D. Epelbaum (ODI) : « Le droit à l’erreur du journaliste est indissociable de son obligation à la corriger »

Interview Didier Epelbaum, président de l’Observatoire déontologique de l'information (ODI) créé le 2 octobre 2012, répond aux questions d'Ouvertures.

– Jean-Luc Martin-Lagardette.- Pourquoi la création de l’ODI aujourd’hui ?

Didier Epelbaum.- La confiance du public envers les médias reste dégradée depuis quelques années. La défiance est grande particulièrement sur deux points : le manque d’exactitude et de vérification des informations ; les conflits d’intérêt supposés, la dépendance envers les pouvoirs, notamment politique. Je devais déjà y faire face il y a plus de dix ans, quand j’étais médiateur à France 2. C’est grave pour l’image de la profession dont beaucoup de membres veulent que ça bouge.

Lors des Etats généraux de la presse écrite, la création d’une instance déontologique, associée à un projet de charte, avait été proposée mais refusée, syndicats et éditeurs s’en renvoyant la responsabilité les uns sur les autres.

L’Association de préfiguration d’un conseil de presse (APCP), dont je suis membre, voulant avancer, a repris l’idée d’un observatoire déontologique et l’a créé ce 2 octobre 2012. Ouvert à tous, il comprend une quinzaine d’organismes : professionnels des médias, médiateurs, société civile, individus.

– Il existe déjà une instance de régulation pour les médias audiovisuels, le CSA.

– Avant la création de l’observatoire, l’APCP a dialogué, à sa demande, avec Rachid Ahrab, chargé de la déontologie au CSA. Mais ce dernier n’a pas souhaité donner suite à ces contacts. La déontologie n’est qu’une parmi les très nombreuses missions du Conseil, son action dans ce domaine est probablement “suffisante” dans les limites de sa définition qui est celle d’une administration indépendante chargée de contrôler l’application de la loi, de sa composition et de son mode de désignation. Certains diront que le CSA en fait trop : le syndicat majoritaire des journalistes, le  syndicat national des journalistes (SNJ), lui, conteste carrément cette “prérogative” déontologique.

L’autorégulation ou la corégulation, les observatoires de la déontologie ou les conseils de presse sont des mécanismes différents qui placent le journalisme au centre de l’examen et de la critique de son propre travail, éventuellement en concertation avec des représentants du public. L’ODI, par exemple, n’est pas là pour sanctionner mais pour analyser les défauts du système et trouver des pistes pour restaurer la confiance.

Didier Epelbaum a longtemps été journaliste de télévision (à Antenne2, tout d’abord, puis comme correspondant permanent de France 2 en Israël). Auteur de plusieurs ouvrages (sur le conflit du Proche-Orient, sur le nazi Aloys Brüner), il a passé sa thèse de doctorat en histoire. Il a été médiateur à France 2 et a enseigné à l’école de journalisme de Sciences-Po.

– En quoi la déontologie est-elle importante ?

– Son absence conduit à la défiance du public, des publics, pour lesquels nous travaillons. C’est important de savoir s’ils sont satisfaits ou non. Ce n’est pas toujours bien compris dans les médias. Beaucoup de journalistes considèrent qu’ils sont des professionnels, qu’ils font pour le mieux, selon leur conscience, qu’ils ne doivent pas être influencés par les public.

Je crois au contraire qu’il est bon que le public s’exprime et que les journalistes l’écoutent : ils en tireront finalement bénéfice.

– Mais la charte du SNJ dit qu’en matière d’« honneur professionnel et de déontologie », les journalistes ne reconnaissent que la « juridiction de leurs pairs »…

– C’est le seul point obsolète de ce texte. Il est d’ailleurs dépassé. Lors de son dernier congrès, le syndicat a voté une résolution en faveur de la création d’une instance déontologique ouverte au public. La première publication de cette charte, en 1918, était assortie d’un mode d’emploi indiquant que le SNJ espérait devenir un ordre professionnel, à l’instar du Conseil de l’ordre des avocats. C’est à cela que renvoyait la « juridiction des pairs ».

Il y a une contradiction dans ce texte, car les journalistes respectent aussi d’autres juridictions, celle du tribunal, par exemple, en matière de diffamation…

Associer aujourd’hui la société civile à la réflexion déontologique journalistique est un geste fort susceptible d’aider à la reconquête de la confiance du public. Cela prendra sans doute du temps car le syndicat associe la création d’une telle instance à deux préalables : annexion de la charte à la convention collective et reconnaissance juridique des société de rédacteurs.

