Limiter le réchauffement climatique à 2°C : mission impossible ?

Selon le cabinet PwC qui conseille nombre de grandes entreprises mondialisées, l’objectif de limiter le réchauffement à 2°C parait « hautement irréaliste » car la réduction de l’intensité carbone de l’économie mondiale ne se fait pas assez vite. PwC recommande donc aux gouvernements de se préparer à un réchauffement de 4, voire de 6°C. S’agit-il de lâcher du lest pour éviter que la croissance ne soit remise en cause ?

Heat wave (Canicule). Crédit photo Gilderic Photography

La société PwC (PricewaterhouseCoopers, qui a réalisé un chiffre d’affaires mondial de 31,5  milliards $ en 2012 dans l’audit et le conseil)  a publié le 5 novembre 2012 une étude de prospective sur les défis du réchauffement climatique. Le rapport intitulé Low Carbon Economy Index s’attache essentiellement à comparer le rythme actuel de réduction de l’intensité carbone des principales économies mondiales à celui qu’il faudrait atteindre pour respecter l’objectif de +2°C entériné à Copenhague en 2009.

Intensité carbone

L’intensité carbone d’une économie est la quantité de CO2 (ou plutôt d’équivalent CO2 pour tenir compte des autres gaz à effet de serre) nécessaire pour produire une unité de PIB (Produit intérieur brut). Pour réduire l’intensité carbone, il faut par exemple faire des économies d’énergie, remplacer des énergies fossiles par des énergies renouvelables ou planter des arbres.

L’intensité carbone n’est qu’une des composantes de l’équation des émissions de GES (Gaz à effet de serre). L’autre composante est le PIB. Si dans le même temps que l’on réduit l’intensité carbone, le PIB croît d’autant, les efforts de  réduction des émissions de GES sont annihilés.

 Emissions de GES = Intensité carbone x PIB

 On pourra remarquer que les tenants du développement durable se focalisent sur l’intensité carbone, sans remettre véritablement en cause la croissance (du PIB), contrairement aux décroissants qui appellent à agir sur les deux termes de l’équation tout en contestant la pertinence du PIB comme indicateur phare.

L’analyse des émissions de GES a été affinée par un économiste japonais qui a proposé une équation qui porte son nom, l’équation de Kaya, qui fait également intervenir la croissance de la population.

Ne pas se voiler la face

« Si tous les citoyens européens faisaient autant de vélo que les danois, cela permettrait d’atteindre 26% de l’objectif européen de réduction de CO2 dans les transports ». Crédit photo European Cyclists’ Federation

Depuis 2000, l’intensité carbone baisse au rythme moyen de 0.8% par an au niveau mondial (0,7% en 2011), alors qu’il faudrait passer à un rythme 6 fois plus rapide (5,1% par an) si l’on veut cantonner le réchauffement à +2°C. Ce rythme n’ayant jamais été atteint au cours des 50 dernières années, les auteurs estiment irréaliste de penser qu’il pourra être atteint rapidement. Ils notent d’ailleurs que de nombreux experts en ont pris acte et étudient des scénarios beaucoup plus pessimistes, à +4, voire +6°C.

Leurs simulations montrent que si l’on n’accélère pas les efforts de réduction de l’intensité carbone de nos économies, le réchauffement de la planète risque d’excéder 6°C, un niveau jugé extrêmement dangereux par les climatologues.

Réduction annuelle moyenne de l’intensité carbone d’ici 2050 (%) Concentration de CO2 (ppm équivalent CO2) Augmentation de température
1,6 1200 +6°C
3,0 750 +4°C
4,5 550 +3°C
5,1 450 +2°C

De ce fait, ils appellent à « beaucoup plus d’ambition et d’urgence pour la politique climatique » et incitent gouvernements et acteurs économiques à se préparer aux conséquences du réchauffement. « Tout investissement dans des équipements ou des infrastructures destinés à durer doit prendre en compte les hypothèses les plus pessimistes, particulièrement dans les régions côtières et de faible altitude. Les secteurs dépendant de l’alimentation, de l’eau, de l’énergie ou des services procurés par les écosystèmes doivent examiner de près la résilience et la viabilité de leurs chaînes d’approvisionnement. Et les gouvernements doivent prévoir des actions plus radicales en faveur des communautés vulnérables ».

