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Arne Næss, prophète et acteur d’une écologie joyeuse

Lors d’un voyage en Norvège, Mathilde Ramadier, la jeune auteure du livre « Arne Næss. Pour une écologie joyeuse » découvre l’œuvre de ce philosophe écologiste quasiment inconnu en France, mais véritable icône nationale. Elle est conquise par la joie qu’il transmet.

Pour beaucoup, les écolos sont des rabat-joie qui voudraient empêcher les autres de vivre pleinement. Même les jeunes générations sensibles à la problématique écologique ne veulent plus de leurs discours alarmistes. Le succès du film Demain démontre a contrario leur désir de s’investir dans des solutions concrètes et si possible joyeuses. L’approche d’Arne Næss (1912-2009) devrait les séduire.

En osmose avec la nature

Très proche de la nature et de la montagne qu’il affectionne particulièrement, Arne Næss bâtit une cabane isolée sur un haut plateau minéral entre Oslo et Bergen, où il fera de longs séjours et mènera une vie simple. C’est également un alpiniste chevronné. Il s’identifie à la nature sauvage et adopte une attitude de respect profond qui rend impossible de la mutiler sans avoir l’impression de se mutiler soi-même. Son engagement n’est pas dicté par des considérations politico-économiques ou morales, mais résulte d’une exigence intérieure. Il ne le vit pas comme un sacrifice, mais au contraire comme une joie, la joie de celui qui vit en accord avec sa nature profonde, la joie procurée par un sentiment de complétude.

Le massif du Hallingskarvet où Arne Naess avait bâti sa cabane (Photo : wikipedia)

Fondateur de l’écologie profonde

Arne Næss est l’inventeur du concept d’ « écologie profonde », qui rompt avec une conception anthropocentrique de l’écologie qui considère la nature comme une ressource et se contente de réparer les dégâts, souvent d’ailleurs au seul bénéfice des plus privilégiés. L’écologie profonde, elle, défend la valeur intrinsèque des êtres vivants, indépendamment de leur utilité pour les êtres humains. En 1973,  il publie une plateforme en huit points qui résument sa pensée. Certains seront critiqués ou discutés, ce qui l’amènera à les préciser. En particulier la notion de « besoin vital » de l’homme, sur laquelle il nous invite à nous interroger : de quoi avons-nous vraiment besoin ?

Il est quant à lui convaincu que chacun peut s’inventer une vie plus écologique sans bouleverser complètement son mode de vie et même en améliorant sa qualité de vie. Mais, contrairement à Thoreau, il se refusera toujours à donner des leçons aux autres, d’autant qu’il n’a pas lui-même toujours été jusqu’au bout de ses convictions. Ainsi, il ne sautera pas le pas du végétarisme et ne s’interdira pas de voyager dans le monde entier. Sa femme rapporte qu’il s’était toutefois fixé le cap de ne pas voyager pour voyager.

Son engagement écologique ne se limite pas à une vie sobre (mais pas toujours austère). A partir de 1969,  au terme de sa carrière universitaire, Arne Næss rejoint ou initie plusieurs mouvements écologistes et pratique l’action non violente pour s’opposer, avec succès, à des projets de barrages hydroélectriques.

Mathilde Ramadier a également publié Et il foula la terre avec légèreté, une BD inspirée par la vie et l’œuvre d’Arne Næss, ainsi qu’une présentation de sa pensée à travers dix textes rassemblés dans Une écosophie pour la vie – Introduction à l’écologie profonde, dans la collection Anthropocène (Seuil).

Mathilde Ramadier, Arne Næss. Pour une écologie joyeuse, Actes Sud (Domaine du Possible), 2017, 128 pages, 19 €

La collection « Domaine du Possible » chez Actes Sud a été fondée en 2011 (et est toujours dirigée) par Cyril Dion, coréalisateur du film Demain. Elle rassemble une quarantaine de titres sur des initiatives de la société civile, sur l’éducation, l’alimentation, l’agriculture, l’écologie, l’énergie, etc. Parmi les dernières parutions :

  • Le cercle vertueux, Nicolas Hulot et Vandana Shiva
  • L’économie symbiotique. Régénérer la planète, l’économie, la société, Isabelle Delannoy
  • Le Syndrome de l’autruche. Pourquoi notre cerveau veut ignorer le changement climatique, Georges Marshall

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3 commentaires pour cet article

  1. « Il est quant à lui convaincu que chacun peut s’inventer une vie plus écologique sans bouleverser complètement son mode de vie et même en améliorant sa qualité de vie ».

    Je pense que ce « prophète et acteur d’une écologie joyeuse », Arne Næss, devrait de toute urgence s’intéresser à la collapsologie et quitter un confortable et angélique point de vue et qu’on pourrait qualifier dès lors de celui d’un Bisounours !

