Taxe carbone : l´idée fait son chemin

Prônée par le Pacte écologique, la “contribution climat-énergie” n’a finalement pas été retenue après le Grenelle de l’environnement. Le contexte économique, avec un pétrole à plus de 100 $ le baril, s’y prêtait en effet assez mal. Mais avec un cours retombé à moins de 40 $, le moment n’est-il pas venu ? D’autant que les réticences sont en train de tomber et que de nouvelles idées sont en train de germer pour qu´elle soit mieux acceptée par l’opinion.


Crédit : Licence creative common

En 2008, le renchérissement des énergies fossiles a modifié nos comportements et nos décisions d’achat ou d’investissements : nous avons roulé moins vite sur les autoroutes, relancé des travaux d’isolation ou changé notre mode de chauffage. Mais pour que les résultats soient durables, il faut que le signal prix le soit. Quand le soufflé des prix retombe, les efforts se relâchent et les projets d’investissements perdent leur justification économique.

N´est-il donc pas opportun de maintenir volontairement les prix à un niveau plus élevé que les prix de marché, sans attendre que la hausse s´impose à nous  car les prix finiront bien par remonter ? Voulons-nous, comme en 1973, 1979 et 2008, remplir les poches des pays producteurs ? Pensons-nous que ceux-ci soient plus avisés que nous pour utiliser cette manne de dollars ? Préférons-nous continuer à financer des pistes de ski à Dubaï plutôt que des recherches sur les énergies renouvelables ?

Qu´est-ce que la taxe carbone ?

La taxe carbone, rebaptisée en France “contribution climat-énergie”, s´appliquerait à toutes les énergies fossiles à proportion de leur contenu en carbone et donc de leurs émissions en CO2. Elle concernerait donc les produits pétroliers, le gaz et le charbon. Pas le bois ni le biogaz qui sont des énergies renouvelables. Elle serait payée par celui qui achète l´énergie et répercutée ensuite dans les prix des produits et services.

Elle serait progressive dans le temps, avec un plan d´augmentation annoncé à l´avance, mais sans renoncer à la flexibilité en cas de turbulences sur le marché du pétrole.

Son produit pourrait être affecté au financement de recherches ou d´investissements relatifs au réchauffement climatique, ou permettre la baisse ou la suppression d´autres impôts ou charges sociales. La compensation de ce nouvel impôt peut être soit partielle, soit totale.

Pourquoi une taxe carbone ?

Taxer le carbone, c’est se protéger des hausses à venir, tout en gardant la maîtrise de l’utilisation de l’argent collecté.  Plus nous serons nombreux à le faire, plus nous pèserons sur les prix. Et si la contraction de la demande est insuffisante, le simple fait de jouer sur les quantités réduira mécaniquement la facture à payer.

Taxer le carbone, c’est de même nature que taxer le tabac. C’est nous contraindre à sortir d’une toxicomanie inavouée. Car nous sommes bel et bien drogués aux énergies fossiles. En nous maintenant dans l’euphorie d’une vie agréable et facile, elles nous tuent à petit feu. Tout le monde connaît maintenant l’histoire de la grenouille qui saute de la marmite si on la plonge dans l’eau chaude, mais qui se laisse ébouillanter si on chauffe l’eau progressivement. Comme l’aimable batracien, nous laisserons nous piéger par le réchauffement climatique et asphyxier par la pollution aux oxydes d´azote (NOx) et particules ? Voulons-nous rester sous la coupe de nos fournisseurs et nous laisser imposer leur politique ?

Taxer le carbone, c’est enfin remédier à deux grossières erreurs de gestion. Alors que n’importe quelle entreprise amortit ses investissements afin de permettre leur remplacement, aucun mécanisme n’est actuellement prévu pour assurer le renouvellement du capital naturel que constituent les énergies fossiles. Et alors que la combustion du carbone détruit  l’environnement, ce coût “externe” est actuellement supporté sans contrepartie par la collectivité.

