Reportage

Le tabac en Amazonie n’est pas une drogue mais une médecine

Dans le débat sur la dépénalisation du cannabis, on oublie de rappeler qu’il est souvent fumé avec du tabac et que le tabac est une drogue bien plus addictive. Malgré tout, si on écoute certains peuples premiers d'Amazonie, connectés aux plantes, le tabac est une plante médicinale majeure capable de soigner, notamment, les addictions ! Mais tout est question de bon usage... Reportage en Amazonie.

Bienvenue au marché d’Iquitos, à Bélen, passage des herboristes : ici, au cœur de l’Amazonie péruvienne, au milieu des étals de poissons et de manioc, on trouve toutes sortes de potions « magiques » et de plantes médicinales, dont certaines sont psychoactives. La feuille de coca, la liane ayahuasca, le cactus San Pedro, etc… Des  végétaux qui poussent naturellement au Pérou, réglementés sur le plan international comme des drogues et proscrits à l’exportation.

Iquitos (Pérou), au coeur de la forêt amazonienne

Iquitos (Pérou), au coeur de la forêt amazonienne

Marché de Bélen, le quartier pauvre d'Iquitos, 400 000 habitants. Photo Welovefuture

Marché de Bélen, le quartier pauvre d’Iquitos, 400 000 habitants. Photo WE LOVE FUTURE

Un peu plus loin, des étals entiers sont réservés au fameux mapacho (nicotiana rustica), tabac brun d’Amazonie, très chargé en  nicotine :  sous les yeux des chalands, des femmes roulent des cigarettes artisanales de toutes les tailles. Certaines sont même mélangées avec un peu de toey, une variété de datura, plante hallucinogène et dangereuse, que seuls les bons chamans savent préparer. On fume ça de manière très modérée ou dans le cadre d’un rituel. Pour toutes ces plantes, la culture et la vente sont légales dans le cadre d’« un usage traditionnel licite ». Les peuples indigènes bénéficient en effet d’une souplesse au niveau de la convention antidrogue de 1988 (notamment grâce à l’article 14, cf p. 250) .

Une plante maîtresse

Le tabac jouit en Amazonie d’une aura plus que positive. C’est une « plante maîtresse », une véritable panacée. Les indigènes de l’Amérique du Sud l’utilisent par voie gastro-intestinale, respiratoire ou percutanée. Le tabac peut être mâché, pris en jus ou en sirop. En pâte, en suppositoires ou réduit en poudre, c’est un remède traditionnel.

Ce tabac n’a donc rien à voir avec les paquets de cigarettes venus d’occident, estampillés « Fumer tue ». Il s’agit ici d’une plante locale, communément utilisée depuis des millénaires pour toutes sortes d’usages. Il ne viendrait pas à l’idée des guérisseurs traditionnels d’utiliser dans leurs pratiques les cigarettes des « gringos » : « C’est trop toxique », explique Ernesto Garcia Torres, « curandero tabaquero », à Iquitos. Il détaille à la caméra de We Love Future les multiples vertus du tabac traditionnel et le bon usage qu’il faut en faire.

En résumé, ce qu’il faut retenir de l’usage des « plantes psychoactives » chez les peuples premiers, c’est qu’il n’est pas à visée récréative, comme en occident.  L’instruction, l’éducation et l’information passées correctement de génération en génération permet un bon usage de ces plantes chez les indigènes. Voici quelques clés nous invitant à reconsidérer restaurer notre rapport aux cadeaux de mère Nature :

  1. Cigarettes de tabac mapacho. Photo Asociacion Icaro

    Rouleaux de tabac mapacho. Photo Asociacion Icaro

    La transformation pour l’administration, (forme « galénique »,  en médecine) doit rester artisanale : les feuilles de tabac sont simplement roulées pour être fumées. Autre exemple, les feuilles de coca, directement mâchées contre le mal des montagnes, bues en maté, ou réduites en farine pour la cuisine. La cocaïne naturelle présente dans les feuilles n’est pas la même que celle de la poudre blanche raffinée par un processus chimique. Elle agit en synergie avec les autres composants. Ainsi, on ingère un « totum » et non une partie isolée de la plante. Dans ces conditions, les indigènes ne tombent pas dans le tabagisme ni dans la toxicomanie.