    En effet, ‘’collapse’ (étymologie latine) est devenu un mot anglais repris dans le dictionnaire français ;
    il signifie affaissement, effondrement. On peut donc décrire succinctement la collapsologie comme l’étude, la science de tout ce qui concerne l’effondrement planétaire et global observé (‘géométriquement’ exponentiellement en cours à l’image de ces glaciers qui s’effondre sous l’effet du réchauffement climatique).
    Certes , la planète a connu divers effondrements au cours de 50.000 dernières années, mais c’est la première fois que le ‘phénomène’ est global et planétaire, sur tous le fronts et aux impacts sans doute irréversibles !
    N.B. ‘’Ouvertures’’ devrait à mon avis développer au moins un article à ce sujet étant donné la gravité extrême de ce qui est en train de se produire…
    (Voir les tenants et aboutissants à ce sujet : http://www.retrouversonnord.be/collapsologie.htm)

    En effet, étant donne l’inéluctable machine destructrice en route et à tous les niveaux, il ne me paraît objectivement plus possible de « s’inventer une vie plus écologique SANS BOULEVERSER complètement son mode de vie et même en améliorant sa qualité de vie ».

  2. Cher Baudoin, d’abord merci pour votre fidélité à Ouvertures et votre assiduité à intervenir en bas de page. Vous savez qu’ici, non seulement on aime la contradiction, mais on la recherche !

    En gros, vous trouvez qu’Arne Naess n’est pas assez radical, que son écosophie ne tient plus face aux risques d’effondrement plus ou moins imminent et qu’il devrait s’intéresser de toute urgence à la collapsologie. Le problème, c’est qu’il est mort déjà depuis 9 ans (à l’âge de 97 ans) ! Mais fort heureusement d’autres lanceurs d’alerte ont repris le flambeau, comme Jacques Blamont, plus tout jeune, dont j’ai chroniqué un livre et que j’ai interviewé en 2015 (https://www.ouvertures.net/apres-encyclique-laudato-si-un-scientifique-inquiet-pousse-le-pape-a-un-concile/ et https://www.ouvertures.net/blamont-arnould-eglise-catholique-peut-elle-sauver-la-planete-de-apocalypse/), ou Pablo Servigne (40 ans) dont j’ai cité le « Comment tout peut s’effondrer ? » dans une recension de livres annonçant le pire pour l’humanité publiée en encadré dans un de ces deux articles. Livre que j’ai offert à tous mes enfants…

    Il ne faut pas jeter la pierre à Arne Naess, qui a lancé les bases de l’écologie profonde dès 1973, l’année suivant la publication du rapport du Club de Rome (The limits to growth). Son message était difficile à recevoir à l’époque et il a été fort critiqué. Le monde a bien changé depuis ! Je crois que les approches sont complémentaires. Les collapsologues sonnent très fort le tocsin, mais ne proposent pas de solution. Arne Naess, lui, met l’accent sur le fait qu’on ne pourra s’en sortir sans changement “idéologique”. Je cite les points 6 et 7 de sa plateforme :

    6. Une amélioration significative des conditions de vie requiert une réorientation de nos lignes de conduites. Cela concerne les structures économiques, technologiques, et idéologiques fondamentales.
    7. Le changement idéologique consiste surtout à apprécier la qualité de vie (en restant dans un état de valeur intrinsèque) plutôt que de s’en tenir à un haut niveau de vie. Il faut se concentrer sérieusement sur la différence entre ce qui est abondant et ce qui est grand, ou magnifique.

    Et en prônant la sobriété, il donne en-vie. La sobriété n’est pas seulement un moyen de sauver la planète, mais elle est à même de nous faire retrouver la joie !

  3. Merci M. Lombard pour vos appréciations et vos réajustements !

    « Les collapsologues sonnent très fort le tocsin, mais ne proposent pas de solution. »
    On est bien d’accord : je ne me démarque d’eux en ce que j’ai déjà adopté et propos des solutions pratiques à la porte d’un très grand nombre de gens :
    1° je n’ai pas attendu le son du tocsin pour rendre mon habitat pourtant ancien à énergie positive
    2° à élaborer toutes sortes de solutions pratiques pour économiser l’eau, l’électricité et le chauffage
    3) en vivant depuis plusieurs décennies suivant la ‘’simplicité volontaire’’ (avec e.a ; l’application de la règle des trois R : réduire, réparer, recycler)

    « Arne Naess, lui, met l’accent sur le fait qu’on ne pourra s’en sortir sans changement « idéologique ». Je cite les points 6 et 7 de sa plateforme :
    6. Une amélioration significative des conditions de vie requiert une réorientation de nos lignes de conduites. Cela concerne les structures économiques, technologiques, et idéologiques fondamentales.
    7. Le changement idéologique consiste surtout à apprécier la qualité de vie (en restant dans un état de valeur intrinsèque) plutôt que de s’en tenir à un haut niveau de vie. Il faut se concentrer sérieusement sur la différence entre ce qui est abondant et ce qui est grand, ou magnifique.
    Et en prônant la sobriété, il donne en-vie. La sobriété n’est pas seulement un moyen de sauver la planète, mais elle est à même de nous faire retrouver la joie ! »
    Je vois qu’il était en phase avec la simplicité volontaire et c’est rassurant !

    D’autre part, je constate aussi que j’avais déjà commenté le lien ‘’papal’’ si je peux dire 🙂 !
    (https://www.ouvertures.net/blamont-arnould-eglise-catholique-peut-elle-sauver-la-planete-de-apocalypse/)