Historique

Comment est né le tout nouveau Conseil de déontologie journalistique et de médiation

Ce lundi 2 décembre 2019, le Conseil de déontologie journalistique et de médiation (CDJM) a tenu sa première assemblée générale à Paris. Cette nouvelle instance d’autorégulation, dont notre magazine a soutenu l’idée depuis sa création en 2007, doit répondre à la défiance du public envers les médias. Ouvertures relate les étapes qui ont conduit à sa naissance.

Pas facile pour des journalistes d’accepter de rendre des comptes au public sur la façon dont ils respectent ou non les règles de leur déontologie ! Dans la plupart des pays démocratiques existe un Conseil de presse, un organisme indépendant du pouvoir qui recueille les plaintes du public sur les médias et étudie si les règles du jeu, pour la fabrication des nouvelles, ont été respectées : impartialité, équité, vérification, etc.

Jusqu’à ce 2 décembre 2019, la presse française avait toujours refusé, en prétextant qu’elle limiterait sa liberté d’expression, la création d’une instance externe susceptible de donner des avis sur ses pratiques.

Quelques réactions de la presse après la création du CDJM.

A lire la réaction de nombreux éditorialistes, la naissance du Conseil de déontologie journalistique et de médiation (CDJM), actée officiellement ce 2 décembre 2019, n’est pas accueillie avec enthousiasme par la presse.

A l’origine du projet, une association : l’APCP

Ce n’est pas une surprise pour les porteurs de ce projet qui a été initialement conçu par l’Association de préfiguration d’un conseil de presse en France (APCP).

Yves Agnès, président de feue l’APCP.
Photo : Ouvertures.

Née le 28 novembre 2006, l’APCP réunissait des journalistes, des universitaires, des associations de citoyens, des experts de tous horizons. Leur point commun : le besoin d’une régulation des abus de la presse dans le domaine de la déontologie, pour une information plus fiable.

L’originalité de l’instance prévue est qu’elle serait administrée par trois collèges : journalistes, éditeurs et le public, et qu’elle serait indépendante du pouvoir politique.

L’association s’est sabordée le lendemain (3 décembre 2019) de la création du CDJM, son objectif étant atteint.

Conclusion d’un article de C-J Bertrand sur les conseils de presse, Presse Actualités, mai 1985.

Notre magazine Ouvertures, contemporain de l’APCP, est particulièrement heureux et fier de relater les différentes étapes qui ont permis l’aboutissement de ce projet : « La mort de l’APCP aujourd’hui a donc trouvé hier, avec la naissance du CDJM, sa profonde justification » dit Yves Agnès, président de l’association, le jour de sa dissolution.

Il continue : « L’idée d’une instance indépendante d’éthique journalistique a ressurgi en 2006 au sein de l’Alliance internationale de journalistes, portée par le journaliste indépendant Jean-Luc Martin-Lagardette (voir encadré), lui-même inspiré notamment par l’universitaire français Claude-Jean Bertrand. Il y a été décidé au cours de l’année 2006 de créer une association dédiée à cet objectif.

Jean-Luc Martin-Lagardette : « Au retour d’un voyage d’études sur la presse organisé au Québec quelques mois auparavant, j’ai rédigé un article sur le Conseil de presse (CP) en place dans ce pays pour la revue Presse Actualité de mai 1985. Ce texte, titré « Conseil de presse : l’exemple québécois » jouxtait un autre article, intitulé « Pour un Conseil de presse idéal », rédigé par Claude-Jean Bertrand, professeur à l’université, spécialiste des médias américains.
C’est la lecture de sa défense et illustration de la régulation journalistique tripartite (éditeurs, journalistes, public) qui a déclenché en moi une prise de conscience : voilà ce qu’il fallait pour la France !
J’entamai alors une pérégrination laborieuse dans le milieu professionnel pour tenter de faire passer ce concept dans le concret. J’ai parlé à des confrères, à des syndicats de journalistes, à des juristes, etc., sans obtenir une véritable écoute (euphémisme).
Jusqu’au jour où, bien des années plus tard (2004), mon chemin a croisé celui de la fondation Charles Léopold Mayer (CLM) qui favorisait alors la création d’alliances socio-professionnelles citoyennes pour encourager la responsabilité des acteurs. La fondation mettait en place un groupe de travail baptisé Alliance internationale de journalistes (AIJ).
C’est au sein de cette alliance que j’ai reçu enfin toute l’attention que j’espérais. Celle-ci s’est traduite par deux réalisations :
– la publication de mon livre « L’Information responsable ; un défi démocratique » (ECLM, 2006) ;
– la création de l’Association de préfiguration d’un conseil de presse (APCP ; novembre 2007). »

» De 2007 à mi-2015, l’APCP s’est efforcée de populariser cette perspective, de combattre à son propos les blocages et les idées fausses ancrées et véhiculées dans la profession, chez les journalistes comme chez les éditeurs, de sensibiliser les politiques et les gouvernants, ainsi que certains cercles citoyens.

