La consommation collaborative, ou comment consommer malin

Alexandre Woog, responsable du projet e-loue, évoque la “consommation collaborative”, un concept anti-productiviste, anti-consumériste et écologique qui consiste à promouvoir le partage et l’usage des objets plutôt que leur possession. C’est le passage à l´”économie de fonctionnalité”, une renaissance de la propriété collective qui s’est développée grâce à Internet. 


Alexandre Woog. Crédit photo : Jean-Pierre Alonzo, photographe Granangular.

Il y a dix ans, Jérémie Rifkin publie L’Age de l’accès. Dans ce livre, il explique la notion de consommation collaborative, dont il est l’un des précurseurs : « Le rôle de la propriété est en train de subir une transformation radicale. Les conséquences de cette révolution sont d’une conséquence et d’une portée fondamentale pour notre société. […] D’ici à 25 ans, l’idée même de propriété paraîtra singulièrement limitée, voire complètement démodée ».

La consommation collaborative est un concept anti-productiviste, anticonsumériste et écologique qui consiste à promouvoir le partage des objets et leurs usages plutôt que leur possession. La révolution de la consommation collaborative sera le passage de l’économie de propriété à l’économie de fonctionnalité. C’est la mise en avant de la fonctionnalité dont certains services comme le partage de vélos (Vélib, Vélov, etc) sont devenus des emblèmes.  Internet est un formidable outil pour le développement de cette nouvelle économie. Il participe pleinement à l’expansion de concepts tels que la location entre particuliers.

La location est un excellent exemple pour comprendre le principe de l’économie de fonctionnalité : un bien est acheté par un propriétaire, puis lorsqu’il n’est pas utilisé, il est mis en location. Ainsi plusieurs personnes vont se partager l’usage du bien, ce qui augmente intrinsèquement le temps d’utilisation du produit. Le site e-loue.com permet justement à tout internaute de louer ou mettre en location tout type d’objet.

Dans les années 60 aux Etats-Unis, chacun possédait les mêmes bien que ses voisins ; les américains fonctionnaient par classe sociale et par identité. Le développement de l’économie moderne et l’émergence d’une grande quantité de produits de grande consommation ont entrainé une course effrénée à la surconsommation. Il est devenu absolument nécessaire d’avoir le bien qui appartient à la classe sociale supérieure, et non à sa classe sociale.

Dans les années 2000 en France, une société avait créé le concept de  location entre particuliers : MisterRent. Ils avaient eu une grosse couverture médiatique, avec notamment un reportage de 58 minutes dans l’émission Capital sur M6. Mais ce fut un échec, car internet en était encore à ses balbutiements et les mentalités n’étaient pas encore prêtes à ce type de consommation.

Avec la prise de conscience écologique et la crise des subprimes, les propos de Jérémie Rifkin font de lui un véritable visionnaire. Jérémie Rifkin indiquait notamment que d’ici 25 ans «  C’est de l’accès plus que de la propriété que dépendra désormais notre statut social. ».

Lorsqu’a germé l’idée de créer le site e-loue.com lors d’un déménagement en 2008, il n’existait aucun site de ce type dans le monde. Quelques plateformes débutaient dans les pays anglo-saxons (Nouvelle Zélande, Etats-Unis). Ce qui nous a inspiré c’est en fait la chaine de magasin Rentacenter qui avait déjà des milliers de points de vente en Amérique, et qui permet la location de biens de consommation (téléviseur, ordinateur, canapé, etc). Le concept n’existait pas encore en France de manière aussi organisée, même s’il y a 30 ans, beaucoup louaient des télévisions chez Locatel. Boulanger, via sa filiale Lokeo, a lancé un concept du type Renta Center à Lille il y a quelques années.

E-loue illustre via sa croissance rapide (+30% en CA et nombre de visiteurs mensuelle) le développement de l’idée de consommation collaborative. De nombreuses initiatives sont prises à travers le monde et l’économie change. Cette nouvelle économie est très bénéfique d’un point de vue social, communautaire et environnemental. Et la crise financière actuelle montre les limites de notre économie, basée sur la possession. Cette nouvelle forme de consommation permet d’éviter la surconsommation et ainsi de réduire les déchets. Les collectivités et entreprises s’intéressent d’ailleurs de plus en plus à ce type de consommation.

J’ai moi-même, avant de créer e-loue, travaillé un an en salle de marché. Il est clair qu’il y a un gap trop important entre le marché et  les besoins réels des consommateurs.

La consommation collaborative est un système de consommation très communautaire. Les gens sont fiers de dire en montrant un objet : « Je l’ai loué à un voisin ! ». La réassurance (ensemble des éléments d’un site web qui rassurent l’internaute) est très importante et l’aspect communautaire y joue un rôle primordial.

