La génomique pour mieux évaluer la nocivité des médicaments et des produits chimiques

Claude Reiss, président de Antidote Europe, montre comment l’on pourrait éviter des milliers de morts en utilisant d’autres méthodes, plus efficaces, comme la génomique, pour évaluer les effets néfastes des médicaments et des substances chimiques.


Claude Reiss.

Les victimes du Mediator ne sont qu´une fraction (moins de 3%) du nombre de personnes succombant aux effets secondaires de médicaments. En 1997 déjà, le secrétaire d´Etat à la santé d´alors, M. Kouchner, faisait état, en France et par an, de 18 000 décès et 1,3 millions d´hospitalisations à cause de ces effets secondaires. Soit plus de 4 fois le nombre annuel de tués sur la route et la 4ème cause de mortalité en France ! Les données de pharmacovigilance étant secrets d’Etat en France et en Europe, nous avons demandé au parlementaire Gérard Bapt ainsi qu’à Michèle Rivasi, députée européenne, qui se sont tous deux exprimés de façon très critique sur l’affaire du Mediator, de bien vouloir se renseigner et nous indiquer les chiffres actuels. Nous attendons leurs réponses.

Le problème du Mediator est un tout petit cas du problème général de la défaillance de l’évaluation fiable des médicaments et de leurs effets secondaires. Il ne suffit pas de mettre « sous surveillance » 72 médicaments disponibles dans les pharmacies, comme annoncé à la hâte après le scandale Mediator. Il faut enfin les soumettre à des tests sérieux, ce qui n´a à l´évidence pas été le cas avant d´accorder les autorisations de mise sur le marché (AMM). Se contenter de « mise sous surveillance » de médicaments, alors que l´on sait que des malades en meurent, revient à prendre tous les malades comme un cheptel de cobayes pour établir une comptabilité bénéfice/risque des médicaments.

« Nous ne sommes ni rat, ni chien, ni macaque »

Que proposons-nous ? En premier lieu, pas de compromission : l’Etat doit se préoccuper exclusivement de l´intérêt du patient et s’assurer par ses propres moyens qu’une molécule dont l’industriel demande l’AMM a une activité médicale au moins égale à celle de médicaments déjà disponibles et que ses effets secondaires sont complètement identifiés.

Actuellement, pour avoir l’AMM, l’industriel doit remettre à l´agence un dossier évoquant ces deux points. Ce dossier fait état d’études précliniques sur des animaux « modèles » et d’études cliniques sur un petit nombre de volontaires humains, soit sains pour apprécier la toxicité, soit malades pour s´assurer des effets médicaux. Les données sur les animaux sont sans intérêt (voir encadré) et ne peuvent qu’induire en erreur : nous ne sommes ni rat, ni chien, ni macaque. D’autre part, se baser sur les résultats obtenus chez quelques volontaires, dont certains sont souvent déjà sérieusement malades, est très insuffisant.

Quant aux experts de l’agence en charge d’examiner ce dossier (l’Afssaps), ils n’ont pratiquement pas de moyen pour établir une contre-enquête du dossier de l´industriel, c.-à-d. une évaluation indépendante de la substance concernant son activité médicale et ses effets secondaires.

Pourquoi les tests sur les animaux ne sont pas valables pour l’homme

Toute espèce est définie par son isolement reproductif : un chien ne peut pas se croiser avec un chat ou un cheval avec une vache, ni un chimpanzé avec un orang-outang. C’est dû au fait que les chromosomes d’une espèce donnée sont uniques, ils ne peuvent se complémenter au cours de la reproduction sexuelle avec les chromosomes d’aucune autre espèce. Cela signifie aussi que les gènes présents dans les chromosomes d’une espèce sont uniques, même s’ils sont proches des gènes d’espèces voisines en termes d’évolution.
Chaque espèce va donc réagir à l’exposition à une substance donnée avec ses gènes, ses réactions peuvent être semblables, différentes ou opposées de celles d’une autre espèce, on ne le saura qu’après tests sur les deux espèces. La notion de « modèle » animal pour l’homme n’a donc aucun sens. Ainsi, notre plus proche cousin dans l’évolution, le chimpanzé, est insensible au VIH (responsable du SIDA chez l’homme), peu sensible au VHB (responsable d’hépatites chroniques et de cancer du foie) et meurt du virus Ebola (fièvre hémorragique chez nous aussi), soit des réactions contraires, différentes et semblables, imprévisibles.

L’Afssaps doit être complètement à l’abri de toute pression venant de l’industriel : il faut bannir les conflits d’intérêt grâce à une rémunération juste des experts et leur donner les moyens pour effectuer une contre-expertise sérieuse.

Recourir à la toxicogénomique

Antidote Europe propose des solutions concrètes, aux mieux des données scientifiques actuelles, ce que nous croyons être les seuls à faire. Les experts de l’Agence doivent impérativement pouvoir évaluer les effets positifs et adverses de la substance, par des méthodes réellement scientifiques et sur du matériel biologique d’origine humaine (cellules en culture principalement). La génomique est la méthode de choix à cette fin. Elle permet d’examiner les bénéfices médicaux d´une substance, c-à-d comment elle affecte les fonctions génétiques et biologiques d’une cellule donnée, pour l’aider à surmonter ses faiblesses ou défaillances à l’origine d’une pathologie (toute maladie a une origine cellulaire). La génomique permet aussi d’établir les effets adverses de la substance (toxicogénomique). Elle permet même d’évaluer le bénéfice médical et le risque d´effets secondaires chez une personne donnée (pharmacogénomique).

