Comprendre

Les djihadistes sont bien plus rationnels qu’on ne veut le croire

Ni fous, ni ignares, les djihadistes tiennent des raisonnements très construits. Comprendre cette réalité aiderait certainement à élaborer une prévention plus efficace. Sans doute plus exigeante aussi, car cela obligerait les sociétés attaquées à développer des arguments plus rigoureux pour espérer désamorcer les discours de haine.

Bien que le meurtre aveugle et aléatoire de civils semble ne pouvoir être expliqué par nul discours, répondre « Je ne veux rien entendre ! » à ce propos serait une grave erreur. Car ce serait se priver des moyens de mettre en place une réelle prévention idéologique, seule attitude susceptible de désamorcer les justifications avancées par les auteurs de ces crimes.

Le cadre de la recherche

Le livre « Soldats de Dieu ». Paroles de djihadistes incarcérés est rédigé par Xavier Crettiez et Bilel Ainine, tous deux membres du CNRS et de l’Observatoire des radicalités politiques (Fondation Jean-Jaurès) qui analyse depuis 2013 les dynamiques radicales, politiques et/ou religieuses.

Cet essai a pour objectif de comprendre et expliquer ce qui pousse des hommes à basculer dans une lutte armée contre des ennemis désignés et à soutenir des actes terroristes. Les deux chercheurs ont pour ce faire mené des entretiens avec treize individus incarcérés (essentiellement des personnes issues de communautés maghrébines entre 23 et 30 ans) pour avoir commis des actes terroristes ou entretenu des liens avec des groupes terroristes.

> Soldats de Dieu : paroles de djihadistes incarcérés
Par Bilel Ainine , Xavier Crettiez
Ed. de l’aube, fondation Jean-Jaurès

En effet, la lecture des témoignages recueillis par les deux scientifiques du CNRS le fait apparaître de façon flagrante : les djihadistes emprisonnés disposent d’un capital culturel non nul. « Nombre d’entre eux ont le baccalauréat, certains ont suivi des études supérieures », souvent dans des cursus scientifiques. Ils aiment et savent argumenter : « Le terrorisme se distingue de la violence criminelle ordinaire par sa dimension idéologique tout autant que par le choix de cibles civiles. Dans les deux cas, il faut pouvoir justifier le passage à l’acte violent et donc penser un tant soit peu les discours de légitimation de ses actes. Il faut savoir dire la violence autant que la pratiquer », écrivent les universitaires.

Approche « scientifique » du Coran

Le Coran, première source du droit musulman, est considéré par ces djihadistes comme un absolu qu’il faut lire dans son intégralité, sans écarter aucun passage. Il est plus « éclairant et rationnel que des religions comme le catholicisme », dit l’un d’eux. Il propose une lecture globale du réel et des réponses pratiques et concrètes aux questions que se pose le croyant. D’où une « critique féroce » à l’encontre des tenants officiels de leur religion, en France et dans les pays arabes accusés de pervertir le message de Dieu et d’en écarter l’aspect politique.

Les auteurs du livre ont été frappés par l’approche « presque scientifique » des textes sacrés que font la plupart des djihadistes : « Ils insistent sur l’idée qu’il ne faut pas suivre aveuglément un texte que l’on ne comprend pas. Ils en appellent à la raison individuelle pour aborder la religion et promeuvent le dialogue contradictoire et le débat pour approcher la vérité ».

Les seules choses qui ne se discutent pas sont la réalité de Dieu et les injonctions du Coran (y compris les commandements de meurtre).

Or, sur ces points, la rhétorique que notre société démocratique et laïque oppose peut apparaître comme faible et, parfois, injuste.

Faible car une personne portée par une ferme conviction s’affirme plus facilement qu’une personne qui doute, n’a pas de fondement solide, ou a seulement celui de la liberté. Injuste parce que la laïcité à la française – les djihadistes le lui reprochent tous – est parfois brandie pour exclure le religieux de la sphère publique.

Un vécu, soit dit en passant, aussi éprouvé par nombre de minorités spirituelles dans notre pays…

« Nul n’est innocent »

La rationalité des djihadistes est aussi philosophique : si Dieu existe et est partout, le hasard n’existe pas et l’intérêt de l’homme est de faire la volonté de son Créateur. C’est ce que disent aussi bien d’autres religions, comme la chrétienne qui enjoint à ses adeptes d’aimer Dieu « par dessous tout » !

La question de l’existence divine (et quel Dieu s’il existe ?) n’a pas été tranchée définitivement. La laïcité est une réponse a minima qui s’avère aujourd’hui incomplète, insuffisante, face à la vitalité de la religion musulmane (« la loi révélée est supérieure à la loi des hommes ») qui nous oblige, en quelque sorte, à reprendre la controverse à nouveaux frais.

