Les agrocarburants sont arrivés trop tôt ! (II)

Les agrocarburants se sont installés dans le paysage agricole et industriel. Après avoir pris une place importante au Brésil, ils progressent aux Etats-Unis et sont poussés en avant par l’Union européenne.  Le point commun de ces politiques est qu’elles ont été lancées sans véritable stratégie ni étude d’impact global. Autrement, on aurait sans doute attendu les biocarburants de 2e ou 3e génération – dont l’automobile du futur ne pourra se passer – et, à court terme, privilégié des utilisations plus efficaces de la biomasse.

Il y a trois raisons de faire des biocarburants :

  • réduire la dépendance énergétique
  • fournir de nouveaux débouchés à l’agriculture
  • réduire les émissions de CO2

En France, les agrocarburants ont d’abord été vus comme un moyen d’utiliser les jachères imposées par l’Union européenne pour enrayer la surproduction agricole tout en jetant les bases d’une filière prometteuse. La fin annoncée du pétrole et son fort handicap CO2 semblaient en effet plaider en leur faveur.

Mais c’était compter sans :

  • la crise alimentaire de 2008 qui a subitement révélé que les agrocarburants allaient ôter le pain de la bouche de centaines de millions d’habitants des pays du Sud ;
  • la prise de conscience que la mise en culture des agrocarburants allait souvent se traduire au bout du compte par une déforestation très coûteuse en CO2 ;
  • la réalité de rendements énergétiques et donc de bilans CO2 moins attrayants que sur le papier.

Un nouveau pavé dans la mare

Récemment, une étude américaine  a porté un nouveau coup aux agrocarburants en montrant qu’il valait mieux utiliser la biomasse pour faire de l’électricité plutôt que des carburants. Quelque soient les scénarios étudiés, ses auteurs ont calculé [1] que si l’électricité produite était utilisée dans une voiture électrique, celle-ci pourrait faire bien plus de km qu’une voiture alimentée avec l’éthanol produit avec la même biomasse (+81% en moyenne). La filière électrique est également bien plus favorable en termes de CO2.

Mais ce que ne dit pas cette étude, c’est que la biomasse peut être utilisée de manière encore plus efficiente que pour faire rouler des voitures électriques :

  • le bois peut être utilisé comme matériau de construction, avec le double bénéfice de prolonger le stockage du carbone et d’éviter les émissions de CO2 liées à la fabrication du ciment.
  • le bois et les résidus végétaux peuvent être utilisés directement pour le chauffage. Si le chauffage au bois est assez répandu, qui sait qu’on peut se chauffer au blé ?
biocarburant agrocarburant
Crédit photo : Rimager

Certes, mais alors, comment fait-on rouler nos autos sans émettre de CO2 ? Pour répondre à la question, prenons un peu de recul.

La voiture du futur sera « hybride rechargeable »

Il est difficile de prédire combien d’années il faudra pour y parvenir, mais il est certain que la voiture du futur sera verte : zéro CO2, zéro polluants, silencieuse.
Un certain nombre de solutions sont en lice, mais le rapport Syrota (Octobre 2008) nous indique que « le véhicule hybride rechargeable, qui cumule les avantages du thermique et de l’électricité sans en avoir les inconvénients les plus importants, a toutes les chances d’être le véhicule de l’avenir ». Ce sera en fait un véhicule électrique, dont l’autonomie sera augmentée par un moteur thermique et un réservoir de carburant. Ce carburant sera forcément liquide, pour laisser le plus de place possible aux batteries, ce qui exclut les gaz – gaz naturel, biogaz, hydrogène…

Mais avant d’en arriver là, on devrait assister à un double mouvement :

  • d’un côté, on devrait voir la consommation des véhicules à essence et diesel divisée par deux, essentiellement par la réduction de la puissance et du poids des voitures. Relégués aux oubliettes les 4×4 et les grosses berlines allemandes, par le bonus-malus,  la directive européenne sur les émissions de CO2, la taxe carbone…
  • de l’autre, « l’électricité sera progressivement introduite dans la motorisation, de plus en plus hybridée ».

Donc, à moins d’une percée technologique sur les batteries, permettant d’envisager la voiture électrique pour les grands trajets (autonomie de plusieurs centaines de km, recharge rapide), il apparaît que les carburants liquides resteront longtemps indispensables, mais en quantité bien moindre qu’actuellement. Et, réchauffement climatique oblige, ces carburants devront progressivement s’affranchir de leur origine pétrolière ou fossile [2].

En résumé, en Europe, on va avoir de moins en moins besoin de carburants, d’une part parce que la consommation des voitures classiques va être divisée par deux, d’autre part parce que les voitures électriques vont gagner de plus en plus de terrain pour les petits trajets. Mais ce carburant devra être liquide et ne pas émettre de CO2.

Utiliser la biomasse autrement

Les biocarburants de première génération ne répondent pas à ce cahier des charges, car leur gain en termes de CO2 est loin d’être suffisant. Il pourrait même être nul, voire négatif, si on prend en compte le changement dans l’utilisation des terres qu’ils induisent (voir la polémique entourant le rapport de l’Ademe sur l’analyse du cycle de vie (ACV) des biocarburants de première génération). On en est donc actuellement réduits à parier sur la deuxième, voire la troisième génération.

En attendant, la biomasse serait utilisée beaucoup plus efficacement en substitution d’autres énergies fossiles que l’essence ou le gazole :

  • le fioul domestique peut céder la place au bois pour le chauffage et être utilisé comme  gazole, dont la France est actuellement obligée d’importer d’importantes quantités [3].
  • le gaz naturel peut être remplacé par du biogaz dans les centrales électriques, avec l’avantage de pouvoir restituer aux sols le compost issu de la fermentation anaérobie [4]
  • en remplaçant le béton dans la construction par du bois, on évite de brûler du pétrole ou du charbon dans les cimenteries.

Même si on peut regretter que l’automobile ne soit pas le bon débouché pour la biomasse, il ne faut pas perdre de vue que d’autres voies sont activement développées pour réduire son empreinte carbone : amélioration de l’efficacité énergétique et voiture électrique.

>> Voir aussi dans Ouvertures : Biocarburants contre agrocarburants, Les agrocarburants sont là


[1] Ils ont procédé à une analyse du cycle de vie, prenant en compte toutes les étapes, y compris la fabrication des voitures. Pour la production d’électricité, ils n’ont pas retenu l’hypothèse de la cogénération qui pourrait encore accroître l’avantage de la filière électrique en valorisant la chaleur produite dans la centrale.

[2] Bien que l’on sache fabriquer des carburants liquides à partir de gaz ou de charbon, ces voies sont condamnées par les fortes émissions de CO2 qu’elles supposent.

[3] La France (et plus généralement l’Europe) est excédentaire en essence et déficitaire en gazole. Le gazole et le fioul domestique étant, à quelques additifs près, des produits identiques, toute réduction de la consommation de fioul permet de réduire notre déficit en gazole.

[4] Le prélèvement de biomasse appauvrit les sols et nécessite l’apport d’engrais. En restituant le compost issu de la génération de biogaz, on réduit la perte d’humus.

Pour aller plus loin :

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