Qui s’intéresse aux modalités du débat public ?

Quand de grands débats comme le débat public nanotechnologies arrivent sur le devant de l’actualité, les polémiques sur la manière dont ils sont organisés vont bon train. Mais quand une proposition de loi visant à « l’organisation du débat public sur les problèmes éthiques et les questions de société » s´invite à l’ordre du jour de l’Assemblée, ça ne semble plus intéresser personne, ou presque. Seule l´association Sciences & Démocratie a ouvert un débat sur le débat.

débat public sciences éthique

 

Philippe Bourlitio, fondateur de Sciences et Démocratie. Photo J. Piard

 

 

Le 16 février dernier, l´Assemblée nationale a adopté en première lecture une proposition de loi de Jean Leonetti relative à « l´organisation du débat public sur les problèmes éthiques et les questions de société ». Elle concrétise les propositions  formulées par la Mission d’information sur la révision des lois bioéthiques dans son rapport du 20 janvier 2010. L’objectif est d’institutionnaliser la formule de débat public mise en œuvre lors des Etats généraux de la bioéthique de 2009 : débats locaux animés par les Espaces éthiques régionaux, conférence de citoyens préalablement formés, recueil d´opinions sur un site internet dédié.

La proposition de loi confie au Comité consultatif national d´éthique (CCNE) la responsabilité de décider de l’opportunité d’organiser un débat public en amont du travail parlementaire. Mais elle en fixe les modalités en imposant la tenue de conférences de citoyens.

Conférence de citoyens

Un jury citoyen (ou conférence de citoyens, ou panel de citoyens) est une assemblée temporaire désignée par tirage au sort ou choisie par une autre méthode aléatoire (démarchage dans la rue, etc.) pour orienter certaines décisions politiques. Le but est de renforcer la participation citoyenne dans les processus politiques et/ou d´éclairer la prise de décision dans des situations complexes en consultant un échantillon de la population. Historiquement, les jurys citoyens s´inspirent du modèle des jurés des Assises, d´où le nom de “jury” qui leur est souvent donné, en particulier dans les pays anglo-saxons, mais leur objectif est de faire des propositions plutôt que de juger des décisions déjà prises. Source : Wikipedia

L’adoption par l’Assemblée nationale de cette très succincte proposition de loi ne s’est pas faite sans débat. Même si tous les orateurs ont souligné la nécessité de favoriser et d’organiser la participation citoyenne, le groupe SRC (Socialiste, Radical, Citoyen) s´est abstenu en regrettant la précipitation avec laquelle cette initiative avait été lancée. De nombreuses insuffisances ont en effet été relevées par les députés de tout bord. Si certaines ont été corrigées par des amendements – en particulier l’implication de L´Office parlementaire d´évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST)[1] pour une meilleure articulation entre démocratie participative et représentative  –, la plupart n’ont pas trouvé de réponse satisfaisante :

  • Le champ d’application n’est pas assez large. Certains députés souhaiteraient l’étendre à d’autres questions sociales et sociétales que celles  « soulevées par les progrès de la connaissance dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé » : OGM, déchets radioactifs…
  • La forme imposée – états généraux incluant des conférences de citoyens – est trop restrictive. Il y a d’autres manières d’associer le public aux décisions.
  • Les conférences de citoyens ne font pas de place aux corps intermédiaires, aux associations, ni à l’Etat. Elles soulèvent d’autre part un certain nombre de questions : comment assurer la représentativité des citoyens et la légitimité du panel ? Comment donner une formation neutre  de qualité aux citoyens en quelques jours ?
  • L’initiative d’organiser des débats devrait être laissée au Parlement. La CCNE ne présente pas de garantie de neutralité suffisante pour organiser des débats, puisqu’elle doit rendre elle-même des avis. Et comment va-t-on articuler le CCNE et la CNDP (Commission nationale de débat public) ?
  • Il ne faut pas tomber dans une « parodie de démocratie » avec des « citoyens alibi ». Les Etats généraux de 2009 ont été un débat d’experts « dirigeant les débats d’en haut », sans « véritable délibération collective ».

