégales contre la médecine : les promesses de la magie contre la rigueur de la pensée rationnelle. »

> Très manichéen et simpliste comme affirmation. Les sénateurs sont-ils à ce point naïfs pour affirmer ainsi que les applications de la médecine classique suivent toutes la « rigueur de la pensée rationnelle » ? Quand on met trois médecins autour d’un même malade, on obtient facilement trois diagnostics ou voies thérapeutiques différents voire contradictoires…

« Ces contestations sont paradoxales car la médecine, dans la mesure où elle est une science, se construit justement sur la remise en cause de ses présupposés et s’ouvre depuis toujours aux critiques qui lui sont adressées. »

> « S’ouvre depuis toujours aux critiques qui lui sont adressées » On peut parfois en douter.

« Ainsi les pratiques non conventionnelles existent désormais au milieu de la médecine traditionnelle. La question est de savoir quelle place doit leur être accordée afin que leur action soit strictement limitée à ce qui peut être bénéfique au malade. »

> Entièrement d’accord ! Mais si, à l’inverse, on limitait « strictement » l’action de la médecine classique « à ce qui peut être bénéfique au malade », on n’aurait plus de médecine du tout, au vu du nombre de morts suite à des affections nosocomiales et iatrogéniques…

« Nul n’est besoin de nouvelles disciplines et de nouvelles professions de santé. Les pratiques innovantes et efficaces, si elles existent, peuvent parfaitement être exercées par ceux qui ont été formés et exercent les professions selon les prescriptions du code de la santé publique. »

> Quelle prétention, alors que près de 150 000 personnes meurent encore chaque année du cancer ! Une dramatique épidémie dont les pouvoirs publics n’ont pas encore vraiment mesuré ni l’ampleur ni l’horreur. Le président de la commission d’enquête étant un médecin, très impliqué dans les instances médicales, on ne s’étonnera guère de ce discours… On aurait pu attendre d’une commission d’enquête parlementaire une plus grande ouverture au contradictoire dans ses conclusions.

« Votre commission estime également que, faire de l’emprise mentale un délit autonome, distinct de tout état de vulnérabilité de la victime et de tout préjudice, risquerait d’aboutir à faire entrer dans le champ de cette infraction des situations très diverses, sans lien avec les dérives sectaires, comme par exemple l’emprise mentale au sein d’un couple de l’un des partenaires sur l’autre, alors même qu’il n’y a pas de préjudice caractérisé autre que l’état d’emprise lui-même. »

> Une parole de bon sens ! « Faire de l’emprise mentale un délit autonome » est une disposition que réclament les associations antisectes.

 

 

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