Le crédo de Michaël Lainé, éditeur : « Comprendre pour agir »

Michaël Lainé confie à BSC news comment il a été amené à fonder les éditions Prométhée sur un concept original : faire débattre à froid deux auteurs aux avis divergents sur des sujets de société.

Michael Lainé Michaël Lainé, fondateur des éditions Prométhée – Photo : DR

BSC news : – Michaël Lainé, tout d’abord qu’est ce qui vous a amené à vous lancer dans l’édition ?

Au risque d’être original : l’amour du livre ! Plus sérieusement, j’ai voulu me lancer dans l’arène intellectuelle et transmettre ma passion de comprendre. Mais il ne s’agit pas de défendre un savoir figé : « comprendre pour agir » est mon crédo.

– Quelle est la genèse des Editions Prométhée ?

L’idée-phare de la collection « Pour ou contre ? » trottait dans ma tête depuis longtemps. Mais j’avais besoin de fourbir mes armes, de m’aguerrir en m’affrontant à d’autres façons de penser et de concevoir le métier, bref, d’accumuler de l’expérience. Après quelques années, profitant d’une période de chômage où j’ai pu tremper mes résolutions, je me suis dit que l’opportunité ne se représenterait peut-être pas deux fois. À 29 ans, il était temps de se lancer.

– Dans la présentation de votre maison, vous parlez de boussole intellectuelle, pouvez-vous nous en dire plus ?

Nous avons tous besoin d’être guidés pour nous repérer dans ce monde, n’en déplaise aux naïfs qui s’imaginent que la pensée naît spontanément en nous. Or, l’évolution des sociétés nous laisse face à un paradoxe : nous sommes de mieux en mieux formés, nos études s’allongent, mais le sens des choses nous échappe de plus en plus. Les individus n’ont presque plus de pensée critique.

– Vous parlez également du livre comme une source d’information peu alléchante à l’inverse de la télévision ou de la presse ? Comment les Editions Prométhée tentent-elles d’inverser « ces défauts rédhibitoires » ?

Aujourd’hui, les individus sont bombardés en permanence d’informations. Leur attention et leur curiosité fluctuent rapidement. Les défauts rédhibitoires du livre auxquels vous faites allusion sont de deux ordres. Sa temporalité, tout d’abord, est peu adaptée aux temps modernes. Elle est celle de la retraite et de la méditation là où les médias s’inscrivent dans un quotidien accéléré. La forme même du livre, ensuite, s’écarte de l’interactivité permise par la télévision, le web ou la radio. Les textes dialoguent avec les textes, à l’abri de hauts remparts : l’auteur est seul maître à bord et n’a pas à répondre aux questions du public ou aux critiques d’autres experts. Grâce à l’instantanéité des débats oraux, les médias chamboulent ce cadre. Le spectateur ou l’auditeur n’est plus confronté à un texte mort, mais à une pensée vivante.

– Comment vous est venue l’idée de lancer la collection  « Pour ou Contre  » ?

Pour ou contre

L’insatisfaction profonde constitue un formidable aiguillon ! Ce qu’offre la plupart des médias dominants est la mise en scène spectaculaire de différends artificiels ou des débats en trompe-l’œil, aux questions biaisées, où quelques voix dissidentes sont là pour offrir une caution démocratique à des échanges verrouillés. Sous couvert de débat, on assiste à une véritable standardisation de la pensée ! (…) La collection « Pour ou contre ? » offre un véritable espace de débat alliant les avantages de l’écrit (le fait de mûrir sa réflexion, de prendre le temps de bien démonter les arguments de son contradicteur) et de l’oral (le fait de répondre aux critiques). Concrètement, il s’agit de mettre aux prises, dans un livre, deux auteurs aux avis divergents, avec cette particularité qui change tout : ils ne réfutent pas leur contradicteur dans l’immédiat, mais avec le secours du temps, car ils répliquent à un texte. Mon rôle, en tant qu’éditeur, consiste à faire en sorte qu’ils n’oublient aucun argument, afin qu’ils démontent point par point la pensée de celui ou celle à qui ils s’opposent. Le débat se déroule ainsi en trois temps : 1) chaque auteur écrit de son côté ; 2) il réfute le premier texte de son contradicteur ; 3) il réfute sa réfutation, c’est-à-dire son deuxième texte, et livre sa propre synthèse du débat. Chaque ouvrage résulte ainsi de l’addition de six textes. Au lecteur d’en tirer ses propres conclusions et de se forger son opinion personnelle à partir du matériau qu’on lui offre.

– « Notre vœu le plus cher est d’offrir à chacun de se réapproprier le sens du monde ». Par cette volonté, êtes-vous aujourd’hui satisfait du développement de votre maison ?