Ce débat parlementaire qui a précédé l’adoption des deux articles de loi n’a eu d´écho que dans les Echos. Et du côté de la société civile, la jeune association « Sciences et Démocratie » qui milite pour faciliter et développer la participation des citoyens aux choix scientifiques et technologiques est la seule à avoir réagi en demandant que la loi soit revue :

  • Elle remet en question le fait que le débat public ne soit envisagé que pour préparer l’examen de projets de loi déjà bien ficelés qui n’autoriseraient plus que des ajustements à la marge.
  • Elle met en lumière le fait que cette proposition de loi ne serait là que pour rendre acceptable la suppression prévue de l’obligation de réviser la loi de bioéthique tous les 5 ans et critique le caractère facultatif du débat public.
  • Elle regrette que le législateur, en donnant tout pouvoir d’initiative au CCNE (Comité consultatif national d´éthique), n’ait pas laissé de place à l’initiative citoyenne.
  • Enfin, sur les modalités du débat, elle ne se satisfait pas du texte qui « en dit trop ou trop peu (…). Ces démarches participatives peuvent présenter des biais de procédures qui en compromettent la régularité. Par exemple, il est possible d´orienter les conclusions des panélistes d´une conférence de citoyens via le choix des formateurs qui leur sont attribués et des personnes qu´elles peuvent consulter. Lors des Etats généraux de la bioéthique 2009, les organisateurs ont fait le choix de ne pas exposer les panélistes aux arguments des militants associatifs, pour éviter que les sentiments qu´ils n´auraient pas manqué d´éprouver lors de ces échanges ne brouillent leur jugement. Ce choix est tout à fait discutable ».

La proposition de loi est maintenant entre les mains du Sénat. Il est encore temps pour les citoyens de se manifester pour le faire évoluer, sans précipitation. Lors du prochain grand débat, il sera trop tard…

>> Dans un article publié le 18 mars sur Vivagora.org, Dorothée Benoit-Browaeys démontre que cette proposition de loi consacre la prééminence des tenants de la neutralité par rapport à ceux du pluralisme. « Pour les premiers, tout l’argumentaire des militants associatifs est mis hors jeu (hors formation) car il est vu comme susceptible de brouiller le jugement. Pour les seconds, les « savoirs situés » sont tout aussi légitimes que les « connaissances académiques », avec une utilité complémentaire de mise en contexte ».

>> A la fin de l´article publié le 20 mars sur son blog critique de sciences, Jacques Testart conclut que « ce texte n’est aucunement une avancée puisque la procédure n’est pas décrite, même grossièrement… ce qui permettra de neutraliser les demandes de véritables CdC (Conventions de citoyens) comme celles que nous souhaitons (Sciences Citoyennes) et de confirmer la fonction de leurre démocratique des propositions de plus en plus fréquentes pour la “participation” des citoyens aux choix de société…»


[1] L´Office parlementaire d´évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) est une structure commune à l´Assemblée nationale et au Sénat. Il a été à l´initiative de la toute première conférence de citoyens en France en 1998, qui portait sur les OGM.

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1 commentaire pour cet article

  1. Bonjour,
    Il ne faut pas s´étonner du peu d´intérêt des Français pour ces parodies de démocratie..
    Les FINALISTES de la Présidentielle 2007 savant ce qu´ils veulent mais n´en tiennent aucun compte..

    Les citoyens doivent pouvoir choisir les sujets de conventions de citoyens et les sélectionner démocratiquement.
    Ils doivent aussi disposer du référendum d´initiative citoyenne (RIC)pour pouvoir – s´ils estiment ne pas avoir été ” entendus” par le pouvoir en appeler a l´ARBITRAGE de la population concernée..
    Comment se fait il que Sciences et démocratie ne demandent pas le RIC (Souhaité par plus de 82% des Français!) alors que si les citoyens n´en disposent pas ils sont RIEN ?

     Par RIC, Sciences et démocratie pourrait élaborer SES modalités de Convention de citoyens et les soumettre à un RIC si la majorité refusait de les adopter en l´état…

    Voilà ce que les finalistes de la présidentielle disaient des citoyens en 2007..

    –      

    –       N.SARKOZY, à la fin  de son investiture a évoqué ce  « peuple français qui ne veut pas  que l’on décide à sa place, et qui par-dessus tout ne veut plus que l’on pense à sa place…“   ( Voir extrait vidéo  http://www.ric-france.fr/videos/ns.wmv  )

     

    Il n’a pas instauré le RIC en 2008 alors que c’est pour lui le seul outil lui permettant de décider directement.

     

    –  S.ROYAL, après des centaines de rencontres avec les citoyens en dressait le bilan sur son site « Désirs d’avenir »  en présentant plus de cent propositions.
     On pouvait lire :

    « Une nouvelle présidence »

    Remontée des débats

    Les citoyens veulent prendre la parole plus souvent et plus directement pour décider eux-mêmes.(…) »

     

    C’est la description même du référendum d’initiative citoyenne…qui n’était pourtant pas dans son programme … L