E-loue.com est devenu rapidement leader de la e-location en France car les liens entre les membres ont été particulièrement soignés et que l’aspect communautaire y est prépondérant. Toute la location se fait online : réservation, gestion des disponibilités, messagerie, paiement.

Alors qu’il n’y avait quasiment aucune plateforme dans le monde au moment de la création d’ e-loue début 2009, le nombre de sites a explosé en deux ans et demi. Il y a désormais une quinzaine de plateformes dans le monde. Le concept est notamment en pleine explosion aux Etats-Unis. Rentcycle vient par exemple de lever le mois dernier 1.4 millions de dollars.

USA : RentStuffEasy, RentMine, Rentalic, RentalCom, iRent2u.
Autres pays
 : rentoid, rentstuff, thehireHub, rentmystock, rentality, renthire.

Depuis 2009, e-loue tire sa croissance en grande partie de la consommation collaborative. La société a démarré au moment de la crise des subprimes. Avec une perte de confiance et de pouvoir d’achat, il fallait pour tout le monde revenir à des principes simples : achat/vente d’occasion, troc, don, location.

Si e-loue a été pionnier en France dans la consommation collaborative, il n´est pas l´inventeur du concept de location entre particuliers via internet. En revanche, il a inventé la location garantie, tout se faisant en ligne, dont le paiement intégral de la location. De même, il a été la première société de ce type à communiquer sur ce concept.

De nombreuses plateformes très intéressantes ont suivi cette tendance. Parmi les plus significatives, je citerai des sites spécialisés dans la location de voitures entre particuliers (dont e-loue fait d’ailleurs partie en proposant plus de 3000 voitures à louer) : livop et voiturelib. Supermarmite a créé un réseau social pour acheter / vendre des petits plats maison. La ruche qui dit oui est en train de mettre sur internet la création de communautés pour acheter directement des fruits aux producteurs. D’autres sites comme Myrecyclestuff (échange et troc), Lepotiron (produits du jardin), la Ressourcerie (valorisation des objets destinés à la poubelle) sont également en pleine croissance. Un sociologue, Nathan Stern, a créé en 2003 Peuplade, un réseau social entre voisin.

Aux Etats-Unis, le mouvement et la notion de consommation collaborative ont émergé en 2007. Le terme consommation collaborative a été introduit par Ray Algar dans la revue Leisure Report d´avril 2007. Le mouvement s’est amplifié grâce à Rachel Botsman, qui identifie 3 aspects de la consommation collaborative: transformer un produit en service, mettre en relation des individus dont l’un recherche  et l’autre possède un bien, partager les ressources immatérielles entre particuliers (couchsurfing, colunching). Elle a notamment écrit un livre qui fait figure de référence, publié en 2010 : What’s Mine isYours : The rise of Collaborative Consumption (Traduction).

Voici quelques exemples aux Etats-Unis de la mise en application de cette consommation collaborative. Ces plateformes, plus anciennes, ont levé beaucoup d’argent ce qui montre l’intérêt des investisseurs pour cette nouvelle économie :
– Zipcar, leader du car-sharing aux Etats-Unis continue de s’étendre. La startup a levé récemment 21 millions de dollars.
– RelayRides, RelayRides, pionnier du peer-to-peer carsharing a levé des fonds auprès de Google Ventures. Joe Kraus évalue d’ailleurs le marché du Car sharing à 12.5 milliards de dollars en 2011.

La consommation collaborative est une solution permettant de mettre en œuvre concrètement la décroissance. Finis les objets de mauvaise qualité qu’on achète de manière impulsive et qu’on n’utilise pas. Désormais les industriels doivent fabriquer des objets de meilleure qualité, ayant une durée de vie allongée, en les vendant éventuellement plus cher.

Les constructeurs et distributeurs prennent en considération cette nouvelle économie. Citroën a annoncé le lancement d’une plateforme de location de voitures entre particuliers (multicity). Les hôteliers, qui ont vue AirBnb, site de location d’appartement entre particuliers, lever plus de 100 millions de dollars, s’inquiètent de cette nouvelle forme de concurrence. Certains distributeurs américains ont d’ores et déjà annoncé qu’ils allaient louer à leurs clients des produits qu’ils vendent habituellement.

La révolution de la consommation collaborative semble en bonne voie !

Quelques chiffres sur e-loue :

Levée de fonds en juin 2010 : 500 K€

  • 35 000 loueurs actifs
  • 120 000 produits disponibles à  la location
  • +30% de croissance mensuelle
  • 11 employés