C’est en tout cas ce qu’affirme une chercheure de l’Institut national d’études démographiques (Ined) dans une étude parue en septembre 2010. Ouvertures lui a posé des questions auxquelles elle a – partiellement – répondu.
France Meslé. |
« Bel exemple d’un succès de la prévention » : c’est ainsi que France Meslé, chercheure à l’Institut national d’études démographiques (Ined), qualifie l´influence de la vaccination dans le « recul spectaculaire de la mortalité due à la grippe », thème d’une étude intitulée “Recul spectaculaire de la mortalité due à la grippe : le rôle de la vaccination”, parue en septembre 2010 dans Population et sociétés, n°470.
Ouvertures a étudié son essai, lui a demandé des précisions. Il s’agit bien sûr seulement d’un travail journalistique. Mais, à la différence de nos confrères, qui ont tous repris sans recul les conclusions de l’étude, nous avons voulu avoir un regard critique.
Retraçant l´évolution de la mortalité due à la grippe en France et dans les pays industriels au cours des dernières décennies, Mme Meslé pense avoir démontré ce recul et sa cause : la vaccination.
Nous lui avons alors fait part de notre interrogation « sur la corrélation que vous faites entre la baisse du taux de mortalité et la vaccination. Nous ne voyons pas, ni dans les chiffres ni dans les tableaux que vous offrez aux lecteurs de votre note, d´éléments factuels permettant d´établir clairement ce lien qui paraît pourtant direct à vos yeux ».
Le lecteur intéressé trouvera sous ce lien une présentation de l’article dans son entier ainsi que les questions précises que nous lui avons formulées, et qui apparaissent à l’endroit exact de son texte qui suscite ces questions.
Les questions posées par la rédaction
Pour le lecteur pressé, nous présentons ces questions ici :
1 – Toutes les courbes que vous présentez, sauf celle du Japon, accusent une baisse continue depuis le début de la date retenue, soit 1950. Cette baisse peut parfois se ralentir, comme en France entre les années 1950 et 1970. Mais toutes poursuivent une descente plus ou moins régulière. Il serait intéressant de pouvoir analyser cette courbe avant les années 50 pour voir son comportement. En tout cas, depuis 1950, la baisse est patente. Quel élément factuel vous permet donc de dire qu´il y a un effet direct avec la vaccination (et avec elle seule) ? On peut raisonnablement penser que bien d´autres critères peuvent être retenus comme l´hygiène, la meilleure prise en charge des complications, l´alimentation, les conditions de vie, le pouvoir d´achat, etc.
2 – Cette courbe n´est pas accompagnée d´une information qui me semble pourtant capitale : celle des taux de vaccination par pays et par années (et par populations : jeunes, âgées, à risque), ce qui déjà donnerait des éléments de comparaison un peu plus nets. Serait-il possible d´avoir un tableau présentant les données de mortalité et de vaccination depuis le début du siècle dernier, au moins pour la France ?
3 – Vous dites que c´est après la grippe de Hong Kong qu’un nouveau vaccin amélioré “s’avère plus efficace”. Vous en tirez la conclusion qu´aussitôt, en France comme ailleurs, la mortalité due à la grippe s’effondre. Une autre lecture est possible : au vu de vos tableaux, la mortalité ne s´effondre pas : elle reprend la baisse amorcée précédemment, baisse que la grippe de Hong Kong avait enrayée. Pouvez-vous être plus précise pour étayer votre conclusion ?
4 – Avez-vous aussi les données dans les pays qui ne vaccinent pas ou peu ? Il serait en effet intéressant de voir si l´on observe ou pas des évolutions similaires, quelle que soit la couverture vaccinale… Votre conclusion en serait plus convaincante.
5 – A partir de quel taux de couverture vaccinale estimez-vous que l´action préventive est efficace, ou seulement significative ?
