L´enquête de Global Mag sur un additif célèbre, omniprésent, mais controversé

Le glutamate était l’objet, le 5 septembre 2011, d’une enquête de Global Mag, l’émission animée par Emilie Aubry sur Arte qui se présente comme la « chronique planétaire de l’environnement ». Nous l’avons trouvée intéressante par son contenu mais aussi dans sa démarche, les autorités comme les industriels se montrant peu loquaces sur la question.


Emilie Aubry.

Pour l’occasion, la présentatrice se trouvait dans le 13e arrondissement de Paris truffé de restaurants, d’épiceries et de supermarchés asiatiques. On peut aisément y acheter du glutamate sous la forme d’une poudre blanche. C’est un exhausteur de goût très utilisé dans la gastronomie asiatique et qui lui donnerait ce goût si particulier.

En fait, ce célèbre additif est partout. On le trouve dans la plupart des produits industriels vendus en supermarché : surimi, plats préparés, jambon, soupe en sachet, chips, boîtes de conserves. Sur les étiquettes, le glutamate et ses sels sont indiqués sous les codes E620 à 625.


L´algue Kombu d´où est tiré le glutamate.

L´homme qui a découvert le glutamate en 1909 est un Japonais, le professeur Ikeda. Il l’a extrait de l´algue Kombu, une algue marine japonaise consommée depuis des centaines d´années en Asie. Depuis, la consommation de glutamate a explosé au Japon. Un groupe s’est lancé dans la production massive : le groupe Ajinomoto, toujours leader mondial du marché.


Le professeur Ikeda, inventeur
du glutamate.

Dans une publicité diffusée sur les télévisions japonaises dans les années 50, l´entreprise se positionnait déjà en conquérante du monde avec ce nouvel ingrédient miraculeux pour les papilles : le sel de l´Asie.

Le glutamate constituerait le 5ème goût (en plus de sucré, salé, amer et acide) : « l´umani » (« délicieux » en japonais).

Aujourd´hui, le glutamate a tellement de succès qu´on le fabrique de manière industrielle. Plus besoin de l´algue, on reproduit désormais le processus de fermentation à partir de soja, de betteraves à sucre ou de fécule de maïs. En 30 ans, la production a décuplé. Le marché mondial du glutamate est aujourd´hui très prospère : 200 millions d´euros de chiffre d´affaires annuel, pour 2 millions de tonnes fabriquées.

Emilie Aubry évoque les polémiques à son sujet : on le suspecte d’être responsable de maux de têtes, tachycardie, vertiges. Ce sont les symptômes décrits par les intolérants au glutamate. On ne sait pas aujourd´hui combien de personnes sont concernées. Mais plusieurs scientifiques définissent le glutamate comme un « poison invisible » qui aurait des effets dévastateurs sur la santé.

Aux Etats-Unis, le premier à avoir dénoncé les dangers du glutamate est le docteur John Olney, neurobiologiste de l´université de Washington, Missouri. Dans les années 60, en injectant des doses même faibles à des souris et à des singes, il a découvert que certains de leurs neurones disparaissaient de manière irréversible. Pour lui, le glutamate est « clairement une menace pour les bébés et les enfants ».

 En rouge, la barrière hémato-
encéphalique qui empêche les
molécules toxiques d´atteindre
les neurones.

Deux ans après la publication de l´étude de John Olney, le Congrès américain interdit l´ajout de glutamate dans la nourriture pour bébé. Depuis, les rapports scientifiques s´accumulent sur les effets néfastes de cet additif. Pour les défenseurs du glutamate, l’additif ne peut pas être dangereux puisqu’il ne serait pas en contact avec les neurones, parce que le cerveau est protégé par ce qu´on appelle la « barrière hémato-encéphalique », un filtre naturel qui empêche les molécules toxiques d´atteindre les neurones. Le problème, dit la journaliste, c´est que cette barrière ne protège pas tout le cerveau. Certaines zones ne sont pas couvertes, comme l´hypophyse ou l´hypothalamus qui régule entre autre, la faim, le sommeil ou l´activité sexuelle.

Pour le neurochirurgien américain Russel Blaylock, de l´Université du Mississipi, cette barrière ne serait pas toujours infaillible. Il lui arriverait de laisser passer des molécules toxiques. La protection du cerveau lâcherait par exemple dans les cas d´infection, d´hypotension, d´hypertension, de fièvre ou de traumatisme crânien.

Selon lui, le glutamate engendrerait des maladies dégénératives comme Alzheimer ou Parkinson : « Beaucoup de gens me disent je n´ai pas de réactions au glutamate, je n´ai pas de nausées, ni de maux de tête. En fait, de nombreuses personnes qui consomment du glutamate n´auront pas ces manifestations, mais ils auront les mêmes dommages. Ça agit sur de longues périodes, des décennies. Les cellules du cerveau sont détruites et ils perdent peu à peu ces neurones sans se rendre compte qu´ils sont sous l´effet de cette toxine ».