Les quelques retours de lecture qui me sont parvenus sont encourageants. Bien sûr, aucun livre n’est parfait, et je me dis toujours, après coup : « Ah, si… » Mais, globalement, je crois le pari intellectuel réussi. Les auteurs ont tous joué le jeu et leurs échanges permettent réellement de faire progresser le débat. Les livres s’adressent aux profanes comme aux spécialistes : les uns comme les autres peuvent y trouver leur compte. Vu que les ouvrages font 128 pages, l’écriture va droit à l’argument, sans détour ni complication, ce qui permet de faire rapidement le tour de la question. Des auteurs de renom se sont laissé séduire par cette aventure intellectuelle, ce dont je ne suis pas peu fier et ce dont je ne les remercierai jamais assez : du père scientifique du premier bébé-éprouvette français et figure de proue du mouvement anti-OGM, Jacques Testart, à une des plus grandes sommités internationales de la démographie, Hervé Le Bras, en passant par beaucoup d’autres, j’ai tout lieu de m’estimer comblé… Des OGM aux sondages, de l’immigration aux puces RFID, de l’indépendance des banques centrales à l’avenir du service public de santé, la collection « Pour ou contre ? » a vocation à aborder tout sujet de société.
Quant au pari financier, là c’est une autre histoire… L’implantation en librairie est rendue difficile par la surproduction éditoriale et les politiques des grandes chaînes culturelles (FNAC, Cultura, Virgin, Gibert) visant à restreindre leur offre aux seuls grands éditeurs. Autant essayer de décaniller la Tour Eiffel à coups de cure-dents ! Heureusement, il existe des libraires indépendants qui défendent haut les couleurs de la création culturelle. De même, au sein de certaines FNAC, il y a encore des professionnels formidables, attentifs, exigeants, prêts à tourner les directives du siège social. Mais pour combien de temps ?

– Votre ligne éditoriale est audacieuse et très intéressante. Comment sont perçus vos livres dans la presse ?

Avec une relative indifférence. S’il y a bien eu quelques (petits) articles dans des journaux de référence, aucun n’a signalé l’originalité de la collection. Les points de vue les plus intéressants sont venus de revues à tirage confidentiel ou de webmagazines. Il est vrai que je ne m’inscris dans aucun réseau et que je n’ai pas d’attaché-presse… Rares sont les journalistes à prendre encore au sérieux leur rôle de découvreur et de passeur intellectuels : généralement, les médias dominants chroniquent les mêmes livres, sans trop s’égarer hors des sentiers battus. Sans même parler des courtoisies croisées et autres renvois d’ascenseur qui sont légion… Pourtant, la place réservée aux livres dans la presse est limitée. À chaque recension d’un livre de BHL ou Alain Minc, c’est un petit éditeur que l’on assassine.

– Parlez-nous de votre dernière rentrée littéraire ?

Pour ou contre

Comme à chaque rentrée, Prométhée propose des ouvrages de fond qui sont également des ouvrages répondant à une certaine actualité. Dans le premier, il est question de l’avenir de l’assurance-maladie et du service public de la santé. Le trou de la SECU fait la Une des journaux depuis des années, sinon des décennies. Il est grand temps de voir ce qu’il est possible de faire pour y remédier. André Grimaldi, que les lecteurs du Monde diplomatique connaissent bien, diabétologue à la Pitié-Salpêtrière, y donne la réplique à Claude Le Pen, professeur d’économie de la santé à Paris-Dauphine. Le thème du deuxième ouvrage est très ambitieux. Dans 10 ans, il n’aura pas pris une ride : « Comment sauver notre planète sans toucher à notre mode de vie ? » Il y est question du réchauffement climatique, de l’épuisement des ressources d’énergie fossile, et de la décroissance. Benjamin Dessus, ingénieur et économiste président de l’ONG Global Chance, y répond à Sylvain David, physicien, qui enseigne à l’institut de physique nucléaire d’Orsay.(…)

>> On peut retrouver l´intégralité de l´interview sur BSC news, le magazine littéraire et culturel gratuit depuis 2007.

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1 commentaire pour cet article

  1. La contradiction m´informe, m´élargit , me complète.

    Encore faut-il l´admettre et s´y ouvrir sans faux-fuyant…

    Quelle justesse dans : “Ce qu’offre la plupart des médias dominants est la mise en scène spectaculaire de différends artificiels ou des débats en trompe-l’œil, aux questions biaisées, où quelques voix dissidentes sont là pour offrir une caution démocratique à des échanges verrouillés.”

    Bon vent, Michaël !