Alimentation

Etats-Unis : la bataille du lait cru prend de l’ampleur

INTERVIEW Des descentes armées et des arrestations de fermiers producteurs de lait cru par les autorités témoignent du combat difficile des petits agriculteurs pour leur survie aux États-Unis. Toutefois, la mobilisation citoyenne s´organise pour sauver le lait cru et... la santé des consommateurs. Interview d´Anji Sandaje, une mère de famille qui anime la page Facebook « RawMilk » (« lait cru »), créée en 2008 et forte de 17 000 fans.

Alors que l´Union européenne a su conserver la légalité du lait cru, notamment grâce aux pressions de la France (le pays aux 250 variétés de fromage!), il en va tout autrement aux États-Unis. Depuis la découverte de la pasteurisation, ce produit naturel et vivant est victime d´une réputation d´insalubrité. Sa commercialisation a été interdite dans de nombreux États.

Fait grave, de nombreux cas de répression à l´encontre des producteurs de lait cru sont rapportés par les associations citoyennes. Parmi les récentes affaires emblématiques, celles de James Stewart, responsable de la coopérative de produits fermiers Rawesome foods, plusieurs fois arrêté dans des conditions musclées ces dernières années, et même torturé pendant plusieurs jours selon le site de référence Natural News en mars dernier Une information basée sur le témoignage du principal intéressé, difficile à recouper.

Ouvertures revient sur la « bataille du lait cru » qui se déroule actuellement au pays de l´oncle Sam, avec une interview de Anji Sandaje, qui anime la page Raw Milk sur Facebook.

Ouvertures. Sorti en 2011, le documentaire engagé Farmageddon, de Kristin Canty, relate le harcèlement dont sont victimes quelques producteurs de lait cru américains, et par extension les coopératives associatives qu´ils fournissent, parfois fermées par les autorités sanitaires. Le contexte législatif aux États-Unis sur le lait cru est-il à la répression?

anji sandaje

Anji Sandaje, animatrice et créatrice de la page Raw Milk (lait cru) sur Facebook.

Anji Sandaje. Chaque État possède ses propres lois sur le lait cru. Certaines sont plus restrictives que d´autres. L´association Farm-to-consumer a dressé une carte où l´on voit en rouge les États qui ont rendu illégal son commerce. Ces États sont souvent le fief de grosses industries laitières. Par exemple, le Wisconsin est l´un des plus gros producteurs industriels de produits laitiers aux États-Unis. Il faut aussi préciser que le pays se classe au second rang mondial pour la production laitière, ceci explique selon moi, la position de l´USDA (le département américain de l´agriculture). Ce dernier a déclaré qu´il souhaitait éradiquer la consommation de lait cru aux États-Unis d´ici 2020.

Farmageddon expose la manière avec laquelle les services sanitaires et policiers opèrent. Descentes impromptues, responsables d´établissements menottés, interrogatoires et saisies sous la menace d´une arme. Certains agriculteurs produisant du lait cru sont simplement accusés de fraude financière ou de défaut de licence, mais ils sont visiblement traités comme des criminels. « Welcome in America » ?

C´est quelque chose de choquant pour nous aussi Américains. Mais beaucoup de personnes n´y croient toujours pas, ils pensent à des canulars. Ce type de raids durent maintenant depuis plusieurs années. J´en ai pris connaissance en 2008, mais d´autres affaires ont eu lieu auparavant comme le montre cette chronologie mise en ligne sur le site Natural News.
Au départ, quand cela a commencé, les gens n´en entendaient pas parler. Toutefois, le gouvernement américain devient de plus en plus militant dans sa mise en application des lois de sécurité sanitaire, et le public commence à y prêter davantage attention.

Des contrôles manu militari dans les fermes américaines productrices de lait cru (source: Farmageddon, documentaire de Kristin Canty) : “M. Nolt, reculez, svp, et laissez-nous faire notre travail.”

Est-ce un phénomène marginal ou courant ?

Ces raids se produisent dans à peu près tous les États. Et pas seulement à propos du lait cru. Par exemple, il y a un an, au Nevada, des agents officiels ont investi un repas à la ferme destiné à lever des fonds et fait jeter tous les plats avant de verser de l´eau de Javel dessus.
Egalement, il y a quelques années en Pennsylvanie, une église locale s´est vue confisquer toutes les tartes maison lors d´une vente pour collecter des fonds. On ne compte plus les stands de citronnade tenus par les enfants qui ont été démontés par les officiels en santé publique pour non présentation d´une licence de vente (la vente de citronnade, appelée « lemonade » aux Etats-Unis, est une tradition chez les enfants, mais elle devient de plus en plus difficile à pratiquer, apparemment pour des raisons de concurrence commerciale, ndlr).

Comment expliquez-vous cette répression sur le lait cru alors que son commerce est autorisé dans plusieurs États ?

Je pense que la vraie raison à tout cela est que l´industrie laitière et le lobby pharmaceutique ont une certaine influence sur ceux qui font la loi. Ils se plaignent de la compétition des fermes qui font de la vente directe et des gens qui prennent en main leur santé en faisant leur propre médication par un régime alimentaire sain.
Maintenant que ces raids sont davantage médiatisés, la colère commence à monter chez les Américains. C´est pourquoi le Tea Party et d´autres courants issus de la base, qui font la promotion de la liberté américaine, gagnent en popularité. Mais les médias ont tendance à les discréditer et à laisser penser qu’ils manquent de soutien.

Où en est la mobilisation citoyenne ?