Les réponses de France Meslé
Voici les réponses que Mme Meslé nous a fait parvenir le 14 mars 2011 :
« – Il est faux de dire que la baisse est patente depuis 1950 dans tous les pays. En France, elle était effectivement importante entre la première et la deuxième guerre mondiale mais dans les années 1950, elle marque nettement le pas. Voyez ci-dessous les droites d’ajustement des tendances pour 4 périodes : 1925-1938, 1946-1967, 1970-1980 et 1980-2006. On voit très clairement, malgré les fluctuations, que dans la période 1946-1967 la tendance est à la stagnation (ou même en légère hausse) et que la baisse redémarre à partir de 1970 (figure 1).
Figure 1. Évolution 1925-2006 du taux comparatif de mortalité par grippe en France en distinguant 4 périodes. |
Le même type d’évolution est observé au Royaume Uni et au Japon. Il est vrai que ce n’est pas le cas aux États-Unis et en Italie, comme je le note dans le Population et Sociétés.
– Je ne conteste pas que d’autres facteurs aient pu entrer en ligne de compte dans la baisse de la mortalité : amélioration de l’hygiène, de l’alimentation, augmentation du niveau de vie. Ce sont effectivement des facteurs qui ont joué un rôle essentiel dans la baisse de la mortalité infectieuse en général et nul doute qu’ils aient aussi pesé dans les progrès enregistrés sur la grippe au début du XXe siècle. Et il est très probable qu’ils aient joué un rôle majeur dans la baisse de la mortalité attribuée à la grippe en en faisant reculer les complications dans les années 1920 et 1930. Ils n’expliquent toutefois pas la rupture de tendance observée dans les années 1970, à une époque où les gains pour les autres maladies infectieuses commençaient à s’épuiser. À cet égard, la comparaison entre les évolutions de mortalité par grippe et par autres infections respiratoires est intéressante (figure 2).
Figure 2. Évolution comparée de la mortalité par grippe et par autres infections respiratoires de 1925 à 2006 en France. |
Les deux calendriers d’évolution sont très différents. Pour les infections respiratoires, la baisse est antérieure aux années 1960. Elle est maximum dans les années 1950 avec la diffusion massive des antibiotiques. Elle s’arrête au moment où la mortalité par grippe entame son impressionnant recul. Aurait-on trouvé un médicament miracle n’agissant que sur les complications respiratoires de la grippe mais aucunement sur les autres affections respiratoires ou bien les progrès socio-économiques n’auraient-ils eu un effet que sur la grippe et non sur d’autres infections touchant le même appareil? Le plus probable est donc que c’est un facteur spécifique à la grippe proprement dite et non plus à ses complications bactériennes qui a permis ces progrès et ce facteur est sans doute la vaccination.
– Vous avez tout à fait raison de penser qu’une connaissance précise de l’évolution des taux de couverture vaccinale sur le long terme et des différences observées entre les pays permettrait d’éclairer le débat. Malheureusement les informations dans ce domaine sont très fragmentaires, ont peu de profondeur historique et posent des problèmes de comparabilité. Dans l’état actuel des choses, il n’est pas possible de s’y référer. J’espère toutefois dans l’avenir avoir le temps de revenir sur cette question et ne manquerai pas de vous faire parvenir mes travaux de recherche. »
L’analyse d’un médecin blogueur
Le docteur Jean-Claude Grange a lui aussi analysé l’étude de Mme Meslé sur son blog. Si l’on suit le graphique, explique-t-il en substance, la baisse de la mortalité en France s’accentue à partir de 1970, ce qui correspondrait pour l’auteur au moment de l’élaboration d’un « nouveau vaccin amélioré ». Il n’est en aucun cas fait état d’une amélioration des conditions d’hygiène. L’explication apportée est que, grâce à cette médecine de prévention, la tranche d’âge la plus sensible aux complications du virus (les personnes 65 ans et les enfants en très bas âge) a vu reculer le nombre de morts subséquents. Cependant, elle déclare un peu plus tard que la vaccination gratuite pour les populations à risque n’est arrivée qu’à partir de 1985. « Ainsi, la mortalité par grippe aurait diminué de façon considérable, selon Madame Meslé, avant la généralisation de la vaccination aux personnes dites à risques ! »
« De manière générale, les médecins sont assez persuadés que les vaccins marchent. Moi-même je ne suis pas ‘’anti-vaccins’’ mais il faut toutefois reconnaître que l’efficacité du vaccin anti-grippal n’a pas été avérée. Je cite ici la collaboration Cochrane qui a établi que le vaccin n’avait aucune incidence sur les personnes de plus de 70 ans qui sont paradoxalement ceux visés majoritairement par les campagnes de vaccination. Ce que je crains c’est qu’à force de multiplier les actions de communication pour encourager les gens à se faire vacciner contre la grippe sans ouvrir le dialogue, une méfiance puisse s’installer durablement. »
>> Merci à Dorothée Descamps, étudiante en journalisme scientifique à l´université Paris Diderot, qui a participé au montage de ce dossier et a recueilli pour Ouvertures les propos du Dr Grange.
