Un aumônier pointe les contradictions entre obéissance militaire et respect des valeurs

L´époque est à la transparence : le site armees.com (site non institutionnel) publie les critiques étonnantes d’un aumônier catholique. Dans son rapport de mission, ce prêtre reproche à la hiérarchie militaire de demander aux soldats de se « “déculotter”  face aux Afghans et à l’Islam ».


Début du rapport de l´aumônier français sur sa mission en Afghanistan.
Cliquer sur l´image pour télécharger le rapport en son entier.

« Je souhaite exposer une somme de dysfonctionnements importants qui ont conduit à des dérives graves », écrit un aumônier, le père Benoît Jullien de Pommerol, détaché au 2°REP (régiment étranger parachutiste basé à Calvi en Corse).  Ces mots ouvrent son « rapport de fin de mission », mission effectuée du 11 janvier au 16 juillet 2010.


Le rôle du prêtre consistait à être l’aumônier des forces françaises sur plusieurs bases : le district de la Fob (forward operational base) Tora, les Cop (combat out post) Hutnik, Rocco, 42, 51 et différents postes où se trouvaient parfois moins d’une dizaine de Français travaillant avec les Afghans.

Dans ce texte indigné, l’homme d’Eglise accuse tout simplement la hiérarchie de commander de faire « profil bas » devant l’Islam : « Il y a en Afghanistan une volonté de l’armée française de créer un état d’esprit tout à fait déférent et bienveillant face à l’islam. Une crainte presque servile de déplaire à l’islam. Les informations, consignes, et règles de vies qui nous sont données sont parsemées de détails visant à surtout respecter la république islamique d’Afghanistan dans ses coutumes et ses lois. Ces consignes ne seraient jamais données en France car elles choqueraient les mentalités. Mais sous le prétexte que “ils sont chez eux”, nous assistions à une démission de l’intelligence, une trahison de l’esprit, un bannissement effrayant de la conscience ».

« Ils sont chez eux ! »

Certains faits ont particulièrement scandalisé le religieux : « Me désolant, lors d’une patrouille, de voir une fillette de 10 ans accompagnée de son mari qui devait en avoir 50, j’eus comme réponse le fameux argument : “Ils sont chez eux”. “Et la pauvre gamine…”, répliquais-je… “Ils sont chez eux”. Or jamais cette personne ne m’aurait répondu cela en “temps normal”. Mais, l’esprit embourbé dans l’obligation impérative de respecter la république islamique d’Afghanistan, ses coutumes et ses lois, elle s’interdisait toute critique et toute opinion… et tant pis pour la gamine donc… Il est évident que cette personne était choquée de voir cela, mais, la conscience reformatée pour les 6 mois de mission, elle ne s’autorisait pas un jugement sur ce que le bon sens commun appelle d’ailleurs de la pédophilie. »

Autre scène difficilement supportable : « Ce fut une mère de famille, à terre, massacrée à coup de pieds par son mari devant leurs enfants, (les petits garçons seulement), qui poussaient des cris de joie à chaque fois que le coup portait à la tête. Evoquant le soir à table cet épisode qui avait marqué plus d’un soldat assistant à la scène, toujours cette même réponse, cette fois un peu désabusée : “Ho écoutez Padre… Ils sont chez eux…” Ces comportements, qui en France seraient qualifiés de “non-assistance à personne en danger”, sont le résultat de ces fameuses consignes (…) ».

Deux poids, deux mesures morales

Le rédacteur de l’article qui publie le texte de l’aumônier, Louis Pinou, s’interroge : « Le problème dans cette affaire, ce n’est pas la transgression du devoir de réserve ou plus prosaïquement celui de fermer sa gueule mais bien de déterminer un seuil de résistance aux ordres : à partir de quand notre système de valeurs est-il en contradiction avec les exigences du commandement ? Sachant que tout militaire doit s’interroger sur la légalité de tout ordre exécuté, peut-il aussi faire marcher son cerveau par une autre interrogation : celle de la congruence entre ce qui lui est ordonné et ce qu’il fait ? Il est clair que la différence entre les deux données est aux antipodes l’une de l’autre, dans le cas global qui nous préoccupe, c’est d’une consigne dont il s’agit : celle de ne pas froisser l’Islam et d’adapter nos attitudes, fussent-elles méprisables … à nos yeux ».

Et il conclut : « Pour ne pas déplaire, nos soldats peuvent sombrer dans une servilité dont les psychiatres parviendront ou ne parviendront pas à réparer les effets pervers, les cerveaux incapables de connecter ce qu’ils observent à leurs acquis moraux et valeurs républicaines aux ordres légaux reçus. Ces “deux poids deux mesures” morales à des milliers de kilomètres de distance peuvent déstabiliser gravement le psychisme de nos soldats ».

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2 commentaires pour cet article

  1. Avez-vous remarqué comme l´Armée et l´Eglise vont bien ensemble ? Souvent à la télé, lors d´obsèques “nationales”, le drapeau, les prêtres, et les militaires sont tous ensemble réunis avec politiciens. Tous unis dans la symbolisation, le spectacle et l´”autoricratie”. Est-ce que les prêtres invitent les militaires à ne pas tuer leurs semblables, qu´ils soient afghans ou peu importe leur nationalité ? Est-ce que dans les dîners mondains, les leaders religieux et les politiciens évoquent la paix dans le monde ? Non, ils sont tous affairés par leurs petites organisations, leurs petits intérêts institutionnels ou de groupe, leurs appartenances, etc. Les religieux modernes disent: “c´est normal d´être en guerre !” Ils sont aussi nationalistes que les politiciens dirigeant les gouvernements… Les nations et leurs petits intérêts économiques compétitifs et fragmentés sont responsables des guerres, tout comme les religions sont responsables des conflits inter-religieux qui aboutissent également aux guerres.

  2. Le rôle des aumôniers est important dans l´armée. Ce prêtre dénonce l´inhumanité des comportements militaires de notre propre armée, c´est tout à son honneur. Moi-même, pendant mon service militaire de 10 mois en France, j´ai eu à dénoncer le comportement sadique d´un sous-officier vis-à-vis des militaires du rang. Je l´ai fait comme chrétien et pour la dignité humaine. Personne n´osait le dénoncer, il fallait que ce soit un chrétien convaincu qui le fasse.