Ces méthodes et d´autres, réellement scientifiques, donnent des résultats valables pour l´homme, rapidement (échelle de la semaine) et à un prix très raisonnable. Pour être crédible, l’Afssaps devra se doter d´installations de génomique et recruter le personnel compétent pour les mettre en œuvre, afin d´évaluer systématiquement toutes les substances faisant l´objet d´une demande d´AMM.

Une telle initiative obligerait immédiatement l´industriel de se doter d´installations semblables et de fournir un dossier sérieux, sachant que du côté de l´Agence, les experts vont établir un dossier à charge et le confronter sans concession à celui de l´industriel. L´Agence américaine du médicament américaine (FDA) a pris il y a plusieurs années déjà une initiative pour inciter les industriels à soumettre des dossiers d´AMM avec des données génomiques des substances proposées.

Interdire l’évaluation sur « animaux modèles »

Cette initiative, qui ne peut être que politique, suppose des moyens pour créer les laboratoires et les équipements requis. A l´échelle de la sécurité sanitaire du pays, ces moyens sont très modestes, de l´ordre de la dizaine de millions d´euros. Pour faire « tourner » ces laboratoires, l’Etat dispose des chercheurs et techniciens dans son établissement public à caractère scientifique et technologique dédié créé en 1964, l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale), dont l’expertise pourrait être mise à contribution pour l´évaluation indépendante des effets et risques des substances médicamenteuses. La mission donnée à l’Inserm à cette fin devrait stipuler explicitement que l’évaluation des médicaments sur « animaux modèles » est INTERDITE, car non fiable pour l’homme, trop onéreuse et longue pour des résultats aléatoires voire contradictoires.

Il faudra exiger que l’Inserm mette en œuvre des méthodes d’évaluation du médicament réellement scientifiques, pour commencer sur du matériel biologique humain : cellules, tissus et organes en perfusion.

Par ailleurs, outre les risques d´effets secondaires des médicaments auxquels sont exposés les malades, ces derniers, comme l´ensemble de la population, baignent dans 160 000 substances chimiques, en grande majorité introduites dans notre environnement depuis une cinquantaine d´années. On ne sait rien des effets de ces substances sur notre santé puisqu´on s´est dispensé de toute étude de prévention. On peut cependant avoir un reflet de ces effets grâce aux données statistiques et épidémiologiques de la santé publique. De telles données sont publiées par des agences gouvernementales (Institut national d´études démographiques, Institut national de veille sanitaire, Credoc…) ou internationales (Centre international de recherche sur le cancer, Organisation mondiale de la santé), mais aussi par des associations de malades.

La Commission européenne à la traîne

Ces données nous apprennent par exemple que le cancer est devenu la première cause de mortalité en France. Son incidence (nouveau cas par an) progresse au galop, à raison de +1.5% l’an depuis 30 ans. Moins de 10% de tous les cancers sont d’origine génétique, 90% au moins sont donc dus à notre «environnement », qui renferme beaucoup de substances chimiques cancérigènes.

Les maladies neurologiques dramatiques (Alzheimer, Parkinson, sclérose en plaque), suivent la même tendance que les cancers. Leurs incidences augmentent depuis 20 ans de 1% à 1.5% l’an, leurs prévalences sont aujourd’hui proche de 2 millions de malades. Ces maladies affectent de plus en plus les moins de 40 ans. On assiste aussi à l´émergence fulgurante de l´autisme, dont le spectre de l´autisme concernait une naissance sur 5000 en 1990, une sur 100 aujourd´hui. Citons aussi la fertilité : la spermatogénèse est en chute libre, elle a été divisée par deux en 30 ans. Aujourd´hui, 8 couples sur 100 ont des difficultés à avoir un enfant.

Ce bilan sommaire montre que nous sommes exposés, à notre insu, à des armes de destruction massive responsables tous les ans de centaines de milliers de décès prématurés et de millions de pathologies graves. Une réalité ignorée semble-t-il des agences en charge de la santé publique, alors que des méthodes scientifiques existent pour identifier les agents chimiques responsables.

Antidote Europe a été pionnière en Europe de la toxicogénomique, une méthode permettant l´évaluation fiable pour l´homme de la toxicité d´une substance, rapide, d´un coût raisonnable et bien entendu sans recours à un quelconque « modèle » animal. Or nous nous battons depuis six ans contre la Commission européenne qui refuse de mettre en œuvre la toxicogénomique pour évaluer les substances chimiques dans le cadre de la directive Reach, bien que cette méthode y figure explicitement. Son argument : cette méthode n´est pas « validée », alors qu´elle-même a la charge de cette validation et finance généreusement son centre de recherche (Ecvam) dédié à cette tâche.

Non-assistance à personnes en danger ? Homicides involontaires ?

>> Pour avoir une vue générale sur la méthode, voir “Application of Toxicogenomics Technologies to Predictive Toxic Risk Assessment” (National Research Council 2007, 300 pages), “Toxicity Pathway-based Risk Assessment” (National Academies Press 2010, 134 pages) et “Toxicity Testing in the 21th Century: a Vision and a Strategy” (US Academy of Sciences 2007, 240 pages).

>> Voir aussi “toxigenomics” sur wikipedia.