Démocratie

Vivagora, un nouvel organe de débat implanté dans le corps social

Amiante, nanotechnologies, biologie de synthèse, OGM, gaz de schiste… Notre société est mal organisée pour faire face aux risques engendrés par les avancées scientifiques et technologiques. Une association courageuse et salutaire, Vivagora, tente de combler ce vide. Mais ses efforts sont encore mal reconnus par les pouvoirs publics.

L’association Vivagora, née en 2003, milite pour mettre en discussion les développements scientifiques et technologiques. Laboratoire d’idées et de pratiques, rompue à la gestion de la controverse, elle favorise le dialogue général pour que ces développements « contribuent à la qualité de la vie et à l’autonomie des personnes ». Comment faire en sorte que les projets techniques et scientifiques soient soutenables, d’un point de vue social, sanitaire et écologique ?

Vivagora s’efforce de combler un vide laissé par le système parlementaire, judiciaire et institutionnel. Certes, celui-ci possède bien des instances vouées à cet effet, mais celles-ci ne répondent pas de façon satisfaisante et impartiale à toute la diversité des intérêts et des besoins.

« Collusion organisée entre industriels, politiques et institutions de recherche »


Dorothée Benoit-Browaeys, déléguée générale
de Vivagora.

A ce titre, l’exemple de l’amiante est emblématique : « La protection sanitaire des citoyens français ne peut être assurée tant que dure la collusion organisée entre industriels, politiques et institutions de recherche », note dans un article Dorothée Benoit-Browaeys, déléguée générale de Vivagora. « L’affaire de l’amiante exhibe les failles de la justice française : la non-condamnation des mœurs du comité permanent amiante (CPA) ouvre la voie à d’autres désastres. Tout le monde pense aux pesticides (le chlordécone aux Antilles), aux  perturbateurs endocriniens diffus (les phtalates dans les plastiques) ou aux nanoparticules (les nanotubes de carbone aux effets similaires à l’amiante) ».

Alors qu’en Italie, au début de 2012, les anciens dirigeants d´Eternit ont été condamnés à de lourdes peines (16 ans de prison ferme !) ― une grande première dans le domaine de la sécurité au travail ― en France, la juge qui travaille depuis 15 ans sur l’affaire des victimes de l’amiante se voit dessaisie de son dossier. Pire, la justice multiplie les procédures pour récupérer des trop-perçus d’indemnités auprès des victimes de l’amiante…

Chantiers Vivagora en 2012

Parmi d’autres :

– Programme Repere (stockage du CO2 et gaz de schiste)

– Vivant artificiel et nouveaux OGM

– R&Dialogue pour une société européenne à bas carbone

– Sport, sciences et technologies

– Cafés philo sur la « vulnérabilité »

– Medipatient, Médicaments, patients et environnement

– Impact puces RFID, etc.

Alors que le procureur italien a pu s’appuyer sur un Observatoire chargé de rechercher les cas de cancers non repérés, « le Parquet en France continue de se battre aux côtés d’Eternit. Pire, [la mise en place] en France d’un organe comme le Comité permanent amiante (CPA) servant de “protection de l’industrie” par la collusion entre fonctionnaires de l’Etat, directeurs d’entreprises et scientifiques exhibe aux yeux de tous les effroyables démissions des gardiens de l’intérêt général. (…) Dans l’Hexagone, les pouvoirs en place ne tirent aucune leçon des compromissions gravissimes repérées dans les affaires du sang contaminé, de l’hormone de croissance ou même de la catastrophe de Tchernobyl ».

Culture de l’innovation

Ce constat lucide incite Vivagora à mettre en place l’huile qui manque pour un meilleur fonctionnement de la démocratie sur ces questions sensibles. Elle accompagne ou organise des débats et des échanges d’expertise pour favoriser l’émergence d’une nouvelle « culture de l’innovation ». Rien qu’en 2010 : ateliers, forum, mobilisation de collectifs, processus d’expertise dans le domaine des nanotechnologies ; manifestations dans le domaine de la biologie de synthèse et des OGM ; parlement du futur sur l’électronique ambiante, etc. Soit une dizaine de chantiers conçus par elle ou en réponse à des appels d’offre. Enfin, Vivagora, devenue spécialiste du dialogue multiacteurs intégrant également les non-initiés et les non-experts, a mis sur pied une formation sur la concertation.

Malgré l’importance des enjeux soulevés par toutes ces questions, des actions importantes soutenues en 2010 n’ont pu être prolongées en 2011 par manque de financement. Comme le site d’informations sur les nanotechnologies ou l’évaluation d’une solution de lutte contre le chikungunya.

Avec un budget d’environ 350 000 euros, une cinquantaine d’adhérents et une équipe de trois salariés en 2011, l’association a gagné l’estime de nombreux acteurs. Reste à acquérir une plus grande légitimité aux yeux des pouvoirs publics, avec des financements plus assurés, vu la cause d’intérêt général qu’elle défend avec passion.

