Contre G8 : la mobilisation citoyenne sert-elle à quelque chose ?

Au moment où s´ouvrait le G8 à Deauville (26-27 mai 2011), le contre-G8 fermait ses portes au Havre. Ce rendez-vous d’associations, de syndicats, d’ONG fut l’occasion de lancer des pétitions pour peser sur les décisions des « dirigeants du monde ». Ces actions militantes sont-elles utiles et efficaces ?


Photo : local.attac.

Maylis Labusquière, responsable du plaidoyer sur le financement du développement au sein de l’ONG Oxfam France, répond : « Oui, clairement. La société civile arrive à influencer en amont les décisions prises dans ces sommets ou au Parlement européen, même si cela ne se mesure pas en termes de décisions flagrantes. Il y a trois ans, le thème de la fiscalité n’apparaissait pas dans les agendas de ces sommets. Après la déclaration de la France, de la Grande-Bretagne et de l’Espagne en 2008, le sujet de l’évasion fiscale a été repris à Doha pendant la conférence des Nations unies, puis par un groupe de travail interministériel en France auquel participait Oxfam. Maintenant il est discuté dans un groupe de travail au sein de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) et même de l’Union européenne ».

Et Mathilde Dupré, chargée de mission au CCFD-Terre Solidaire de poursuivre : « Le groupe de travail fiscalité et développement de l’OCDE discute des sujets à porter au sommet du G20 qui aura lieu à la fin de l’année. »

Contre-expertise 

Pour arriver à ce résultat, il faut réunir plusieurs critères. Selon le député européen du groupe des Verts, Pascal Canfin, « les ONG doivent apporter une contre-expertise sur ce qui se dit, elles doivent montrer une capacité de lobbying pour faire passer les idées auprès des décideurs et enfin une maîtrise de la communication pour faire apparaître les sujets dans le débat public. Il faut que ces trois critères soient réunis pour que cela fonctionne ».

Ainsi, le travail des ONG se situe à plusieurs niveaux. Les responsables des plaidoyers travaillent sur la recherche d’informations, la production de documents qui expliquent la situation, ou au contraire l’absence d’informations sur tel ou tel sujet. Les ONG sensibilisent également les citoyens en créant des outils de vulgarisation sur ces questions très techniques. Par exemple, le petit livret Tax Toy, produit par le CCFD-Terre Solidaire, présente les enjeux des paradis fiscaux tout comme le spot publicitaire Aidons l’argent à quitter les paradis fiscaux.

Les associations incitent également les citoyens à se mobiliser sur des campagnes, notamment au moment des élections. En 2009, ces deux ONG avaient lancé la campagne « Hold-up international : halte à l’impunité » qui visait une meilleure régulation des entreprises en matière de fraude fiscale, d’exploitation des matières premières, de pollution… Les militants 
devaient inciter leurs candidats à l’élection européenne à défendre des propositions concrètes. Une autre campagne, « Stop paradis fiscaux », lancée par les mêmes ONG associées à Attac et à des syndicats, invitait les personnes intéressées à écrire à leur banquier ou à agir via les comités d’entreprise.

Ces différentes actions visent à mettre la pression sur les décideurs. Plus il y a d’échelons impliqués, plus la pression est forte. « La campagne contre les paradis fiscaux a abouti à un engagement dans ce combat de quatorze régions françaises sur les vingt-sept du pays », précise la chargée de mission au CCFD-Terre Solidaire.

Professionnalisation 

Le travail des associations se situe également au niveau de la communication à la fois vers le grand public via les médias pour toucher au-delà des seuls militants, et vers les politiques. « Il faut faire vivre le sujet dans les préoccupations citoyennes et donner aux politiques le courage d’agir, complète Mathilde Dupré. Lorsque nous avons terminé la phase de recherche d’informations et que la mobilisation est engagée, nous prenons des rendez-vous avec les politiques pour expliquer et traduire en propositions concrètes ce que nous défendons. Nous intervenons aussi dans des réunions avec les ministères concernés, par exemple ceux qui préparent les prochains sommets G8-G20. »

Une des conséquences de ce travail à plusieurs facettes est la professionnalisation des salariés au sein des ONG. Les responsables des plaidoyers doivent être de rigoureux techniciens. Malgré cette évolution, les ONG n’arrivent pas toujours à être présentes sur tous les fronts. Maylis Labusquière d’Oxfam-France reconnaît la difficulté d’être de toutes les plates-formes, de tous les sommets.