Autre justification avancée par les djihadistes : la différence entre les discours droitdel’hommistes et les comportements impérialistes, cupides et violents de beaucoup de pays occidentaux, vus comme des « mécréants ». Voir, selon eux, ce qui s’est passé en Algérie, en Irak, en Syrie, en Libye, en Afghanistan, au Mali : « Tuer, ce n’est pas que mal, dans l’islam, ça peut être légitimé de même que, dans le Code pénal, on peut tuer par légitime défense. Les démocraties aussi tuent, bombardent, font des guerres ».

Abdel, par exemple, justifie les attentats de Paris au motif que nul n’est innocent dès lors que le gouvernement à été normalement élu : « Ils [les Français] sont tellement à l’ouest que, quand ils se font tuer, ils se posent la question : pourquoi ? On n’a rien fait, on est innocents ! On a un dirigeant pour lequel on a voté et qui démarre une guerre ! […] Mais là, si on est là, on boit et on s’amuse quand l’armée de son pays combat, eh bien, on doit subir ! »

Enrichir notre modèle de laïcité

Discours horrible d’insensibilité, certes, mais non dénué de logique. « Nous sommes en guerre », nous a-t-on souvent répété. Au nom de quoi cette guerre épargnerait-elle l’un des belligérants ?

« La puissance de la cause qui anime ces combattants, concluent les chercheurs, est une réalité. » Les entretiens qu’ils ont eu avec les djihadistes démontrent une « volonté forte et continue de vivre dans un système islamique, un califat ou Etat islamique, seul à même de permettre, selon eux, la pleine réalisation de leur foi, inévitablement bridée en Occident, et singulièrement en France. »

L’élimination physique annoncée de Daech ne signe en aucune façon la fin de son idéologie.

D’où l’urgence qu’il y a, selon nous, à revisiter, pour l’enrichir et le renforcer, notre modèle de laïcité.

 

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17 commentaires pour cet article

  1. L’analyse faite par des scientifiques ne pourra jamais que montrer qu’un aspect parcellaire et donc biaisé du phénomène djihadiste.
    Explications : il faudrait d’abord prendre en compte les tenant et aboutissants sur le plan géopolitique ; se rendre ENFIN compte que comme l’avaient déjà observé Villepin et autre Onfray, que c’est l’occident qui a créé le choc en retour djihadiste : l’attaque initiale de l’IRAK par la coalition occidentale (USA en tête) et tout ce qui a suivi.
    Il faudrait en plus examiner ce que pratiquement personne ne fait ; le creuset familial des djihadistes et au premier chef l’absence abyssale de figure paternelle qui semble être le commun dénominateur de ceux qui passent à ce type d’action terroriste.
    Voici le lien vers mon article détaillé, documenté et argumenté : « Attentats de Paris (2015), ceux qui ont suivi et suivront encore tant que les vraies leçons n’auront pas été tirées : l’essentiel a encore été occulté au mépris de l’intelligence et de la lucidité » (http://www.retrouversonnord.be/attentats_Paris.htm).

    Matière à réflexion (en filigrane) : “Bien sûr, la majorité des gens ne veut pas la guerre. En fin du compte ce sont les leaders d’un pays qui déterminent la politique de celui-ci. C’est simplement une affaire du choix des moyens pour entraîner le peuple dans telle ou telle direction, qu’il s’agisse d’une démocratie, d’une dictature fasciste, d’un régime parlementaire ou d’une dictature communiste. Quel que soit ce que les gens disent, le peuple peut toujours être amené à adhérer aux choix et aux paris pris par leurs leaders. C’est facile. Tout ce qu’il faut dire à ces gens, c’est qu’ils sont attaqués, en qualifiant les pacifistes de manque de patriotisme, en les accusant d’exposer la patrie à un danger. Ca marche de la même façon dans tous les pays du monde”. (Hermann Goering)

  2. Le livre est plus un recueil de témoignages qu’une véritable analyse scientifique.
    Et le plan géopolitique est abordé, tant dans l’article que dans le livre.
    Bien d’autres angles de réflexion sont effectivement possibles, comme vous le suggérez. Notamment celui de la sexualité. Pouvoir posséder des femmes sans avoir besoin de se faire désirer d’elles, de se montrer dignes d’elles, par exemple, est certainement un des moteurs cachés de ces criminels.

