Premier suicide reconnu comme accident du travail à l’ONF

Le 11 janvier 2011, l’Office national des forêts (ONF) a reconnu comme « imputable au service » le suicide d’un de ses agents. Une première pour cet établissement public dont beaucoup de salariés disent endurer une « souffrance éthique ». La direction, qui a dénombré 23 suicides de 2003 à 2010, dit avoir pris conscience du problème et engagé un ensemble de mesures pour tenter d’y faire face.


Pascal Viné, le nouveau directeur
général de l´ONF.

Le 3 décembre 2009, Jean-Paul Marchand s’est donné la mort avec son arme de service dans la cour du siège de l´unité territoriale (UT) de Poligny, dans le Jura, face à son véhicule de service, donc sur son lieu de travail et pendant ses horaires de travail. Son épouse a refusé toute présence de la hiérarchie de l´ONF aux obsèques, seuls les collègues proches de M. Marchand étant admis.

Jean-Paul Marchand était en effet “agent patrimonial” de l’ONF. Il avait la responsabilité des forêts communales et domaniales situées sur un territoire délimité appelé “triage” sur son UT.

Pascal Viné, directeur général de l’Office depuis sa nomination le 17 novembre 2010 en Conseil des ministres, a reconnu le 11 janvier 2011 que ce suicide pouvait être « reconnu comme accident de travail » par l’établissement : « Après avoir soigneusement étudié le dossier de M. Marchand, j’ai décidé que son suicide pouvait être “imputé au service”. L’ONF prendra donc en charge les coûts funéraires et médicaux le concernant. Son épouse bénéficiera d’un supplément à sa pension de réversion ».

« Cette reconnaissance n’équivaut pas à une reconnaissance de “responsabilité” », a ajouté le DG de l´ONF, en précisant que la veuve avait été déboutée à ce sujet dans le cadre d´une procédure judiciaire contre l´établissement public.

Le geste extrême de cet agent s’ajoute aux 23 suicides qui ont été comptabilisés par la direction entre 2003 et 2010. « On a donc environ trois suicides par an, ajoute M. Viné. C’est un chiffre difficile à commenter. Les causes sont souvent multifactorielles. C’est vrai qu’il y a eu dernièrement des évolutions importantes des métiers de nos agents et du fonctionnement de notre établissement. Aux tensions, au mal-être que ces évolutions peuvent provoquer, s’ajoutent des questions de sécurité, de risques professionnels, d’isolement parfois. C’est de tout cela qu’il nous faut tenir compte ».


Pascal Leclercq, responsable
syndical ONF-CGT.

« Souffrance éthique »

Ce « mal-être », Pascal Leclercq, secrétaire général de Union syndicale de l´ONF-CGT, le nomme « souffrance éthique » parce qu’il naît de la mutation de la « forêt-écosystème », où l´on se soucierait essentiellement de gérer la ressource de façon écologique et durable, en une « forêt-usine », qui serait de plus en plus soumise aux contraintes du marché du bois.

Une conversion difficile à supporter pour nombre d’agents de terrain, souvent membres, par ailleurs, d’associations naturalistes, et qui se voient imposer des « objectifs inatteignables et en contradiction flagrante avec le sens et l’éthique du travail » : « On a remplacé l’obligation légale du travail par une obligation de résultats, ce qui induit un management par le stress, voire parfois par la “terreur” ».

La disparition des “missions traditionnelles”

Ajoutez à cela les suppressions d’effectifs déconnectées des « missions et du contenu du travail, un management individualisé [qui provoque] une concurrence entre les services, l’explosion des collectifs de travail ainsi que la disparition des moments de convivialité, d’où isolement et intériorisation excessifs », et vous avez ce cocktail délétère que l’on retrouve aujourd’hui dans beaucoup de grandes institutions publiques sommées de trouver désormais chacune leurs équilibres de rentabilité, voire le « profit ».

« Alors que nos missions traditionnelles nous rapprochaient de tous les usagers de la forêts, privés comme publics, déplore M. Leclercq, nous devenons des VRP mobilisés au succès de la filière bois. Au détriment du lien social, de la fonction de conseil et d’appui et de la qualité du patrimoine forestier. »

Le directeur général se dit conscient de ces tensions et affirme qu’elles constituent pour lui un « dossier majeur » : « J’ai assisté au dernier Comité d’hygiène et de sécurité territorial (CHST), qui s´est tenu en tout début d´année. C’était la première fois que le directeur général de l’ONF s’y rendait. Je vais suivre personnellement ce dossier. J’ai lancé un audit externe sur les risques psychosociaux qui fera un point sur les réformes engagées et devra mettre en lumière ce qui marche et ce qui ne marche pas afin d’améliorer les choses, notamment en matière de management ».

« Un certain déficit d´écoute »

Pas question pour lui, cependant, de remettre en question le principe du management par objectifs : « En revanche, nous étudierons la façon dont ce principe est appliqué. Nous veillerons à ce que ces objectifs soient réalistes et à ce que leur évaluation soit claire et transparente. Certaines mesures ont certainement été mal mises en œuvre. Nous verrons au cas par cas. Nous définirons des priorités. Il faudra sans doute qu’il y ait plus de collectif, plus de liens entre les différentes structures (opérationnelles, bureaux d’études, actions auprès des collectivités locales). De même, il nous faudra mieux communiquer sur ce que nous faisons en matière de développement durable. L’ONF est quand même le premier gestionnaire d’espaces naturels en France. Il a une forte culture de conservation et de protection des 4,5 millions d’hectares dont il a la charge. Certes, il y a un enjeu de production, mais le souci de l’économie fait partie, avec celui de l’environnement et du social, des trois piliers du développement durable. Mais peut-être souffrons-nous aussi d’un certain déficit d’écoute qu’il faudra combler ».

M. Viné a démarré ce mois de février une mise à plat de tous ces points avec la dizaine d’organisations syndicales et le réseau d’assistantes sociales présents dans l’Office national. Tout doit pouvoir être prêt avant la signature, le 31 juillet de cette année, du contrat d’objectifs avec l’Etat et, peut-être, avec les communes forestières.

>> Un communiqué de la CGT-Forêt après le suicide de J.-P. Marchand.

>> Une pétition intitulée « L’ONF ! Arrêter le massacre de la forêt de Fontainebleau et des autres forêts en France – fait lié aux suicides de ses employés » a été mise en ligne.

>> Une pétition intitulée « L’ONF ! Arrêter le massacre de la foret de Fontainebleau et des autres forêts en France – fait liés aux suicides de ses employés » a été mise en ligne.

 

http://www.lapetition.be/en-ligne/L-onf-arreter-le-massacre-de-la-foret-de-fontainebleau-et-des-autres-forets-en-france-fait-lies-aux-suicides-de-ses-employes-8354.html

onf-arreter-le-massacre-de-la-foret-de-fontainebleau-et-des-autres-forets-en-france-fait-lies-aux-suicides-de-ses-employes

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