« Nous sommes présents avant, pendant et après les sommets. Avec la multiplication des processus dans des organisations telles que l’OCDE, la Banque mondiale, le Fonds monétaire international et des instances politiques telles que les Nations unies, le G8, le G20, il est compliqué d’être partout, nous sommes aussi limités par les aspects financiers. Pour garder notre indépendance, Oxfam-France refuse d’être financée par des entreprises, l’ONG vit essentiellement grâce aux donateurs particuliers. Nos moyens sont donc parfois limités. »

Etats-Unis – Loi Dodd-Frank : succès de la mobilisation civile 

Le 21 juillet 2010, Barack Obama annonçait la promulgation de la réforme financière américaine de 2010, appelée « Loi Dodd-Frank ». Cette loi prévoit l’obligation pour les entreprises pétrolières, gazières et minières, cotées à Wall Street, de rendre compte des versements effectués auprès des gouvernements des pays où elles agissent.
Les données doivent être présentées pays par pays, activité par activité, être accessibles en ligne et doivent préciser le type de paiement (impôt, bonus, dividendes, royalties…). « Cette loi concrétise une demande de transparence portée depuis 2002 par une coalition internationale “Publiez ce que vous payez” qui regroupe environ 600 organisations de la société civile dans plus de 55 pays et qui demande plus de transparence dans le secteur minier et pétrolier », peut-on lire dans un document publié par le CCFD-Terre Solidaire en partenariat avec l’ONG catholique américaine Center of Concern en février 2011.
« C’est une avancée majeure pour la transparence financière. C’est historique et cette loi américaine Dodd-Frank va nous aider à obtenir une même application au niveau européen et international », se réjouit Maylis Labusquière d’Oxfam France.
Cette question de reporting pays par pays, c’est-à-dire la publication des comptes de chaque multinationale, par activité, est défendue par les ONG, en discussion au sein de l’Union européenne. Nicolas Sarkozy s’est engagé à porter cette question de transparence financière pendant sa présidence du G8-G20. Pourtant, Mathilde Dupré, du CCFD-Terre Solidaire, souligne la difficulté à transcrire cette loi en décret.
« Les entreprises américaines tentent d’exercer un lobbying pour détricoter la loi, et donc réduire son champ d’action. La société civile doit rester vigilante. Cela prouve bien que celle-ci a eu une certaine influence dans cette loi. »

Face au puissant lobbying financier, les ONG ont moins de poids et de capacité à s’exprimer. Pour preuve, l’exemple du bonus des traders. Lors du G20 de Londres en avril 2009 puis celui de Pittsburgh en septembre, le rôle des banques pendant la crise avait été souligné et il était annoncé la mise en place d’une réglementation concernant les traders. L’Union européenne n’a jamais réussi à se mettre d’accord pour transposer cette volonté en réglementation face au fort lobbying des banques.

Manque de contre-pouvoir

À la suite de plusieurs constats d’échec dans des décisions financières et notamment sur un projet de loi qui permettait un contrôle accru des fonds spéculatifs, plusieurs eurodéputés, dont Pascal Canfin pour les Verts, ont lancé un appel pour créer une plate-forme sur les questions financières appelée Finance-Watch. Certains eurodéputés dénoncent le fait que la démarche vienne d’élus. Pourtant, Pascal Canfin défend l’indépendance de cet observatoire dont le CCFD-Terre Solidaire et Oxfam sont membres fondateurs.

« Les questions financières ne faisaient pas partie du cœur de métier des ONG, sauf sur certains aspects comme les paradis fiscaux, explique Pascal Canfin. L’Union européenne n’a jamais été aussi proche d’imposer une taxe sur les transactions financières, ce qu’Attac revendique depuis bien longtemps. Mais au moment où une telle directive pourrait voir le jour, la pression de la société civile est faible. Finance-Watch sera officiellement créée en juin prochain avec des ONG, des anciens acteurs du secteur financier, des experts. C’est ce qui manque aujourd’hui, alors que ce contre-pouvoir existe dans d’autres domaines comme l’environnement. » 

Jouer collectif 

Lors du sommet climatique de Copenhague en 2009, les associations qui travaillent sur l’environnement étaient très mobilisées et les médias avaient particulièrement soigné le traitement de ce sommet. Et pourtant, il s’est achevé sur une absence de décisions contraignantes. Car, dans une telle prise de décision interviennent d’autres paramètres, et notamment le contexte général qui influence l’avancée des travaux.

Pour le secteur financier, la crise de 2008 a joué un rôle majeur dans la remise en cause du système. Au sommet climatique de Copenhague, les décisions ont été bloquées par les intérêts des pays et les difficultés diplomatiques.

À un moment donné, si les États veulent que les choses avancent, ils doivent abandonner leurs intérêts personnels pour faire le pari d’une décision collective.

« C’est la force de notre Union européenne, défend Sylvie Goulard, député européenne au sein du groupe ALDE (Alliance des démocrates et libéraux pour l’Europe). On ne peut plus agir chacun dans son coin, il faut coopérer en laissant de côté la souveraineté nationale. » C’est également ce qu’ont choisi de faire les ONG en œuvrant et en se mobilisant ensemble.

>> Avec l´aimable autorisation de Réforme.