Mais pourquoi une taxe carbone, alors que l’Europe et d’autres pays mettent laborieusement en place des marchés de permis d’émission ? En fait, les deux systèmes ne sont pas incompatibles. Les permis d’émissions s’appliquent aux gros émetteurs, centrales thermiques et industrie lourde, mais seraient ingérables pour une multitude d’émetteurs individuels. Pour les émissions diffuses, taxer le carbone est d’une très grande simplicité : pas de bureaucratie, pas de tricherie.

Un changement d’état d’esprit

« En tant qu’homme d’affaires, il est difficile de plaider pour une nouvelle taxe. Mais je trouve qu’une taxe carbone est une approche plus directe, plus transparente et plus efficace. C’est aussi le moyen le moins cher de refléter le coût du carbone dans toutes les décisions économiques. »

Cette phrase prononcée le 8 janvier 2009 par Rex W. Tillerson, PDG d’ExxonMobil, a fait sensation. D’abord parce qu’Exxon avait jusqu’alors nié l’origine anthropique du réchauffement climatique – allant jusqu’à financer des chercheurs sceptiques – et avait logiquement refusé toute politique de réduction des émissions. Ensuite, parce que les autres grandes compagnies pétrolières se sont toutes ralliées au système des permis d’émission. Quelle mouche a donc piqué cet homme qui n’est pas connu pour ses convictions écologiques? Les observateurs sont perplexes. Sans doute a-t-il été sensible à des signaux encore faibles mais qui sont en train de s’amplifier :

– Le système des marchés d’émissions n’est pas la panacée, même pour les gros émetteurs. Bien qu’il permette de focaliser les efforts sur les économies les plus faciles à réaliser, il crée des effets d’aubaine, donne lieu à des abus ou des tricheries et attire les spéculateurs. Le récent discrédit des marchés financiers augmente le risque que ce nouveau marché soit rejeté par l’opinion.

– Deux Etats canadiens (la Colombie Britannique et le Québec) viennent d´instituer une taxe carbone et la France envisage de le faire. Si la taxe carbone ne fait pas partie de la loi Grenelle I adoptée par le parlement, Jean-Louis Borloo(1)  assure qu’elle est à l’étude, sans toutefois s’engager sur un calendrier. « Il faut du temps pour faire cette analyse du fait de sa complexité. »

– James Hansen, l’expert climat de la Nasa(2), plaide pour la taxe carbone en l’assortissant d’une clause révolutionnaire propre à faire accepter ce nouvel impôt par l’opinion. Dans sa lettre à Barack et Michelle Obama (28/12/2008), il propose tout simplement de redistribuer l’argent collecté à parts égales à tous les américains. Ainsi, le pauvre qui consomme peu de carbone fossile sera bénéficiaire et le riche sera incité à en consommer moins.

Quel montant ?

La Colombie Britannique a fixé le montant de la taxe à 10$ canadiens la tonne de CO2 et prévoit de l´augmenter de 5$ par an pour atteindre 30$ en 2012. Sachant qu´un baril(3) de pétrole produit 450 kg de CO2, cette taxe de 30$ rajouterait environ 11 $ US au prix du baril . C´est beaucoup en pourcentage du prix actuel de 40$, mais c´est peu en valeur absolue, et sans doute pas suffisant pour déclencher un sursaut de même ampleur que celui suscité par la récente flambée des prix. Mais si on adopte l´idée de James Hansen, on peut frapper un grand coup, à condition toutefois que tout le monde en fasse autant – ce que prêche la multinationale ExxonMobil !

>> Cet article a également été publié par Agoravox, partenaire d´Ouvertures dans le réseau Infovox. Pour le commenter ou le discuter, je vous invite à suivre ce lien. Le prochain numéro d´Ouvertures fera une synthèse des réactions des lecteurs.

———-

(1) Ministre français de l’écologie, de l’énergie, du développement durable, et de l’aménagement du territoire.

(2) James Hansen s’était fait connaître sous l’administration Bush par ses démêlés avec sa hiérarchie qu’il accusait de censurer ses prises de position en faveur de la lutte contre le réchauffement climatique.

(3) Sur la base de 0.81 $ US pour 1 $ canadien.

 

Pour aller plus loin :

>> Envoyer un droit de réponse

Les commentaires sont fermés.