  3. Vous dites que le plan géopolitique est abordé, mais vous qui l’avez lu, aborde-t-on dans ce livre ce qui est évidemment politiquement incorrect et par exemple, le type de constats (en amont, lucides et à la portée de tout analyste ou journaliste) faits par le philosophe Michel Onfray “:

    « L’Occident attaque, prétendument pour se protéger, mais il crée le terrorisme » ;

    « Que tous ceux qui ont justifié les guerres contre l’Afghanistan, l’Irak, la Libye, le Mali et autres pays musulmans sont responsables et coupables. Ils ont légitimé le bombardement de milliers de personnes sur place. Que la communauté musulmane soit en colère contre l’Occident me paraît tout à fait légitime. L’Occident attaque prétendument pour se protéger du terrorisme, mais il crée le terrorisme en attaquant. Quel Irakien menaçait la France en 1991 ? Saddam Hussein finançait même la campagne d’un président ».

    En plus, « Bombarder des combattants de l’Etat Islamique suppose tuer des victimes civiles innocentes, les uns vivant chez les autres, et que ça n’empêchera pas un islamiste radical vivant en France de passer à l’acte. Au contraire ! ».

    « Est-ce que ça n’est pas terrible depuis 25 ans de justifier toutes ces guerres qui ont fait 4 millions de morts ? 4 millions de morts musulmans, ça compte pour rien ? »

    (Extraits sourcés présents dans mon article cité).

    • Avez-vous bien lu au moins l’article ?
      Voir ce passage : « Autre justification avancée par les djihadistes : la différence entre les discours droitdel’hommistes et les comportements impérialistes, cupides et violents de beaucoup de pays occidentaux, vus comme des « mécréants ». Voir, selon eux, ce qui s’est passé en Algérie, en Irak, en Syrie, en Libye, en Afghanistan, au Mali : « Tuer, ce n’est pas que mal, dans l’islam, ça peut être légitimé de même que, dans le Code pénal, on peut tuer par légitime défense. Les démocraties aussi tuent, bombardent, font des guerres ». »
      Et :
      « Abdel, par exemple, justifie les attentats de Paris au motif que nul n’est innocent dès lors que le gouvernement à été normalement élu : « Ils [les Français] sont tellement à l’ouest que, quand ils se font tuer, ils se posent la question : pourquoi ? On n’a rien fait, on est innocents ! On a un dirigeant pour lequel on a voté et qui démarre une guerre ! […] Mais là, si on est là, on boit et on s’amuse quand l’armée de son pays combat, eh bien, on doit subir ! »

  4. P.S. Ce que vous dites de ce livre (et qu’on doit donc prendre pour un résumé °) ne montre en fait que ce qui touche au Coran, au profil intellectuel et spirituel des Djihadistes ; rien concernant la responsabilité de l’Occident.

    ¨En effet, vous ne mentionnez pas l’existence éventuelle d’autres axes de réflexions.

  5. « Autre justification avancée par les djihadistes : la différence entre les discours droitdel’hommistes et les comportements impérialistes, cupides et violents de beaucoup de pays occidentaux, vus comme des « mécréants ». Voir, selon eux, ce qui s’est passé en Algérie, en Irak, en Syrie, en Libye, en Afghanistan, au Mali : « Tuer, ce n’est pas que mal, dans l’islam, ça peut être légitimé de même que, dans le Code pénal, on peut tuer par légitime défense. Les démocraties aussi tuent, bombardent, font des guerres ». »
    Vous dites bien « SELON EUX » ce qui ne valide pas le nécessaire mea culpa de l’occident et donc (comme je le souligne) la responsabilité abyssale et première de l’occident

    « Abdel, par exemple, justifie les attentats de Paris au motif que nul n’est innocent dès lors que le gouvernement à été normalement élu : « Ils [les Français] sont tellement à l’ouest que, quand ils se font tuer, ils se posent la question : pourquoi ? On n’a rien fait, on est innocents ! On a un dirigeant pour lequel on a voté et qui démarre une guerre ! […] Mais là, si on est là, on boit et on s’amuse quand l’armée de son pays combat, eh bien, on doit subir ! »
    Les auteurs ne franchissent pas le pas qui est donc et comme souligné plusieurs fois, celui de la responsabilité première (ce qui laisse sous-entendre que l’occident est dans son exclusif bon droit).

  6. P.S. Vous reconnaissez que ‘Et le livre aborde bien d’autres thématiques. L’article ne présente que quelques aspects”. Il aurait fallu le dire au départ et rappel , pourquoi s’être privé d’en faire le résumé ?

  7. Il y a aussi de mon point de vue une complicité entre tous les pouvoirs ?
    Ces conflits semble bien trop orchestrés pour ne pas se demander s’il n’y a pas des terroristes qui sont traités par des professionnels des lavages de cerveaux ?
    Ces actes tant spectaculaires que sadiques semblent servir les causes des pouvoir occidentaux ?
    Ces conflits servent trop bien les industries militaro-industriels que ce besoin de réduire drastiquement les populations d’inutiles et d’inadaptés aux systèmes esclavagistes du NOM .
    En effet les initiateurs sont biens de grands savants très intelligents psychopathes .

