Ph. Foucras : « Médicaments antialzheimer : on n´est pas passé loin du retrait du marché ! »

La Haute autorité de santé (HAS) a récemment suspendu six recommandations médicales. En cause, l´indépendance de ses expertises. Le président du Formindep, Philippe Foucras, plaide en faveur d´une évaluation vraiment indépendante des médicaments.

Ouvertures.- Dans un récent communiqué, intitulé « Indépendance de l’expertise : la Haute autorité de santé tient ses engagements », la HAS a annoncé qu´elle retirait six « recommandations », en plus de celles concernant le diabète et la maladie d´Alzheimer déjà suspendues en mai. Comment analysez-vous la suspension de ces préconisations médicales ?

Photo : Miguel Medina

Philippe Foucras.- Nous étions invités sur le plateau de France Inter lorsque la HAS a annoncé qu´elle allait réexaminer toutes ses recommandations, nombre d´entre elles étant en effet douteuses pour cause de conflits d´intérêt majeurs chez les experts de l´institution sanitaire. Ce n´est pas un hasard si cette annonce a été faite juste après le retrait forcé de la recommandation sur le diabète, que nous réclamions depuis longtemps et que nous avons donc finalement obtenu par voie juridique.

Nous avions aussi déposé un recours concernant la maladie d´Alzheimer. La HAS, sentant que la décision n´allait pas lui être favorable, a retiré d´elle-même cette recommandation, en mai 2011. Puis six autres, en septembre, « de sa propre initiative ».

 

– Depuis, la HAS a produit une nouvelle recommandation sur la maladie d´Alzheimer. L´avez-vous comparée avec la précédente ?

– Ce travail est en cours. Mais l´important, c´est que cette recommandation a été réécrite après la réévaluation des médicaments antialzheimer en novembre par la Commission de la transparence. Le service médical rendu (SMR) par ces médicaments a été dégradé : d´important, il est devenu faible. La durée de la prescription a été réduite. Nous avons suivi de près les débats – et pour cause, l´un des experts sollicités, Philippe Nicot, est membre du Formindep.

Visionner les vidéos des travaux permet de mieux comprendre le problème des influences. Des conclusions scientifiques peuvent être radicalement différentes suivant qu´elles s´appuient sur les travaux d´experts indépendants ou au contraire travaillant avec l´industrie pharmaceutique. C´est d´autant plus marquant que les données de la science n´ont pas beaucoup évolué depuis la précédente recommandation Alzheimer (2007). A une voix près, la commission de la transparence votait le déremboursement de ces médicaments ! C´est dire si on n´est pas passé loin du retrait du marché !

– Pourquoi la Commission de transparence a maintenu l´usage de ces médicaments alors que les conclusions des experts indépendants sollicités pour réévaluer ces molécules jugeaient ces dernières inutiles, voire néfastes ?

– Les experts étaient indépendants, mais les membres de la commission, eux, n´étaient pas forcément à l´abri des influences. Si on a bien senti que le président Gilles Bouvenot penchait en faveur des conclusions des experts, n´oublions pas que l´industrie a mené une intense campagne médiatique, par la voix de ses leaders d´opinion, à coup de tribunes dans Le Monde par exemple. Comme si la prise en charge des patients ne se résumait qu´à la seule prise de médicaments… La pression est si forte sur cette question que voter pour le déremboursement aurait provoqué un séisme.  La Commission a fait de son mieux, mais il y avait trop d´enjeux.

– Quelles sont les conséquences des dysfonctionnements de l´expertise pour le déficit de la sécurité sociale ?

– La HAS a une responsabilité directe sur les soins délivrés aux malades et sur les remboursements. Si les médecins et les experts travaillaient à l´abri de toute influence, il n´y aurait certainement plus de « trou de la sécu »… Sur l´hypertension par exemple, on économiserait 300 millions d´euros par an si l´étude Allhat n´avait pas été étouffée (voir notre article  « Grande étude, petites conséquences »). L´UFC-Que choisir s´est aussi attaquée au problème des surprescriptions. Sur cinq classes de médicaments délivrées par la médecine de ville, un milliard d´euros aurait pu être économisé entre 2002 et 2006, soit “200 millions par an”. Ce ne sont que quelques exemples qui donnent une idée de l´ampleur des économies potentielles.

– A quand un corps d´experts publics indépendants ?

– C´est notre demande principale. Le Sénat, dans son rapport sur l´après-Médiator, reprenait une des propositions du Formindep : créer un corps d´Etat d´experts sanitaires publics de haut niveau et indépendants. Mais ce n´est toujours pas d´actualité puisque le texte a été supprimé à l´Assemblée nationale. Le gouvernement et le président de la République n´ont jamais appuyé cette idée. C´est toute la différence entre le discours officiel, qui assure qu´il suffit de déclarer ses intérêts pour que l´expertise soit valable, et la réalité, qui démontre le contraire.

Le problème est encore plus énorme au niveau européen. Nous travaillons sur cette question avec le collectif ALTER-EU qui dénonce le pantouflage (les « revolving doors »), ce jeu de chaises musicales qui permet à de hauts fonctionnaires d’être recrutés par les firmes pour devenir des lobbyistes à leur service, et à des lobbyistes des firmes de devenir de hauts fonctionnaires, décideurs des politiques publiques. Or, à côté du problème européen, les agences françaises font presque figure d´enfants de chœur.

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