Ce que dément la Food ad Drug Administration (FDA), la puissante autorité sanitaire américaine. Elle s´appuie sur un rapport de 1995 commandé à un autre groupe de scientifiques, pour conclure que seuls 2% de la population seraient intolérants au glutamate. Il ne constituerait donc pas un risque majeur. Le glutamate ne sera donc pas interdit aux Etats-Unis.

 Le glutamate selon wikipédia

Le glutamate est le neurotransmetteur excitateur le plus important du système nerveux central humain. L´acide glutamique, son autre nom, est l´un des 20 acides-α-aminés naturels, briques élémentaires du vivant, constituant les protéines. Il joue un rôle critique en raison de sa propre fonction cellulaire, mais n´est pas considéré comme un nutriment essentiel chez les humains car le corps peut le fabriquer à partir de composés plus simples.

Une concentration trop importante de cette molécule déclenche un processus dit d´excitotoxicité, délétère, voire mortel, pour les neurones. Le glutamate a été impliqué dans les crises d´épilepsie.

« D´un revers de main, s’étonne la journaliste, les études des professeurs Olney, Blaylock et plus de cinq cents autres rapports scientifiques sont rejetés. Malgré les conclusions concordantes sur les effets potentiellement néfastes du glutamate, une question subsiste : si ce glutamate est si dangereux, comment expliquer que les Japonais, le peuple qui en consomme le plus au monde, soit aussi celui qui détienne le record de longévité ? A cela, les scientifiques n´ont pas encore répondu… »

En Europe, en revanche, la méfiance est encore forte en ce qui concerne le glutamate, qui est désormais interdit au-delà d’un certain pourcentage, soit 10g par kg d´aliment. La directive date de 1995. L´Europe reconnaît donc l´effet néfaste du glutamate sur la santé.

Interview de Kumiko Ninomiya, président d´Ajinomoto Europe :
« Vous savez qu’il y a des personnes qui sont intolérantes au glutamate ?
– Oui les gens peuvent être sensibles à certains ingrédients ou à certaines nourritures. Mais nous n´avons pas trouvé de preuves jusqu´ici qui prouverait cette sensibilité au glutamate. Euh… un moment… Je prends la bonne direction-là ? Ok… reprenons. Je peux m´arrêter ici s´il vous plaît ? »
Fin de l’interview.

La journaliste interroge le ministère de la santé. Au téléphone : « On ne communique pas du tout là-dessus. 
– Pourquoi ?
– On s´accorde avec l´AFSSA [Agence française de sécurité sanitaire des aliments, aujourd’hui Anses]. Voilà, on n´aura rien de plus à vous dire ».

L’Afssa au téléphone :
« C´est vrai qu´on travaille sur des additifs mais on n´a pas travaillé sur celui-ci. Sur le glutamate malheureusement, on ne peut pas faire grand chose pour vous. »
Les journalistes sont renvoyés vers l´Efsa, l´Autorité européenne de sécurité des aliments…
D´après l´Afssa, ce serait la seule institution compétente pour parler du glutamate.

L’Efsa au téléphone :
« On n´a rien fait jusqu´à ce moment. Mais ça fait partie des réévaluations qu´on est en train de faire. On devrait le réévaluer d´ici quelques années, je pense. »

En désespoir de cause, la journaliste interroge la Commission européenne. C´est elle qui a validé cette limitation.
Là encore… c´est une déconvenue :
Porte-parole : « Je ne sais pas comment vous le dire de la manière la plus simple possible mais je n´ai pas l´intention de vous donner une interview ».

Global Mag va alors chercher l´homme qui s´est battu pour limiter le glutamate, Paul Lannoye, ex-député belge et ancien président du groupe des Verts au Parlement européen : « On tend à essayer de rendre inoffensif quelque chose qui ne l´est pas en disant : on va limiter la dose. Mais ça n´est pas rigoureux comme méthode et donc ça veut dire que de toute façon, on n´ose pas l´interdire parce que l´industrie en a besoin tout simplement. Ça c´est le mécanisme qui fonctionne dans ce milieu-là ».

>> L’émission montre l’embarras des autorités sanitaires et de l´industriel, face à la question posée par les journalistes de Global Mag. Cette gêne vient-elle du fait que ces autorités tentent de masquer la toxicité éventuelle de la molécule ? Ou bien de la difficulté, quand on est un “pot de fer”, de communiquer dans une controverse, le public prenant facilement parti pour la suspicion ? Reste que, quelle que soit la réponse à ces questions, la non communication n’est pas pour arranger les choses…

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