Énergie et territoires ruraux

Les citoyens veulent s’approprier la question de l’énergie

REPORTAGE Les journées nationales Énergie et territoires ruraux, qui se tenaient du 26 au 28 septembre dernier dans la Drôme, montrent que les acteurs de terrain font preuve de créativité pour développer la production d'énergies renouvelables sur leurs territoires. Mais c'est un chemin semé d'embûches. Des éléments à verser au débat national sur la transition énergétique, qui s'ouvrira en novembre.

Journées énergie et territoires ruraux Tepos

Un des ateliers des journées Energie et territoires ruraux, animé par Yannick Régnier, du réseau pour la transition énergétique. Photo Pryska Ducoeurjoly

Plusieurs ateliers de réflexion autour du développement des territoires à énergie positive ont été organisés fin septembre, à l’occasion des « journées Énergie et territoires ruraux », qui se tenaient cette année dans la Biovallée (voir notre article annonçant cette rencontre). Objectif : partager les enseignements d’expérimentations locales ayant pour objet le développement des énergies renouvelables.

Parmi ces ateliers, celui consacré aux projets initiés par des habitants et des acteurs locaux. Animé par Yannick Regnier, du Réseau pour la transition énergétique, cet échange autour de plusieurs expériences a montré à quel point il est aujourd’hui difficile de porter un projet citoyen à cause des nombreux freins administratifs et financiers. « Ces expériences sont portées à bout de bras, avec beaucoup d’huile de coude ! », a prévenu en introduction Yannick Régnier.

 La centrale villageoise photovoltaïque de la Gervanne (Drôme) en panne

Au départ, c’était une belle idée : valoriser les ressources d’un territoire au profit de ses habitants. Mais développer un modèle de centrale photovoltaïque d’environ 1 000m2 de panneaux sur des toitures privées et publiques du Vercors n’est pas si simple. Pas tant à cause de l’intégration au paysage, qui a fait l’objet d’un soin particulier, mais plutôt à cause de conditions extérieures indépendantes de la volonté des habitants particulièrement motivés par le projet.

Carole Thourigny, maire de Gigors-et-Lozeron, est venue expliquer comment les acteurs locaux étaient allés de déception en déception : coûts de raccordement proposés par ERDF rédhibitoires, difficulté autour du choix du statut juridique (aucun n’étant pleinement satisfaisant), modèle économique fragilisé par la baisse du tarif de rachat de l’électricité photovoltaïque. Aujourd’hui, le projet n’est pas abandonné, mais en panne de solutions.

Ce cas soulève la dépendance des projets locaux au contexte juridique actuel, notamment le problème du monopole d’ERDF sur les travaux de raccordement ou de renforcement du réseau. Un des participants de l’atelier n’a pas hésité à évoquer les « coûts délirants » et une « prise en otage des collectivités ». Des observations qui rejoignent celles des élus de la fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), qui a édité en 2011 un livre blanc contestant la politique d’ERDF.

Une heureuse expérience dans le Lot

La coopérative des fermes de Figeac témoigne que certains projets citoyens peuvent avoir une issue plus favorable. . Cette coopérative de 600 agriculteurs, principalement des éleveurs bovins, a développé un nouveau secteur d’activité au sein de la structure agricole : le service énergie, via la filiale Ségala agriculture et énergie solaire. Cette société par action simplifiée (SAS) regroupe 120 agriculteurs, les seuls actionnaires, qui louent leurs toitures à la SAS. Cette dernière gère une production photovoltaïque de 7,5 mégawatts répartie sur 190 bâtiments, soit une surface de six hectares. Dans le cadre de ce projet, une bonne partie des toitures a pu être rénovée et désamiantée, impliquant de nombreuses retombées économiques locales.

«Au final, les banques ont financé 100% de cette opération d’un coût total de 33,7 millions d’euros. Elles ont prêté 6,5 millions (20%) aux agriculteurs pour constituer le capital de la société et 27.2 millions (80%) à celle-ci », explique Laurent Causse, responsable du service énergie. Bilan prévisionnel de l’opération sur 20 ans : 20 euros net par m2 de toiture photovoltaïque. « Cela bénéficie directement au territoire et a permis de créer trois emplois ».

La réussite de ce projet, initié en 2006, en entraîne d’autres. Le service énergie développe une filière bois-énergie mais également un projet éolien avec les citoyens. Il a aussi pu mettre en place son propre service de maintenance, permettant l’intervention rapide de ses techniciens spécialisés. « On est devenu très pointu! », se félicite Laurent Causse.

L’épineuse question du financement

Christel Sauvage, présidente de l'association Énergie Partagée, a présenté l'outil financier du fonds d'investissement solidaire

Christel Sauvage, présidente de l’association Énergie Partagée, a présenté l’outil financier du fonds d’investissement solidaire. Photo Pryska Ducoeurjoly

En matière d’énergies renouvelables, deux constantes reviennent dans les projets émanant de la base : la motivation des acteurs et… les difficultés de financement. D’où l’idée de créer un fond d’investissement solidaire dans les énergies renouvelables : « Energie Partagée ».

« Les technologies d’énergies renouvelables sont, par nature, locales et accessibles aux citoyens. Par le levier de l’investissement solidaire, le mouvement Énergie Partagée veut permettre une réappropriation citoyenne des enjeux énergétiques sur les différents territoires et sortir le développement des énergies renouvelables de la seule logique financière, source de conflits ».

Christel Sauvage, présidente de l’association Énergie Partagée, a présenté l’outil financier de la structure lors de ces journées énergie et territoires ruraux. Cet outil permet à des porteurs de projets et des acteurs locaux de réunir les fonds propres nécessaires au lancement opérationnel d’un projet, et d’en garder la maîtrise citoyenne.

Actuellement, le fonds est « riche » de 2,3 millions d’euros (pour 1518 souscripteurs). Mais il permet aussi de proposer une aide juridique appréciable à tout nouveau projet.

Des acteurs ruraux plus prévoyants que l’État !

Jacky Aignel, madeleine Charru, Nordine Boudjelida

Clôture des journées énergie et territoires ruraux, vendredi 28 septembre. De gauche à droite : Jacky Aignel (président du réseau Rurener), Madeleine Charru (présidente du Réseau pour la transition énergétique), Nordine Boudjelida (directeur de l’Ademe Rhône-Alpes). Photo Pryska Ducoeurjoly

Bilan de ces ateliers, « la dynamique et l’élan émanant des territoires engagés dans les énergies renouvelables sont actuellement freinés par un carcan institutionnel », assure Madeleine Charru, présidente du Réseau pour la transition énergétique.

« Il y a beaucoup de motivation et d’envie de la part des acteurs locaux, mais le contexte est celui d’une société bloquée, incapable d’innover et de se développer », explique Jacky Aignel, président du Réseau européen des petites communes rurales pour la neutralité énergétique. Imaginez que nous n’ayons plus de pétrole du jour au lendemain pour une raison imprévue, rien n’est vraiment envisagé en solution de rechange. Chez les responsables de notre destin collectif, on navigue à vue. Politique du zéro stock et du flux tendu ».

« La question que nous posons au final est celle-ci : quel pouvoir l’État est-il prêt à redonner aux territoires ruraux en vue de leur maîtrise énergétique, sachant que l’État est aussi derrière EDF ? Pour les acteurs locaux, c’est actuellement un peu l’histoire du pot de terre contre le pot de fer ».

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