Santé et transparence : Obama montre l’exemple à la France

La loi de réforme du système de santé portée par Barack Obama et promulguée le 21 mars dernier inclut une première mondiale en matière d’information sur les conflits d’intérêts des professionnels de santé. Une volonté de transparence bien loin des pratiques et même des textes français…

À partir de 2013, toute somme ou tout cadeau dépassant 10 dollars donné par les laboratoires pharmaceutiques à des médecins et à des institutions médicales (de formation et/ou de soins) devra être déclaré sur un site web consultable par tous. L’obligation de déclaration concernera aussi d’autres formes de conflits d’intérêts intervenant dans la pratique des professionnels de santé et à plusieurs niveaux du circuit du médicament et des soins.

Les sommes investies par les groupes pharmaceutiques sont en effet colossales et influent sur les décisions des médecins, des hommes politiques et des médias. Ainsi, leurs dépenses, simplement pour influencer le Congrès et les agences publiques des États-Unis, se sont élevées à 1,3 milliard d’euros entre 2006 et 2009.

La nouvelle loi amende certaines dispositions de la Sécurité sociale américaine. Elle fait partie des « sunshine laws » (lois de transparence), appliquées dans divers domaines, mais pas encore dans la santé au niveau fédéral.

L´amendement s’appelle “The Physician Payments Sunshine Act” (avec une version “Physician Payments Sunshine Provisions”) et veut faire la lumière (“sunshine”, le meilleur désinfectant qui soit, selon  Charles Grassley, le sénateur à l´origine du texte) sur les liens financiers entre médecins et firmes.

Déjà une réalité dans certains États américains, les Physician Payment Sunshine Provisions ont donc aujourd´hui une dimension fédérale, ce qui facilitera le combat contre les dérives du lobby pharmaceutique ainsi que l’adoption de politiques plus globales de restriction des conflits d’intérêts.

Ces projets sont soutenus par une « coalition nationale pour une prescription rationnelle » qui réunit plusieurs associations médicales et de consommateurs. Elles ont lancé une pétition publique : « Shine a Light on Drug Industry Influence » (Faisons la lumière sur l’influence de l’industrie pharmaceutique).


Photo : novopress.info

En France, les dépenses publicitaires des industries pharmaceutiques s’élevaient à 2,8 milliards d’euros en 2004, chiffres « largement sous-estimés », selon un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas).

Mais le principal problème, est la grande opacité dans laquelle ces sommes sont dépensées. En effet, souligne Elena Pasca, philosophe, membre de la Fondation des sciences citoyennes et animatrice du blog pharmacritique, le lobby pharmaceutique « dispose non seulement d’appuis intéressés parmi les décideurs politico-sanitaires, mais aussi d’un réseau tentaculaire d’influence sur les professionnels de santé, dont il biaise à ce point la pratique qu’on parle désormais de “ghost management” : une gestion “fantôme”, invisible mais omniprésente de tout ce qui concerne le médicament, la formation et l’information, sans oublier de l’influence sur les politiques à travers des expertises biaisées par les conflits d’intérêts des experts et des institutions ».

Ainsi, en France, les laboratoires dépensent 25 000 € par an et par médecin pour vanter leurs produits praticiens (Igas) ; 98% de la formation médicale continue est financée par l’industrie (rapport Sénat 2005) ; 95% des médecins libéraux reçoivent toujours les visiteurs médicaux ; la presse médicale est fortement financée par la publicité des industries pharmaceutiques.

« Ces conflits d’intérêts omniprésents verrouillent le système, s’emporte Elena Pasca, puisque les mêmes experts liés à l’industrie en occupent toutes les articulations stratégiques : media grand public, hôpitaux, presse spécialisée, agences de régulation, formation médicale initiale et continue, sociétés savantes, comités scientifiques des associations de patients. Ils s’y comportent en “dealers d’opinion”, en véritables VRP des laboratoires qui les paient. L’absence d’évaluation sérieuse et de procédures rigoureuses d’AMM [autorisations de mise sur le marché] met en permanence en danger la santé des citoyens, de même que l’opacité sur les liens des experts avec les lobbies, et la désinformation sur l’impact et les conséquences réels, au quotidien, du lobbying et des conflits d’intérêts sur notre santé à tous ».

