La laïcité en débat

Le Concordat en Alsace-Moselle, une épine dans le pied de la République

Opinions Hyperdebat propose un débat méthodique sur l'avenir du Concordat en Alsace-Moselle. Après avoir classé les arguments des uns et des autres et tenté de mettre la question en perspective, le facilitateur donne ici son point de vue.

Religions – État : des relations compliquées (Crédit photo : Lucy Nieto, Flickr)

Le Concordat est indéniablement une épine dans le pied de la République. Discrète, peu visible, elle commence à faire mal. Le Concordat met en effet à mal deux grands principes républicains, le principe de laïcité et le principe d’égalité, celui-ci doublement, car il introduit des inégalités entre régions et entre religions. L’islam, il faut le rappeler, ne bénéficie pas du régime local des cultes.

Un débat régional aux implications nationales

Le débat reste pour l’instant limité aux départements et aux milieux directement concernés, mais, à l’image du débat sur le mariage gay, il pourrait venir sur le devant de l’actualité française. D’autant qu’il est la clef d’un des engagements de campagne de François Hollande : inscrire la loi de 1905 de séparation des églises et de l’État dans la constitution.

Bien que François Hollande ait assuré qu’il ne toucherait pas au Concordat, les experts en droit constitutionnel affirment qu’il est incompatible avec le projet présidentiel et qu’il devra être sacrifié.

En Alsace-Moselle, où le Concordat est bien ancré, les parties prenantes sont conscientes de sa précarité et s’en inquiètent.

Les autorités religieuses, catholiques, protestants et juifs, y sont plus qu’attachées, elles le défendent pied à pied. Non sans contradictions. Rares en effet sont les voix chez les chrétiens à vouloir « rendre à César ce qui est à César » comme l’enseignait Jésus. Et si le Concordat a tant de vertus, pourquoi les églises ne revendiquent-elles pas son extension au reste de la France ? Si les religions arrivent à vivre ailleurs sans ce financement de l’État, pourquoi ne le pourraient-elles pas en Alsace Moselle ? A cela elles répondent à l’unisson des politiques, y compris de gauche, que ce n’est pas qu’une affaire de financement. Que le Concordat permet une qualité de dialogue sans égale, non seulement entre les religions et les pouvoirs publics, mais aussi entre les différentes religions (l’islam en est pourtant exclu). Et qu’il ne va pas à l’encontre de la laïcité, mais constitue une autre forme de laïcité.

Direction Concorde ? Crédit : Olivier Bruchez

Concordat : discorde ou concorde ?
(La station de métro Concorde à Paris. Crédit photo : Olivier Bruchez, Flickr)

Une laïcité à redéfinir

L’argument n’est pas infondé. Pourquoi en effet ne financerait-on pas les religions ? La plupart des pays financent bien les sports ! Pourquoi être attentif à la santé physique des citoyens et pas à leur équilibre spirituel ? Sur quels fondements l’État s’arroge-t-il le droit de juger de ce qui est bon ou mauvais pour les citoyens ?

La Belgique considère que cela vaut la peine de soutenir les religions. Mais non sans un certain malaise, car, tout en poussant assez loin le principe de neutralité – jusqu’à financer des organisations laïques – le système a du mal à évoluer pour coller aux évolutions de la société.

La France s’y refuse par principe, mais le fait quand même (lien) (par exemple en accordant une réduction d’impôt d’un montant égal à 2/3 des dons aux organisations religieuses)

Le débat sur le Concordat pose en fait deux questions fondamentales :

  • Qu’est-ce que la République peut ou doit financer ? Quelles sont les frontières de l’intervention publique ?
  • Si on choisit de subventionner, comment le fait-on et sur quels critères ? Peut-on par exemple exclure des groupes minoritaires sous prétexte de risques de dérives sectaires ?

Sur le papier, les positions de la France et de la Belgique sont diamétralement opposées, mais sont-elles si éloignées que cela dans les faits ? Le temps n’est-il pas venu d’un peu plus de clarté et de courage, de faire enfin ce que l’on dit et de le faire vraiment ou de dire ce que l’on fait ?

On peut marcher avec une épine dans le pied, mais si on ne fait rien, il arrive un moment où on ne peut plus avancer.

> Pour débattre : Faut-il maintenir le Concordat ?

Religions : revoir le rôle de l’État

La République perd son âme en soutenant telle religion et pas telle autre. Et en soutenant telles religions dans une région et pas dans d’autres. La situation actuelle est fille de l’époque où le catholicisme dominait sans partage. Aujourd’hui, d’autres religions et des minorités spirituelles peuvent légitimement revendiquer une considération des pouvoirs publics. L’imbroglio ne peut que croître.