– Quel bilan faites-vous de votre fonction de médiateur ?

– La fonction n’a pas trop trouvé la faveur des directions des médias. C’est plus solide dans le service public. L’ancien président de France Télévisions Patrick de Carolis avait supprimé l’émission du médiateur : une nouvelle émission est en projet.

Il y a toujours des résistances face à cette fonction : les journalistes sont partagés. Beaucoup ne comprennent pas bien quel est son rôle, ils n’apprécient pas d’être remis en cause de l’intérieur. La médiation n’est pas vraiment entrée dans les mœurs.

– C’est mieux dans d’autres pays ?

– Il y a une cinquantaine de médiateurs aux États-Unis, par exemple. Les journaux les plus sérieux ont tous leur médiateur. Le premier à s’être dit prêt à rendre des comptes au public, le Washington Post, a créé un tel poste parce que la crédibilité était sa priorité. Il l’a fait par intérêt, non par idéologie.

– On parle de « dérives journalistiques », mais, en fait, le journaliste n’est qu’un salarié, qui dépend donc de son employeur…

– Au sein de l’Observatoire, nous avons un groupe de travail sur les conditions de production de l’information. Ce sont souvent les mauvaises conditions de travail qui sont à l’origine des dérives. Le journaliste ne dispose pas toujours du temps nécessaire pour approfondir ni même vérifier ses informations : il doit produire de plus en plus vite. Si ça casse, la hiérarchie n’est pas mise en cause. Et le journaliste paie les pots cassés. C’est ce qui s’est passé avec l’affaire Florence Schaal. C’est toute la chaîne de fabrication qui est en cause. Il faut responsabiliser les dirigeants.

– Vous avez aussi un atelier consacré aux bonnes pratiques. Un exemple ?

– La correction des erreurs et sa publicité. Ainsi, France 2 avait fait un sujet sur les élections vénézuéliennes bourré d’erreurs le 3 octobre dernier. Six jours plus tard, le journaliste avait reconnu ses erreurs à l’antenne et les avait rectifiées. Ce que font facilement les journaux américains. En France, c’est peu pratiqué. Pourtant, le droit à l’erreur est indissociable de l’obligation de la corriger.

Élie Wiesel, à propos de François Mitterrand, avait dit : « Les grands hommes commettent souvent deux erreurs : croire qu’ils ne font pas d’erreurs ; qu’ils sont moins grands quand ils les reconnaissent ». Cela s’applique aussi aux journalistes !

> L’ODI présentera son premier rapport lors des prochaines Assises internationales du journalisme à l’automne 2013. Un site Internet est en préparation. Les personnes intéressées peuvent contacter Pierre Montel, pierre.montel(arobase)snrl.fr.

Pour aller plus loin :

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3 commentaires pour cet article

  1. La grande partie des journalistes sont bien incapables de penser factuellement. L’environnement tout entier, la société toute entière, les en empêche. Tout est fait pour les en empêcher, car dès lors, ils pourraient devenir dangereux, peut-être remettre en cause les fondements de la société, ou même ceux de nos civilisations… Dès lors, l’erreur n’est plus simplement d’ordre factuel, car lorsque les idéaux, les idéologies, les croyances, intriquées à la personnalité même (souvent problématique) des auteurs font office de base à toute information présentée, comment le lecteur, souvent aussi confus, sinon plus que le journaliste, comment cette personne pourrait-elle y voir un peu plus clair au sujet du monde et/ou de l’environnement dans lequel elle vit? Aujourd’hui, le journaliste est devenu le véhicule de la pensée dominante, ou de la pensée d’un groupe ou d’une idéologie, il est devenu esclave de la communication et de l’autorité des experts, pseudo-experts ou intellectuels renommés dans leur petit champ d’expertise, très limité. Le journaliste est également prisonnier de la respectabilité. Au final, il n’est pas libre d’écrire ce qu’il veut et comment il le souhaite. Car s’il n’est pas censuré par sa hiérarchie, il s’auto-censurera, ou sera auto-censuré par son environnement.

  2. Ping : Naissance de l’Observatoire de la Déontologie de l’Information « APCP

  3. Initiative intéressant que je suivrais avec attention. Il y a dans la presse ” des marges de progrès”. Au sein de l’Observatoire des médias de l’université permanente de Nantes, nous portons intérêt à tout ce qui favorise la prise de conscience de la qualité de information dans un échange professionnels-publics. Nous en débattons régulièrement.
    jeanclaudecharrier