La transparence ne suffit pas

Pour la Fondation Sciences Citoyennes, il y a urgence à suivre l’exemple des Etats-Unis : « Les citoyens doivent comprendre que le droit à l’information – donc à une décision médicale en connaissance de cause – reste purement théorique en France et en Europe, où les firmes pharmaceutiques n’ont pratiquement aucune contrainte légale digne de ce nom : ni de transparence sur les liens d’intérêts avec les experts et les politiques, ni d’information complète sur leurs produits. Il n’existe aucun dispositif de vérification rigoureuse des données industrielles ; aucune obligation d’enregistrement des essais cliniques et de publication systématique de leurs résultats, même défavorables ; aucun encadrement rigoureux de la publicité plus ou moins directe et des autres techniques de marketing contribuant à médicaliser à outrance le quotidien, afin de maximiser les profits. De plus, la France et l’Europe ne disposent à ce jour d’aucun qualificatif juridique permettant de qualifier puis de réprimer les dérapages des firmes, ni pour la désinformation sur des produits défectueux, ni même en cas de pression sur les experts et autres décideurs politico-sanitaires. Or pas de moyen de répression veut dire pas de moyen de dissuasion, et ce malgré l’histoire bien chargée de l’industrie pharmaceutique »…

Mais pour la Fondation, la transparence ne suffit pas. Elle appelle les citoyens à se mobiliser pour obtenir des lois qui visent « l’élimination » des conflits d’intérêts, au nom de la protection des usagers et du droit (bien compris) à la santé et à l’information.

Lobbying, conflits d’intérêt, expertise :
quels pouvoirs, quels contrepouvoirs ?

Le 19 janvier 2011 de 14 h à 18 h 30 au Sénat

Quels sont les jeux d’acteurs et leur poids respectif – entreprises, lobbyistes, élu-es, décideurs et cabinets ministériels, chercheurs, enseignement et formation des élites, syndicats, organisations de la société civile, journalistes et medias dépendants et indépendants ?

Quels alternatives et contre-pouvoirs pour rééquilibrer la démocratie : expertise scientifique indépendante, expertise citoyenne, journalisme d’investigation, associations…

Le rôle de l’État est-il toujours de garantir l’intérêt général et le pluralisme démocratique ? Faut-il renforcer les législations ? (lanceurs d’alerte, poursuite baillons, lobbying)…

Parmi les intervenants : Roland Desbordes, président de la Criirad (Commission de recherche et d’information indépendante sur la radioactivité) ; Gus Massiah, membre du conseil international des Forums sociaux mondiaux ; Corinne Lepage, députée européenne ; Michèle Rivasi, députée européenne ; Yiorgos Wassalos, Alter-EU, chercheur…

Ce séminaire est le dernier d’une trilogie à l’initiative d’organisations membres du réseau citoyen Etal (pour l’Encadrement et la transparence des activités de lobbying)

>> Renseignements : adequations.org

>> Haut-fonctionnaire et ex-membre du gouvernement, l’ancien président d’Emmaüs Martin Hirsch, six mois après sa sortie du gouvernement, revient avec un essai, Pour en finir avec les conflits d’intérêts (Stock), une maladie bien française à le lire. Il y fait notamment une série de recommandations :
– déclarations d’intérêts obligatoires (sources de revenus, activités des conjoints et des enfants et «la participation présente ou passée à un organe de direction d´un organisme» lié aux responsabilités en cours) ;
– enseignement des conflits d’intérêts à l’ENA et les écoles de la fonction publique ;
– nomination d’un commissaire aux conflits d’intérêts ;
– interdiction de certains cumuls pour les parlementaires ;
– disposition anti-cadeaux pour les responsables publics ;
– code éthique des conflits d’intérêts.

>> Une commission pour réfléchir sur les conflits d’intérêt.- La « commission de réflexion pour la prévention des conflits d´intérêts dans la vie publique », annoncée par Nicolas Sarkozy en juillet, en pleine affaire Woerth-Bettencourt, a été mise en place par un décret présenté le 8 septembre en conseil des ministres. Elle devra rendre ses conclusions avant le 31 décembre.
Jugeant cette démarche peu crédible, l’association Anticor appelle « les citoyens et les élus honnêtes à soutenir la création d’un conseil de surveillance citoyenne (composée de personnalités qualifiées comme par exemple des magistrats ou fonctionnaires en retraite, associations, citoyens tirés au sort, etc.) destiné à prévenir et sanctionner ces conflits d’intérêts pour restaurer l’éthique de la fonction politique et publique ».

Pour aller plus loin :

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