  8. Si le livre n’aborde pas la responsabilité première de l’Occident (merci de m’en donner la confirmation), il aura été pour moi inutile et même trompeur, car li perpétue cette indécrottable névrose qui est de se poser encore et toujours en pures victimes !

    Matière à réflexion :
    Espérons que cette triste réalité d’un terrorisme qui durera autant que dureront les guerres contre lui (dans les pays arabes), conduira un jour nos décideurs et/ou nos journalistes bien (trop) calfeutrés et protégés contre ce type de risque (sauf ceux qui se rendent sur place), à faire preuve de courage et de prendre à bras le corps les VRAIES causes et adopter rapidement les solutions appropriées,

    D’ailleurs, le penseur éclairé qu’était Bossuet aurait pu à juste titre leur lancer que « Dieu se rit des hommes qui se plaignent des conséquences alors qu’ils en chérissent les causes ». La surenchère guerrière est vaine, car loin du politiquement correct et de la bien pensante, voici ce que ni les grands médias ni les décideurs ne semblent comprendre à propos des attentats : (rappel) « L’Occident attaque, prétendument pour se protéger, mais il crée le terrorisme » (Michel Onfray).

    • Le but du livre n’est pas de démontrer une thèse ou une autre. Sont évoquées les 4 grandes thèses en lice “dans l’espace public. Les auteurs montrent qu’elles détiennent toutes une part de vérité. L’ouvrage n’a pas un objectif moral ou politique. Il décrit les conceptions et raisonnements qui meuvent les djihadistes.
      Ce n’est pas un essai pour expliquer le djihadisme. Après, c’est à chacun de réfléchir et de voir où se situe sa propre responsabilité ou celle de tel ou tel.

  9. Je ne suis pas d’accord avec vous, car le livre pointe par exemple le Coran et d’ailleurs dans l’extrait suivant, les auteurs se rangent à cette forme d’explication qui est biaisée selon moi : “Les entretiens qu’ils ont eu avec les djihadistes démontrent une « volonté forte et continue de vivre dans un système islamique, un califat ou État islamique, seul à même de permettre, selon eux, la pleine réalisation de leur foi, inévitablement bridée en Occident, et singulièrement en France »”.
    A les lire et comprendre, comment voulez-vous alors contrer un tel phénomène (on est dans une sorte de fatalité alors que la réalité est toute autre comme je l’ai démontré à plusieurs titres) !!!
    Certes ils présentent (à vous lire) une solution : “Enrichir notre modèle de laïcité” comme parade mais qui n’en est pas une, tant qu’on se se sera pas (et le fera-t-on un jour ?) attaqué aux VRAIES racines de la problématique et qui sont en Occident même !

    Rappel : en l’absence d’intervention en IRAK (à l’ère Bush) et tout ce qui a suivi comme tel, nous ne devrions redouter aucune attaque djihadiste !

    • Le commentaire final sur la laïcité est du rédacteur de l’article, pas des auteurs du livre.
      En fait, cette discussion ne rime pas à grand chose tant que vous n’avez pas lu livre. Sinon, vous faites aux auteurs du livre un procès d’intention…

      • “Le commentaire final sur la laïcité est du rédacteur de l’article, pas des auteurs du livre.” Il aurait fallu bien le démarquer car rien ne le montrait.
        Autrement dit, il fallait bien séparer ce qui se trouve dans le livre et les propos du cru du rédacteur.

        Quant au contenu du livre, je répète qu’il aurait fallu en donner un vrai résumé et pas un article qui n’a repris qu’une partie du contenu (ce dont on a d’ailleurs pas été averti).

        Me reprocher de ne pas avoir lu le livre n’est pas congruent : vous rédigez un article à son propos et vous ouvrez la discussion . Je n’ai fait aucun procès d’intention ; j’avais bien écrit “SI le livre n’aborde pas la responsabilité première de l’Occident (merci de m’en donner la confirmation), il aura été pour moi inutile et même trompeur, car li perpétue cette indécrottable névrose qui est de se poser encore et toujours en pures victimes !”
        Vous ne m’avez toujours pas répondu, alors que je vous demandais clairement une confirmation.

        • Je vous ai répondu que ce livre n’avait pas un objectif moral ni politique, contrairement à votre attente. Ce livre n’est donc pas pour vous, tout simplement.
          Quant à la séparation (entre les auteurs du livre et l’auteur de l’article) elle a été faite. Relisez bien la dernière phrase de l’article. J’ai écrit “selon nous” et non pas “selon eux”.

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