Deux rapports du ministère de la culture sur l’idée d’un Conseil de presse

» Parmi les avancées les plus significatives au fil des années, notons le grand tour de table des organisations professionnelles lors des Assises internationales du journalisme le 17 novembre 2010 à Strasbourg, ainsi que le « rapport Sirinelli » remis par ce magistrat le 23 février 2014 à la ministre de la culture et de la communication Aurélie Filipetti. Ce rapport encourageait déjà une telle instance, constatant l’avancée réelle dans la profession de l’idée d’une telle éventualité ; il préfigurait le rapport Hoog, remis le 26 mars 2019 par cet ancien président de l’AFP à l’actuel ministre Franck Riester. Notons aussi le ralliement déterminant au fil des années de deux des plus importants syndicats de journalistes (la CFDT puis le SNJ), ainsi que de plusieurs organisations d’employeurs dans le secteur des médias, au premier rang desquels la FFAP.

La nécessité d’une instance indépendante

» Après l’échec le 15 juin 2011 des réunions paritaires issues des États généraux de la presse écrite de 2008 initiées par le président Sarkozy, visant à l’adoption d’une charte déontologique commune pour toute la profession, l’APCP a repris une autre idée issue de ces États généraux, la création d’un Observatoire de la déontologie de l’information [ODI, présidé par l’universitaire Patrick Eveno].

Patrick Eveno, président de l’ODI. Photo : D.R.

» Celui-ci est né, le 12 septembre 2012, grâce au regroupement d’organismes, d’entreprises médiatiques et de personnes sensibilisées notamment au danger que constitue la grande défiance du public français envers les médias… Après avoir travaillé plusieurs années à la confection minutieuse d’un rapport annuel (…), les réflexions des membres de l’ODI ont naturellement débouché sur la nécessité de créer une instance indépendante pouvant être saisie par toute personne physique ou morale, ce qui n’est pas le cas de l’ODI.

» Ainsi, plus de quatre-vingts ans plus tard pourrait être achevée l’œuvre de Georges Bourdon, l’un des fondateurs et le plus célèbre dirigeant du Syndicat national des journalistes, artisan de la loi Brachard du 29 mars 1935 créant le statut des journalistes. Celui-ci trouverait enfin son indispensable complément, souhaité ardemment par Bourdon à l’époque. »

Yves Agnès, qui fut notamment rédacteur en chef au Monde, termine par ces mots :

« Sans doute certains d’entre nous ont-ils pu regretter le peu d’enthousiasme et de chaleur de cette assemblée constitutive… S’étonner de l’ignorance manifestée dans certaines questions… Ou de la mauvaise foi patente de quelques interventions, au travers desquelles l’information semble être d’abord une forme d’engagement politique et non le service exclusif des publics… Ou encore de l’absence criante de patrons de médias écrits ou audiovisuels qui auraient dû logiquement être les premiers à soutenir l’initiative, comme le font la quasi totalité de leurs confrères en Europe !… Mais cela ne nous empêchera pas de saluer avec encore plus de reconnaissance et d’amitié tous ceux qui se sont employés à ce que notre conseil de presse soit enfin sur les rails !…

» L’APCP, chers amis, était en sommeil depuis plus de quatre ans. Elle n’avait d’autant plus de raison d’être que son rejeton, l’ODI, a pris le relais à partir de 2016 et s’est employé, avec ténacité et intelligence, à trouver le consensus minimal dans la profession et au-delà pour que naisse, puis se développe, le Conseil de déontologie journalistique et de médiation. Merci à tous les artisans de cette patiente et laborieuse initiative. »

Remerciements également à Pierre Moorkens, président de la Fondation M (Belgique) et directeur d’Ouvertures, magazine qu’il a financé en raison de son engagement pour une « information responsable ».

> Photo de la page d’accueil : extrait de l’article de la revuedesmedias.ina.fr du 4 décembre 2019.

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