  2. Il y a peu de risque de surdosage dans l’emploi traditionnel. Pour se soigner, on s’en remet au savoir millénaire du guérisseur qui maîtrise la posologie à la feuille près. Dans le cas de la coca, il n’y a pas d’effets toxiques, même si elle est mâchée quotidiennement. Au contraire, c’est un alicament primordial, riche en fer, en calcium, en vitamine A, en protéines. C’est pourquoi, en 2013, l’homme le plus âgé au monde est un mâcheur de coca de 123 ans, vivant à 4 000 mètres d’altitude, en Bolivie… 
  3. Le tabac en extrait liquide est utilisé dans les rituels du peuple murui en même temps que la coca. Ici, Ruben Medina Robledo, président de l'association indigène d'Iquitos, Curuinsi. Photo WLF

    Le tabac en extrait liquide est utilisé dans les rituels du peuple murui en même temps que la coca. Ici, Ruben Medina Robledo, président de l’association indigène d’Iquitos, Curuinsi. Photo WLF

    L’intention lors de l’emploi de ces drogues est médicinale ou culturelle. On les emploie aussi dans un but spirituel. Les plantes sont des « esprits » respectés. « Nous sommes les enfants du tabac et de la coca. Elles nous ont été données par le créateur, pour que nous cherchions par nous-même la sagesse », explique le murui Ruben Medina Robledo, président de l’association indigène Curuinsi, à Iquitos.  « C’est grâce au rituel de la coca que j’ai évité les écueils du mode de vie occidental qu’on voit à la télé », raconte de son côté Ferny, le frère de Ruben (voir la vidéo).

  4. L’éducation aux lois de la nature est culturellement inscrite dans la vie de la communauté. La connaissance intime des plantes est transmise de génération en génération. Ainsi, la répression contre les mauvais usages n’a pas lieu d’être, la posologie étant maîtrisée par tous, pour un usage quotidien bénéfique : chacun sait qu’entre le poison et le remède, c’est principalement une affaire de dose.

Petite histoire du tabac en France

Introduit en Europe par Christophe Colomb, son emploi médicinal a d’abord été apprécié et reconnu. Au milieu du XVIe siècle, le médecin personnel de Philippe II d’Espagne le déclare « médicament universel ». En France aussi, sous Catherine de Médicis, le tabac est délivré par les apothicaires sous le nom de catherinaire (voir l’histoire de la culture du tabac sur Wikipédia). Mais cette plante sera très vite l’objet de passions et de convoitises en haut lieu, bien loin de la culture paisible qu’en font les indigènes.

En France, la culture du tabac est prohibée dès 1719, avec des condamnations qui peuvent aller jusqu’à la peine de mort, car elle est réservée à la Compagnie des Indes occidentales. C’est déjà une affaire de gros sous. La culture, la fabrication et la vente sont ensuite libéralisées par l’Assemblée nationale en 1791 mais, en 1811, Napoléon rétablit un monopole d’État. En 1926, ce sont 10 milliards de cigarettes vendues par an dans l’hexagone. Le service d’exploitation industrielle des tabacs (devenu le SEITA en 1935), récupère alors le monopole. En 1938, la consommation a doublé, avec 20 milliards de cigarettes vendues en France. En 1944, les GI américains venus libérer l’Europe apportent avec eux leurs cigarettes blondes. Les marques américaines étendent leur marché aux femmes et à toutes les classes de la société et augmentent le pouvoir addictif du tabac en rendant la fumée plus facilement inhalable.

 

>> Voir aussi sur hyperdebat : Faut-il dépénaliser le cannabis ?, en partenariat avec Le choc des idées. Tous les arguments, pour aller au fond des choses.

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