Souffrance au travail : du suicide à la «communion»

Alors que des salariés, sous pression dans leur milieu professionnel, mettent fin à leur jour, le gouvernement se penche sur le stress au travail. Et promet enquêtes, études et négociations. En attendant qu’on en sache plus sur la pénibilité des conditions de travail, certains oeuvrent depuis longtemps pour faire évoluer les mentalités. Coup de projecteur sur un mouvement original, les Focolari, qui s’efforce d’appliquer une « économie de communion », faisant une libre part de principe au « don ».


Chiara Lubich main dans la main avec mère Teresa.
Pour Xavier Bertrand, ministre français du travail, « il faut faire comprendre aux entreprises que la prise en compte du stress est nécessaire et indispensable et que c’est de leur intérêt à la fois social et économique». Il a annoncé la mise en place d’« une veille épidémiologique sur les suicides dès l’année prochaine ». Des négociations seront également lancées dans les branches professionnelles à risque. Le texte remis au gouvernement conclut par cette phrase : «Ainsi, point n’est besoin d’attendre pour agir ensemble, si nous le voulons, et pour remettre l’homme au centre du modèle et des préoccupations de l’entreprise». Effectivement, si beaucoup de nos concitoyens vont mal, ne serait-ce pas, plus encore qu’en raison de la faiblesse de leur «pouvoir d’achat», tout simplement qu’ils se sentent insuffisamment respectés, voire exploités ou méprisés? Ne serait-ce pas parce que, dans nos nations dites civilisées, l’homme n’est pas «au centre du modèle et des préoccupations de l’entreprise», ce que le rapport reconnaît naïvement ?
L’argent fait le bonheur… s’il est dépensé pour autrui

Elizabeth Dunn, professeur de psychologie sociale à l’Université de Colombie-Britannique (Canada), et ses collègues ont conclu dans des travaux publiés par la revue Science (21 mars) que « dépenser de l’argent pour les autres rend plus heureux ». Une première enquête auprès d’un échantillon de 630 participants à travers les États-Unis a montré que les gens qui dépensent plus en cadeaux et en dons à des organismes de charité étaient plus heureux que ceux qui dépensaient plus d’argent pour eux-mêmes. Dans une seconde étude, les chercheurs ont suivi 16 travailleurs avant et après qu’ils reçoivent des primes allant de 3 000 à 8 000 dollars. La façon dont les primes ont été dépensées déterminait plus la satisfaction que le montant de la prime. Cette satisfaction était liée à la proportion du montant consacrée à autrui. Enfin, 46 étudiants se sont vus remettre 5 ou 20 dollars à dépenser dans la journée. La moitié des étudiants qui a eu pour consigne de consacrer la somme à autrui était plus satisfaite que celle qui devait la dépenser pour soi.

Ce n’est pas l’ultra-milliardaire Bill Gates, qui consacre l’essentiel de sa fortune à des actions humanitaires, qui nous contredira. Ni Bill Clinton, dont le dernier ouvrage s’intitule tout simplement Donner

Plus de solidarité et d’équité

Or, dans le monde, beaucoup d’individus, d’associations ou de groupements politiques défrichent depuis des décennies des voies différentes, à la recherche de plus de solidarité et d’équité. Et ceci sans attendre le bon vouloir des gouvernements, trop liés aux intérêts des grandes entreprises et du milieu financier.

Parmi ces mouvements, nous avons choisi de vous présenter celui des Focolari, que l’actualité vient de placer sous ses feux en deux occasions : un colloque à l’Unesco le 2 février dernier sur le thème: « Du microcrédit à l’économie de communion – Des valeurs pour l’économie » ; le décès de Chiara Lubich, fondatrice et présidente du mouvement des Focolari à l’âge de 88 ans, ce 14 mars à Rocca di Papa (près de Rome).

Chiara Lubich est à l’origine du concept d’économie de la communion dans la liberté (EdeC), un projet économique né au Brésil en 1991 à son initiative. Ses buts : contribuer à éliminer la pauvreté dans le monde en créant des liens d’échanges fraternels entre ceux qui donnent et ceux qui reçoivent ; montrer qu’elle est une alternative viable à la globalisation marchande. L’EdeC inspire déjà la gestion de plus de 750 entreprises dans le monde (22 en France plus une dizaine en cours de création) et influence le niveau culturel alentour.

De par le monde, une trentaine de cités pilotes se sont organisées dans cet esprit, accueillant à la fois entreprises (souvent réunies en zones d’activité), familles et accueil de visiteurs.

Chiara Lubich, initiatrice des Focolari (foyers)

Née à Trente en Italie, le 22 janvier 1920, Chiara s’était consacrée au Dieu catholique en 1943, tout en restant laïque. Peu à peu, avec ses premières compagnes, elle a mis en place une petite communauté qu’on appela “focolare” (foyer en italien) et qui a fait tache d’huile. Le mouvement des Focolari, reconnu dans l’Église catholique en 1964, est maintenant répandu dans plus de 180 pays, dont la France avec 3 000 membres (sur environ 100 000 au total) et deux millions de sympathisants.

Le monde civil a décerné à Chiara Lubich, qui a écrit 23 livres, plusieurs prix dont le Prix Unesco de l’éducation pour la Paix (Paris 1996) et le Prix européen des droits de l’Homme (Conseil de l’Europe, Strasbourg 1998).

Développer la culture du don

Si le mouvement est clairement de conviction catholique, il s’est efforcé d’engager un dialogue interreligieux, avec un leitmotiv: « Que tous soient uns ». Depuis 1995, des réunions et congrès internationaux (comme celui de l’Unesco en février) réunissent des personnes de convictions autres que religieuses qui souhaitent « s’engager aux côtés des Focolari dans des actions au service de l’homme ».

La “culture du don” du Mouvement des Focolari s’est concrétisée dans une communion des biens entre tous les membres et en oeuvres sociales parfois importantes. L’idée est d’augmenter les ressources en créant des entreprises, confiées à des personnes compétentes afin d’en retirer des bénéfices qui sont utilisés ainsi :

  • une part pour la croissance de l’entreprise,
  • une autre pour l’aide aux personnes dans le besoin, en leur donnant la possibilité de vivre dignement dans l’attente d’un travail, ou bien en leur offrant un travail dans l’entreprise même,
  • enfin une part pour développer la formation d’hommes et de femmes motivés dans leur vie par la “culture du don”.

« Les personnes en difficulté économique, destinataires d’une partie des bénéfices, ne sont pas “assistées” ou “bénéficiaires”, précise José Grevin, responsable du pôle d’entreprises en cours d’installation à Bruyères-le-Chatel (Essonne). Elles sont des membres à part entière de l’entreprise, ou au moins actives dans le projet. Elles vivent également la culture du don. La plupart renoncent à l’aide reçue dès qu’elles récupèrent un minimum d’indépendance économique. D’autres partagent le peu qu’elles ont avec ceux qui en ont le plus besoin. »

———

(1) Une enquête menée auprès des employés de PSA Peugeot-Citroën, après une série de six suicides en 2007, a relevé qu’un salarié sur cinq souffrirait d’hyperstress. Selon Le Monde du 22 mars 2008, la plupart des secteurs d’activités sont touchés par des actes de suicide au travail : France Télécom, HSBC, BNP Paribas, La Poste, EDF, Sodexho, Ed, IBM…

Pour aller plus loin :

>> Envoyer un droit de réponse

Les commentaires sont fermés.