>> Nous invitons les personnes intéressées par ce débat à publier ici leur commentaire ou à nous proposer d´autres articles sur la question, en complément à ceux qu´Ouvertures a déjà publiés, comme cet article rédigé à la suite des doutes sur l´efficacité du vaccin antigrippal exprimés par l´ex-député Jean-Michel Dubernard.
Ce que je constate, personnellement, est que la courbe de mortalité liée à la grippe en France est l´exacte opposée de la courbe des anomalies de température mondiales relevées par la Nasa, et on peut y distinguer les mêmes quatre périodes temporelles que la courbe de mortalité:
taca.asso-web.com/99+2010-annee-record-de-temperature.html
D´autre part:
“Le virus de la grippe aviaire a une durée de vie différente en fonction des conditions météorologiques. Il est plus actif dans un milieu froid et humide que dans un environnement chaud et sec. À une température de 4 °C, la résistance du virus est de 35 jours, à 20 °C, sa résistance est de sept jours. L’activité du virus est maximale de novembre à mars. ” (Source: Organisation mondiale de la santé animale [OIE])
Sans aucun doute, je dirais que la baisse de mortalité due à la grippe est premièrement une conséquence du réchauffement climatique, limitant la durée de vie du virus et le rendant plus fragile, donc potentiellement moins virulent. Cela expliquerait aussi le fait que la courbe de mortalité pour le virus de la grippe soit différente, dans sa baisse, de celle des autres infections respiratoires. Maintenant, d´autres facteurs liés à l´hygiène, l´alimentation, l´usage de médicaments, voire la vaccination, peuvent certainement jouer un rôle secondaire ou complémentaire dans cet état de fait.
Une étude du National Institute of Health américain, publié dans Nature Chemical Biology début 2008, indique que “le virus de la grippe est enveloppé d’une couche de molécules grasses qui durcit et le protège quand les températures baissent. Cette enveloppe, constituée de cholestérol, fond une fois que le virus a pénétré dans l’appareil respiratoire de sa victime, il peut alors infecter une cellule et se reproduire. Lorsqu’il fait trop chaud la couche protectrice ne résiste pas et le virus meurt, à moins d’être à l’intérieur d’un organisme, ce qui explique sa propension à sévir en hiver. […] Résultat : une température de 5 °C et un degré d’humidité de 20 % sont parfaits pour que les hamsters malades contaminent les autres. À 30 °C les chercheurs n’ont observé aucune transmission virale.” source wikipedia.
Il est intéressant que la chercheure ne se soit pas intéressée de plus près à la santé du virus de la grippe, alors que le réchauffement climatique n´est plus maintenant à démontrer.
Il aurait été intéressant de disposer des coefficients de détermination des droites d´ajustement concernant les courbes présentées. Heureusement, les sources de l´OMS sont publiques, et il serait assez facile de reproduire les graphiques afin de les comparer avec ceux de l´évolution historique des taux d´humidité et des anomalies de température dans les régions concernées au 20ième siècle. Il est par contre assez étonnant de constater le manque d´information sur la question en France: les données pluviométriques brutes depuis le début du 20ième siècle sont très difficiles à trouver, contrairement à celles d´autres pays européens. Ce sont pourtant des données environnementales censées être accessibles au public comme l´explique la directive 2003/4/CE du Parlement Européen…
A warmer Earth likely means less flu, but determining just how much less is a “wicked problem,” the dean of the University of Pittsburgh Graduate School of Public Health. Pittsburghlive.com