Le dilemme des gaz de schiste

Le rapport s’interroge également sur les gaz de schiste, se demandant si c’est un bien ou un mal. A leur actif, ils ont permis aux Etats-Unis de réduire leurs émissions de CO2 en abandonnant le charbon dans nombre de centrales électriques (avec quand même de sérieux doutes quant à leurs réels bénéfices en termes d’émission de GES).

A leur passif, les pollutions liées à leur extraction, mais aussi le fait que leur faible coût n’incite pas à investir dans des technologies nettement moins émettrices de CO2 comme le nucléaire et les énergies renouvelables ou dans la séquestration du CO2. La conversion au gaz de schiste peut certes donner un certain répit, mais ne sera en aucun cas suffisante pour faire face au défi climatique.

> Le fait qu’un cabinet conseil aussi puissant et renommé que PricewaterhouseCoopers tire le signal d’alarme climatique n’est pas anodin. Cela signifie que, bien que le risque climatique n’ait pas  constitué un enjeu des récentes élections présidentielles américaines, le monde économique ne remet plus en question la réalité du réchauffement ni ses conséquences probables.

On pourra toutefois remarquer qu’en évitant d’évoquer l’autre levier de réduction des GES, à savoir le PIB, sa modération voire sa réduction volontaire, le cabinet de conseil tente de protéger le mythe de la croissance sur lequel repose le système économique et politique dans son ensemble. Mais celui-ci pourra-t-il résister aux assauts d’un climat déréglé ?

On peut également s’étonner de la résignation de PwC à laisser filer la température, à l’encontre des conclusions du rapport Stern (2006) qui montrait sans ambigüité que le coût de l’inaction dépasserait largement le coût d’actions de prévention, même massives.

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3 commentaires pour cet article

  1. Le réchauffement climatique limité à 2°C, c’est comme le déficit budgétaire limité à 3% du PIB: une illusion bureaucratique et administrative basée sur des problèmes restreints, partiels, limités, et fragmentaires, pas une perception globale et intelligente de la réalité.

  2. Merci pour cette analyse pertinente du contenu de ce rapport et des motivations de PwC. Les clients de cette boite sont les leaders du Business As Usual, donc pas vraiment les mieux placés pour nous sortir de l’impasse où ils nous ont fourrés. Les gaz de schistes sont des ressources non conventionnelles, donc qu’on ne nous fasse pas croire que c’est économique à produire et sans impact sur l’environnement. La meilleure efficacité carbone du gaz par rapport au charbon est serieusement remise en cause car les fuites de gaz emettent du methane qui est 23 fois plus nocif que le CO2. Ces fuites sont sous estimées. Pour les gaz de schiste il y a aussi des fuites sauvages autour des puis car la fracturation libère des poches à des endroits imprévus (voyez gasland).
    Enfin concernant le 1er commentaire, il y a une tres grosse différence entre l’objectif budgétaire et 3% de déficit et celui de pas plus de 2°C d’augmentation de T°. Si le second n’est pas tenu, c’est la Nature qui va réagir selon des lois physiques que l’on connait mais qu’on ne maîtrise pas. C’est comme un docteur qui nous dit, pas plus de 2°C d’augmentation de T°, avec 39° de fièvre c’est encore vivable, mais à +4°C de T° à 41° de fièvre là c’est rapidement la mort. Ce n’est pas technocratique, c’est bêtement physique.

  3. Il ne faut pas se faire d’illusion: le discours écologique dominant relève de la foutaise totale et absolue car médias et politiques de tous bords considèrent toutes et tous que notre mode de vie industriel de consommation, d’exploitation et de destruction de masse est non négociable. Ils ignorent ainsi totalement les principales leçons de l’écologie politique comme la distinction entre technique démocratique et technique autoritaire. Voir par exemple https://www.partage-le.com/2019/02/democratie-photovoltaique-par-nicolas-casaux/