Mais pourquoi la puissance publique devrait-elle favoriser, directement ou indirectement, l’exercice religieux ? On peut considérer qu’elle est dans son rôle en soutenant l’épanouissement spirituel de ses citoyens, comme elle est déjà attentive à leur santé physique. Au nom de l’antique « mens sana in corpore sano », toujours valable, l’État peut légitimement se préoccuper de la santé psychique des Français, connus par ailleurs pour être des boulimiques de psychotropes et neuroleptiques de toutes sortes.

Mais religions et psychisme ou spiritualité, ce n’est pas la même chose !

L’État devrait avoir le courage de prendre de la distance vis-à-vis du passé et des lobbies religieux et de s’engager plutôt dans l’aide à la libération du mental, ce que les neurosciences, notamment, permettent d’envisager avec rationalité et ouverture d’esprit, c’est-à-dire dans le respect de la diversité des approches.

Il ne s’agirait pas, bien évidemment, d’imposer une laïcité sectaire ni de diaboliser les dogmes religieux existants. Mais plutôt d’aider à la réflexion argumentée, à l’acquisition de connaissances sûres et évolutives, dans le cadre d’une épistémologie rigoureuse et attentive au pluralisme des voies de recherche.

En fait, le rôle de l’État serait de favoriser l’art d’apprendre et de comprendre avec curiosité, nuance, souplesse et exigence qualitative. L’art de se forger une opinion en toute connaissance de cause, à l’abri (ou en toute conscience) des influences extérieures et intérieures à chacun. L’art de devenir un citoyen autonome de pensée – et responsable de son destin.

Jean-Luc Martin-Lagardette

Pour aller plus loin :

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6 commentaires pour cet article

  1. La République est une imposture intellectuelle soutenue par des hypocrites de première classe.

    Bong

  2. La question prioritaire de constitutionnalité de l’Association pour la promotion et l’expansion de la laïcité, est légitime.

    Il est nécessaire et juste de clarifier notre République Laïque. En cas de rejet de leur demande par la Cour constitutionnel, je propose d’élargir à d’autres régions françaises, ce régime concordataire des cultes reconnus.
    Les français de confession musulmane ou d’autres croyances ne sont pas des sous-citoyens. Pourquoi ne sont-ils pas reconnus dans le régime concordataire des cultes ?

    En cas de rejet de la question prioritaire de constitutionnalité de l’association requérante, qui institutionnalisera et entérinera, ce régime concordataire. Il serais juste d’intégrer les autres religions exclues du système, notamment la pratique de l’Islam.

  3. Les religions organisées sont des sectes moyen-âgeuses totalement dépassées et absurdes. Au lieu d’annoncer sa démission, “Benoît XVI” aurait fait acte de bravoure d’annoncer la dissolution de cette association de malfaiteurs qu’est l’Eglise Catholique.

    Bong

  4. Pour l’esprit réellement religieux, celui qui est concerné par ce qui est et la transformation de ce qui est, aucun système religieux, politique, sociétal, philosophique ou même scientifique, n’a de légitimité, ni morale, ni intellectuelle. La société n’a donc aucune valeur et aucune constitution, aucun texte, aucune loi n’a de réelle valeur, car toutes ces lois et ces fausses valeurs ne sont en fait que de l’enfumage et de l’illusionnement.

  5. Kim Jong-Un ou François I, lequel est le plus dangereux pour l’humanité?

    Le premier a l’arme nucléaire, et le second a le poids hautement divisif et multi-millénaire de la tradition.

  6. La république a été légitimée par l’existence du vivant humain et social sur un territoire dédié.
    Il s’agit, en langage politique du peuple, définissant le concept de nation. Il s’agit de l’existence positive d’un groupe Humain et vivant, quelles que soient ses opinions ou pensées.
    Il s’agit d’une sécularisation de la vie publique sur laquelle la religion n’opère plus de magistère. Donc restaurer une intervention théophanique dans l’Etat violerait le contrat social républicain. De là on peut alors dériver vers un ordre social et politique où les religions fondées sur la spiritualité et non la régularité, opéreraient en partenariat avec l’Etat républicain. Le champ est alors ouvert à un nouveau magistère religieux public à l’occasion de n’importe quel événement ou soulèvement par la force. La république française perdrait ainsi ses valeurs au profit de prétentions métaphysiques manipulées à l’aune de religions révélées ou pas, selon des croyances hors du champ positif. Le peuple deviendrait alors prisonnier du dogme dominant quelles qu’en soient les valeurs. C’est un danger manifeste avec lequel il est hasardeux de jouer.