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5 commentaires pour cet article

  1. Les financements dédiés à un portail de veille citoyenne sur les nanos expérimentés en 2009 avec VIvagor ont été poursuivi essentiellement par la FPH en 2011, puis essentiellement par la Fondation de France en 2012 auprès d´une association dédié et indépendante de Vivagora :  AVICENN Association de Veille et d´Information Civique sur les Enjeux des Nanosciences et des Nanotechnologies, est destinée à favoriser les échanges entre les citoyens au sujet des “nanos”.
    Son objectif est d´obtenir la transparence et la démocratisation des choix concernant la recherche, le développement, la commercialisation et l´utilisation des nanotechnologies.
    Son action est l´animation de réseaux et la construction collective et pluraliste d´informations, ainsi que la diffusion auprès de la société civile. C´est le maillon en France de réseaux citoyens actifs en Europe, aux USA, au Canada, en Amérique du Sud, en Australie, et à développer dans d´autres pays. 

    Une collecte des informations est accessible sur le site http://wikinanos.fr
    et les analyses sont diffusées en creative commons sur le site http://veillenanos.fr

    Nous vous invitons à découvrir nos travaux.
    Si vous souhaitez recevoir la Lettre Veillenanos, vous pouvez vous abonner en envoyant un message à  abonnementslettre-subscribe@veillenanos.fr

  2. Il est suffisamment rare qu´une association se dévoile jusquà publier le détail de ses comptes pour ne pas le souligner. Mais quelques explications ne seraient pas superflues pour éviter des conclusions hâtives…

  3. Et quelles “explications” pour éviter quelles “conclusions hâtives” souhaiteriez-vous ?

  4. Les associations comme Vivagora font du bon boulot. Mais en ces temps de vaches maigres, il vaut mieux éviter de donner des verges pour se faire battre.

    Il me paraitrait sain par exemple de préciser la nature des partenariats privés (L´Oréal 101 000 €, LVMH 20 000 €, France Telecom 5 000 € …). Comment l´association protège-t-elle son indépendance ?

    Autre question  : si la masse salariale de 131 000 € correspond bien à 3 emplois, le salaire mensuel moyen ressort à 3600 € net par mois. Le montant peut paraître élevé, mais tout dépend des qualifications des salariés…

  5. Merci pour vos questions qui témoignent de votre active vigilance.

    Vous avez raison, l´indépendance est vitale. Pour nous il n´y a pas de structure exempte d´intérêt (neutre) et même les ministères impriment des diktats ! Vous savez que le ministère de la recherche est souvent nommé CEA tout court… Les Fondations elles-mêmes ont aussi leur partis pris. Dans ce contexte, ce que nous visons à VivAgora c´est la pluralité des ressources.

    Ceci étant dit, accepter de l´argent d´entreprises privées nécessite de la vigilance. Il nous semble important de distinguer l´argent qui arrive dans le cadre d´une subvention pour fonctionnement ou d´un mécénat, de celui qui est versé pour la réalisation d´un projet.

    – Les versements LVMH et ORANGE entrent dans le premier cas : ici il est essentiel de ne pas se trouver contraints (obligés) en quoi que ce soit. En l´occurence quand Orange a apporté un soutien financier pour le Parlement du Futur 2011 sur l´électronique ambiante, le groupe n´est aucunement intervenu sur la programmation. Au contraire, il a envoyé son responsable RSE pour s´expliquer sur l´obsolescence programmée ou ses pratiques d´opérateur en Afrique. Pour LVMH, l´apport est fait dans le cadre du Club VivAgora sans contrepartie.

    – La contribution importante de L´Oréal que vous mentionnez correspond à une prestation demandée par le groupe cosmétique (on est dans le second cas de figure).Nous organisons actuellement dans ce cadre un dialogue impliquant une douzaine d´associations sur “produits solaires et nanotitane”. Cette annonce est disponible sur notre site.Un tel projet n´a aucune influence sur notre gouvernance interne (bureau et Conseil d´administration constitués de personnes sans intérêt financier dans l´activité de VivAgora). Ce qui crucial pour autant est que l´action menée soit au niveau de nos exigences : transparence, informations rigoureuses, montée en compétences des participants, compréhensions réciproques approfondies, influence sur les pratiques de l´entreprise… Nous avons pour cela bordé le processus pour éviter l´instrumentalisation : Copil pluraliste, information initiale et méthodes d´interaction assumées par VivAgora, consultation d´experts choisis par le panel associatif…

    Enfin vous questionnez les niveaux de salaires. VivAgora emploie deux salariés qualifiés ce qui implique des niveaux de salaires équivalents à ceux de journalistes expérimentés. Un troisième salarié débutant, un webmaster et un stagiaire font passer le poste “salaires” à environ 200 000 euros annuels. Le reste correspond aux coûts logistiques (loyer, location de salles, impressions, informatique…) et à des prestations (refonte site web, sous traitances sur le projet XENOP…)

    J´espère que ces précisions sont claires et qu´elles pourront permettre des conclusions balancées et réfléchies.

    Bien à vous tous