Lentement, les gens deviennent conscients du problème grâce à des documentaires comme Farmageddon, grâce à l´association Raw milk freedom riders ou à la fondation Weston A. Price, grâce aussi à des blogs comme the Complete patient, the Bovine, Real food media, Max Kane, et Hartke Online. Sans oublier les réseaux sociaux, dont ma page Raw Milk. Le Raw milk freedom riders a organisé de nombreux événements de protestation et de sensibilisation. L´organisation s´est associée au Lemonade freedom day, créé par Robert Fernandes en réaction au durcissement de la loi contre les stands de limonade. D´ailleurs, vendredi et samedi derniers (17 et 18 août 2012), ils ont appellé à un grand rassemblement de protestation nationale (voir le programme).
La Farm food freedom coalition (la coalition pour la liberté de l´alimentation de ferme) a organisé le premier événement Freedom riders en novembre 2011. Un convoi de lait cru s´est rendu de Pennsylvanie au Maryland. Cette caravane composée de mères de famille a ensuite rejoint un rassemblement devant le siège de la FDA (la Food and Drug Administration) à Silver Spring, dans le Maryland, où ont été distribués du lait et des cookies.
La FDA a ensuite rendu publique la déclaration suivante : « La FDA n´a jamais pris, et ne prendra pas, de mesures coercitives contre les particuliers qui achètent et transportent du lait d´un État à un autre, s´il s´agit de leur consommation personnelle ». Depuis, de nombreuses manifestations ont pu être organisées à travers tout le pays.

Descente armée à la coopérative de produit fermiers Rawesome Food

Descente armée à la coopérative de produit fermiers Rawesome Food, en 2010, en Californie.

Comment vous êtes-vous personnellement impliquée dans la défense du lait cru ?

J´ai été élevée au lait de vache et j´ai recommencé à boire du lait cru en 2002, après des problèmes de santé et d´infertilité pendant plusieurs années. Cela m´a pris un an pour trouver un fournisseur de lait cru, et c´était illégal à ce moment-là. Le lait cru fait partie des solutions qui ont amélioré ma santé.
Quand j´ai ouvert un compte facebook personnel, j´ai voulu cliquer « J´aime » sur une page Raw Milk. Mais elle n´existait pas, alors je l´ai créée ! Peu après j´ai entendu parler de l´affaire Michael Schmidt et des descentes dans sa ferme au Canada. J´ai commencé à poster des billets sur les opérations de répression ou sur les bénéfices du lait cru.
Après quelques mois, la page a décollé et en deux ans elle a les 10 000 fans. Elle en compte aujourd´hui près de 17 000. Nous atteindrons sans doute les 20 000 d´ici la fin de l´année. Enfin, j´ai aussi participé à la création de l´Alliance pour le lait cru (ARMi) et de la coalition Farms (Families and farmers alliance for real food and market sovereignty).

 

>>> L´Amérique parviendra-t-elle à sauver le lait cru ? Ce dossier rappelle de nombreux autres combats pour la liberté de choix des individus en matière alimentaire : le droit à manger des aliments sans pesticides ou sans OGM par exemple. Les défenseurs du lait cru font valoir leur droit à consommer ce produit frais, qu´ils estiment sain et bon pour leur santé, à la différence, selon eux du lait pasteurisé. Mais ils sont rattrapés par les arguments des experts de la sécurité sanitaire qui estiment au contraire que le lait cru représente une menace pour les consommateurs, ce qui est loin d´être prouvé, bien au contraire, lorsque les vaches sont en bonne santé, grâce à des conditions d´élevage saines (élevage extensif plutôt qu´intensif) et à une nourriture naturelle (à l´herbe plutôt qu´aux granulés).
On retrouve dans l´affaire du lait cru le dogme de l´hygiénisme qui ne distingue pas les bonnes et mauvaises bactéries potentiellement présentes dans un lait de vache. A ce titre, faudra-t-il aussi bientôt pasteuriser le lait maternel des femmes et leur interdire la tétée ?

Pour aller plus loin :

>> Envoyer un droit de réponse

1 commentaire pour cet article

  1. La démesure américaine dans toute son ampleur au pays de l’obésité et de la malbouffe. Un paradoxe américain de plus, ce qui est naturel est mauvais, dans le reportage Food inc(dispo sur le net), les réalisateurs décortiquent les rouages d’une industrie qui altère chaque jour notre environnement et notre santé. Des immenses champs de maïs aux rayons colorés des supermarchés, en passant par des abattoirs insalubres, un journaliste mène l’enquête pour savoir comment est fabriqué ce que nous mettons dans nos assiettes. Derrière les étiquettes pastorales de “produits fermiers”, il découvre avec beaucoup de difficulté le tableau bien peu bucolique que les lobbys agro-alimentaires tentent de cacher : conditions d’élevage et d’abattage du bétail désastreuses, collusion entre les industriels et les institutions de régulation, absence de scrupules environnementaux, scandales sanitaires… Éleveurs désespérés, experts indépendants, entrepreneurs intègres et défenseurs du droit des consommateurs esquissent, chacun à leur manière, le portrait d’une industrie qui sacrifie la qualité des produits et la santé de ses clients sur l’autel du rendement. En voyant ce qu’ils sont capables de produire, un petit morceau de camembert au lait cru ne leur fera pas de mal !!!!!
    Fort heureusement certaines associations et citoyens américains l’ont compris et s’emploient aujourd’hui à revenir à une alimentation saine et naturelle.