« L’eau n’est pas un bien marchand comme les autres »

Henri Smets, membre de l’Académie de l’Eau, rappelle que l’eau n’est pas en droit communautaire  « un bien marchand comme les autres ». La Commission ne peut oublier que les États membres ont préféré une approche assez souple plutôt que le modèle libéral de récupération intégrale des coûts qu’elle prônait.


Henri Smets.

Le porte-parole de la Commission européenne, M. Joe Hennan a déclaré à la publication EUobserver.com du 18 mai : “We consider water to be a commodity like anything else”.

Prétendre que l’eau est une marchandise comme les autres dénote une méconnaissance grave du droit communautaire comme d’ailleurs de la réalité sociale. La Commission peut affirmer ce qu’elle veut, mais elle ne peut ignorer que la directive-cadre sur l’eau (2000/60/CE) adoptée par l’Union européenne et qui s’impose à tous, commence par l’affirmation solennelle selon laquelle “l’eau n’est pas un bien marchand comme les autres” (“is not a commercial product like any other”). Cette directive instaure un système de prix en vertu duquel des subventions d’un niveau approprié sont permises pour des raisons notamment sociales et elle autorise même la poursuite d’une fourniture gratuite d’eau potable à la population (voir l’exception “irlandaise” de l’ art. 9.4).

Tout le monde sait que la Commission plaidait il y a 10 ans pour la récupération intégrale des coûts de l’eau (full cost recovery) en suivant le modèle libéral habituel, mais les États Membres en ont décidé autrement. La directive ne parle plus que de la récupération des coûts puisque la récupération intégrale avait été fermement rejetée lors de la finalisation de la directive.

L’eau potable est la seule ressource naturelle dans l’Union européenne qui doit être vendue à un prix “abordable” (voir Protocole annexé au Traité de Lisbonne sur les services d’intérêt économique général). L’eau et l’énergie sont les seuls biens dont la gestion quantitative relève de la règle de l’unanimité au sein de l’Union européenne (art.192.2 du TFUE). Il est donc manifeste que l’eau n’est pas en droit communautaire “un bien marchand comme les autres”. La Commission ne peut oublier que les États Membres ont tranché ce débat en faveur d’une approche assez souple.

La preuve que l’eau est différente des autres marchandises est donnée par le fait que dans nos villes, chacun peut se servir d’eau potable gratuitement aux bornes-fontaines et que dans nos campagnes, chacun peut puiser l’eau des rivières pour sa consommation personnelle. Aucun autre “bien marchand ” ne jouit d’un traitement semblable, ni le blé ou le pain pour manger, ni le bois pour se chauffer.

En droit français, l’eau potable jouit aussi d’un régime spécial puisque la loi instaure le droit à un prix abordable et le droit à une aide pour la payer et même interdit l’arrêt de la fourniture d’eau à des usagers démunis qui sont incapables de la payer.

Tous les États de l’UE ont adopté des dispositions particulières pour faciliter l’accès à l’eau potable au point que le Conseil des Ministres de l’Union européenne a déclaré le 22 mars 2010 que l’accès à l’eau “fait partie intégrante du droit à un niveau de vie suffisant”, droit que tous les États de l’Union sont tenus de mettre en œuvre du fait du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels qu’ils ont tous ratifié.

Si l’accès à l’eau est devenu un droit, c’est parce que l’eau n’est pas un bien comme les autres. C’est l’un des quatre éléments de la nature, c’est la source de toute vie. Le Porte-parole de la Commission européenne aurait pu mieux intégrer l’opinion du Parlement européen que “l’accès à l’eau potable devrait être un droit fondamental et universel”. Prétendre que l’eau est un bien marchand comme les autres est une affirmation idéologique très minoritaire … sauf parmi les fanatiques du “tout marché”.

(Source : eaudanslaville)

>> Ce thème est d´actualité puisque la proposition de loi du sénateur Christan Cambon devrait passer en seconde lecture à l´Assemblée nationale à l´automne (Proposition de loi relative à la solidarité des communes dans le domaine de l´alimentation en eau et de l´assainissement des particuliers). (NDLR)